Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

féodalité (suite)

Que ses assises soient territoriales ou non, le fief peut être qualifié de manières diverses en raison soit du caractère de l’hommage* prêté au seigneur par le vassal (« fief lige », « fief plein », « fief ample »), soit de la valeur particulière du service requis par le seigneur : « fief de haubert », dont le bénéficiaire, notamment en Normandie, doit servir avec un équipement complet comprenant le haubert et dont le caractère militaire explique qu’il soit alors synonyme de « fief de chevalier ». La position sociale du détenteur du fief intervient aussi dans sa qualification : « fief de vavasseur » (feodum vavassoris) pour désigner le fief concédé à un arrière-vassal de la couronne en Italie du Nord ou à un vassal tenu en France à un service restreint ; « fiefs de sergenterie » en France ou « fiefs de ministériales » (Dienstlehen) en Allemagne, concédés à des chevaliers-serfs et qui s’opposent naturellement à la catégorie supérieure du « fief de chevalerie » (feodum militis), concédé à un homme libre. Enfin, la qualification même du fief peut indiquer l’origine de sa constitution : « fief de reprise », né de la concession par un seigneur d’un alleu à son ancien propriétaire qui le lui cède ou qui le lui vend, à moins qu’il ne provienne de l’abandon d’un fief par un vassal à son supérieur, lequel en investit un tiers qui devient son vassal ; « fief de sûreté » (engagère en français, Pfandlehen en allemand), qui est concédé par un créancier à son débiteur jusqu’au règlement final de sa dette.


L’inféodation

Consistant en un transfert d’un bien ou d’un droit d’un seigneur à son vassal, l’inféodation se réalise par un acte symbolique, l’investiture (vestitura ou investitura), qui suit en général l’hommage, sauf en Italie, où elle le précède. Cet acte comporte essentiellement la remise par le seigneur d’un objet symbolique qui peut être soit un symbole d’action que ce dernier conserve et utilise pour toutes les investitures qu’il confère (sceptre, verge, anneau d’or, couteau, gant), soit un symbole d’objet qu’il abandonne à son vassal : rameau, motte de terre, lance, étendard, crosse, etc.

Dès lors « vêtu » du fief dont l’investiture lui donne la « saisine », le vassal peut en disposer en toute liberté jusqu’à sa mort, à moins qu’il ne préfère s’en « dévêtir » par un acte de déguerpissement symbolisé par la remise par celui-ci à son seigneur de l’objet qui a servi à son investiture.

Considéré comme « mouvant », c’est-à-dire dépendant de l’alleu ou du fief dont il est détaché par le seigneur au profit de son vassal, le fief entraîne un rentable partage du droit de propriété de la terre qui le constitue, le seigneur conservant le jus eminens alors que son vassal s’en approprie le jus utile, c’est-à-dire l’usufruit. En fait, le seigneur ne possède l’intégralité du jus eminens que dans le seul cas où il inféode l’un de ses alleux, ce qui fait qu’en Angleterre et en Normandie seuls le roi et le duc peuvent prétendre à ce dernier, puisqu’ils se déclarent dès la fin du xie s. comme les uniques alleutiers de leur royaume et duché. Par contre, dans le cas bien plus fréquent où le fief naît d’une sous-inféodation, le jus eminens se trouve partagé entre le seigneur et son propre « sire ». Finalement, le droit de propriété se trouve définitivement coupé en deux au xiie s. et surtout au xiiie s., comme l’admet le juriste bolonais Accurse, qui distingue dès 1228 le domaine direct (ou éminent) du domaine utile, que seul détient le vassal. Réduit à l’origine au jus utendi et fruendi, c’est-à-dire au droit de profiter de ses fruits, le domaine utile s’étend progressivement au jus abutendi, c’est-à-dire au droit de disposer librement du fief, à la seule condition de ne pas l’« abréger ».


De l’hérédité à l’aliénabilité du fief

• Admis en effet dès la fin du ixe s. au profit des détenteurs du ban et des honores (comtes, ducs, etc.), le droit à l’hérédité du fief est reconnu à tous ses détenteurs, d’abord en France, en Normandie et en Angleterre dès le xie s., puis en Italie du Nord et finalement en Allemagne au xive s. Cette transformation d’un bien viager en un bien héréditaire est naturellement soumise au respect d’un certain nombre de conditions impératives : prestation de l’hommage et renouvellement de l’investiture dans un délai fixé au xiiie s. à quarante jours après chaque changement de seigneur ou de vassal, le contrat liant l’un à l’autre étant strictement personnel ; transmission du fief à un seul héritier, en général le fils aîné et majeur du vassal défunt ; versement par ce dernier d’un droit dit « de relief » (ou de rachat) et accomplissement par lui du service du fief.

Pour respecter le principe de l’indivisibilité sans pour autant léser les intérêts des fils cadets du vassal défunt au profit du seul fils aîné comme c’est le cas en Angleterre, on imagine alors de nouveaux systèmes successoraux dont le plus célèbre est le parage, ou frérage, qui entraîne la division du fief entre chacun des héritiers du vassal défunt, seul l’aîné le reprenant en hommage de son seigneur et en accomplissant le service. Répandu dans l’ouest de la France et la Lotharingie dès le début du xiie s., ce système revêt une double forme : celle du parage sans hommage (Normandie), les puînés ne prêtant pas hommage à leur aîné, qui doit les contraindre au service du fief ; celle du parage avec hommage, les puînés prêtant celui-ci à leur aîné, seul lié personnellement au seigneur, notamment dans le Bassin parisien. En Allemagne, par contre, le principe de l’indivisibilité du fief est sauvegardé depuis la fin du xie s. par la pratique de l’inféodation collective. Finalement, au cours du xiie s., ces deux systèmes sont également abandonnés, les seigneurs trouvant plus avantageux d’admettre le partage du fief entre les différents héritiers du vassal défunt, partage qui multiplie les occasions de percevoir le lucratif droit de relief. Mais, pour éviter que le service du fief ne soit plus assumé dans le cas où celui-ci échoit à un mineur ou à une femme, les seigneurs instituent à leur profit le droit de garde, ou bail, et le droit de mariage. Le premier peut être exercé en échange des fruits du fief soit par un parent qui en remplit le service jusqu’à la majorité du jeune homme (garde noble, pratiquée en France du Nord et de l’Ouest et en Allemagne), soit par le seigneur lui-même (garde seigneuriale, dite « garde royale » si le roi agit en tant que baillistre).