Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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fauvisme (suite)

Le fauvisme selon Vlaminck

Vlaminck a commencé par n’être qu’un peintre du dimanche s’amusant à brosser des paysages dans la campagne, près de Chatou, où il habitait. Tel un enfant, il y employait, sans mélange, les couleurs pures, comme elles sortent du tube : un rouge pour le toit de la maison, un vert pour les feuillages, un bleu pour le ciel. Ayant achevé sa toile, il la couchait, a-t-il conté, sur l’herbe et constatait, ravi, que son ouvrage s’harmonisait — en plus accentué — tant avec la nature environnante qu’avec le sentiment qui l’avait lui-même poussé à peindre là plutôt qu’ailleurs.

Autodidacte, ce ne fut pas au Louvre qu’il découvrit son véritable maître, mais dans une galerie (Bernheim-Jeune) où se tenait en 1901 l’exposition d’une centaine de toiles de Van Gogh* : « Tout ce que je voulais faire alors, je le vis sur les murs de la rue Laffitte ; j’étais effondré ; j’en aurais pleuré de désespoir. »

Il écrira : « Je n’ai jamais pensé à l’art, à l’art classique, à l’art italien, à celui des Grecs. Je voulais brûler avec mes cobalts l’École des beaux-arts, et je voulais traduire mes sentiments avec mes pinceaux sans songer à ce qui avait pu être peint auparavant. [...] Lorsque j’ai de la couleur dans les mains, la peinture des autres, je m’en fous : la vie et moi, moi et la vie. En art, chaque génération doit tout recommencer. »

Et encore : « Je ne m’insurge pas de parti pris contre l’enseignement qu’on peut recevoir du musée. [...] Je sais trop ce que fut pour moi la révélation de Van Gogh et la grande leçon du Douanier Rousseau*. Mais je dis qu’il est dangereux de regarder les toiles des autres, et plus encore de les copier. [...] Oublier, c’est peut-être pour moi tout le secret de la peinture. Oublier tous les tics. Oublier ! Devenir pur. Ce mot est ridicule, mais il exprime mieux que tout autre cet état d’ignorance qui est peut-être l’état de grâce de l’artiste. [...] Peindre avec son cœur et ses reins, sans se préoccuper du style. [...] Les hauts problèmes esthétiques ? Billevesées. »

Individualiste résolu, obéir à l’instinct était pour lui la condition première de la joie de peindre. Anarchiste, il estimait que l’art académique est le produit naturel de la société bourgeoise. Pour sa part, il voulait pratiquer une peinture de défi — comme explosive.

Le premier qui se soit sérieusement intéressé à Vlaminck avait vingt ans et s’appelait André Derain*. Il habitait Le Vésinet. Dans le petit train de banlieue qui passait par Chatou, ils firent connaissance. Devenus, bientôt, inséparables — occupant le même atelier —, ils constituèrent à eux deux ce que l’on a pu appeler, en exagérant sans doute, l’école de Chatou. Leur association dura un peu plus de trois années. Élève, à Paris, de l’académie Carrière, Derain y rencontra Matisse, à qui il parla de Vlaminck. Invité à se rendre à Chatou, Matisse en revint impressionné. C’était en 1903.


Le fauvisme selon Matisse

Matisse avait onze ans de plus que Derain et sept ans de plus que Vlaminck : différences qui, dans la jeunesse, importent et qui, bientôt, allaient conférer à Matisse l’autorité d’un chef de file. Esprit méthodique, il avait médité sur son art, et en particulier sur les propriétés de la couleur. Sensible au prestige de Seurat*, il s’était adonné un moment au divisionnisme. Intéressé par les recherches de Cézanne*, il avait appris de celui-ci que la réflexion modifie la vision.

L’enseignement principal, il l’avait reçu à l’École nationale supérieure des beaux-arts de son maître Gustave Moreau*, qui se plaisait à dire à ses élèves : « Je ne crois à la réalité ni de ce que je vois ni de ce que je touche, mais uniquement à celle de mon sentiment intérieur. » Il y avait là une prise de position contre le réalisme qui caractérisait encore l’impressionnisme, attaché à l’analyse du phénomène lumineux.

En fait, par des chemins différents, Matisse et Vlaminck étaient parvenus au même point. Si le cadet croyait aux vertus de l’instinct seul, l’aîné leur associait celles de l’esprit ; il écrira ceci, que Vlaminck aurait pu contresigner : « Des beaux bleus, des beaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes, c’est le point de départ du fauvisme, le simple courage de retrouver la pureté des moyens. » Il connaissait les paroles de Gauguin* : « J’ai observé que le jeu des ombres et des lumières ne formait nullement un équivalent coloré d’aucune lumière. Quel en serait donc l’équivalent ? La couleur pure. »

Autres pensées de Matisse applicables à Vlaminck : « Les gens qui font du style de parti pris et s’écartent volontairement de la nature sont à côté de la vérité. Un artiste doit se rendre compte, quand il raisonne, que son tableau est factice ; mais, quand il peint, il doit avoir le sentiment de copier la nature. Et même quand il s’en est écarté, il doit lui rester cette conviction que ce n’a été que pour la rendre plus complètement. »

Où Matisse va plus loin que Vlaminck, c’est quand il attribue aux divers éléments du tableau un pouvoir d’expression distinct du sujet représenté : « Quand je vois les fresques de Giotto à Padoue, je ne m’inquiète pas de savoir quelle scène de la vie du Christ j’ai devant les yeux, mais, tout de suite, je comprends le sentiment qui s’en dégage, car il est dans les lignes, dans la composition, dans la couleur, et le titre ne fera que confirmer mon impression. » De là à l’art abstrait, il n’y a qu’un pas. Matisse ne le franchira qu’à demi. Mais, s’inspirant des arts musulmans et de l’estampe japonaise, il accordera dans ses tableaux de plus en plus d’importance à l’arabesque et, pour ce qui est de la couleur, aux assonances franches, aux dissonances fines. Les vitraux du xiiie s. le captivent, non pas en tant que représentatifs de thèmes sacrés, mais en tant que jeux, pathétiques, de surfaces colorées.