Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fauré (Gabriel) (suite)

À cette œuvre de jeunesse un peu facile s’oppose l’elliptique et admirable Fantaisie pour piano et orchestre, œuvre de la grande maturité (1919). Il est dommage que ce répertoire soit souvent méconnu des virtuoses, car son caractère secret et intimiste lui fait du tort au premier abord, et il faut, certes, se donner la peine de questionner plus avant ces partitions pour en découvrir la substance.


La musique de chambre

Elle offre également deux visages ; elle se développe au cours de deux périodes que séparent toujours les années charnières des xixe et xxe s. C’est une certaine amabilité, une grande élégance de plume — elle ne dédaigne pas la suavité — qui caractérise la première sonate de piano et violon (1876) et les deux quatuors avec piano (1879-1886). Il est à remarquer que la première de ces trois partitions, rendue si célèbre par les grands virtuoses qui l’ont interprétée, depuis Eugène Ysaye, dans le monde entier, ouvre toute la série des sonates piano et violon françaises, depuis César Franck jusqu’à Claude Delvincourt en passant par Vincent d’Indy, Guy Ropartz, Albéric Magnard, Guillaume Lekeu, Debussy, Ravel, Roussel, etc.

À titre de transition, entre les œuvres de jeunesse précitées et celles de la maturité, Fauré s’essaie à un Premier Quintette, qui sait joindre l’intériorité à l’éclat.

C’est dans les sept dernières années de sa vie que Fauré songe de nouveau à enrichir le répertoire de la musique de chambre. Soulignons que cette seconde série commence par une magnifique et intellectuelle Sonate de piano et violon, à laquelle répond (1917-18) la Première Sonate pour piano et violoncelle. Robustes, chantants, mais dépouillés quant à l’écriture, ces deux chefs-d’œuvre donneront naissance au Deuxième Quintette (1921), à la Deuxième Sonate pour piano et violoncelle (1922), au Trio pour piano, violon, violoncelle (1923), enfin au Quatuor à cordes (1924) que Fauré léguait à ses élèves en les priant de le faire disparaître s’ils ne le jugeaient pas digne de ses œuvres antérieures. Il y a là toute une floraison de textes écrits par un homme sourd, qui ne renie pas les bienfaits de la polyphonie et qui, à travers des méandres sinueux dont l’horizontalité n’offre aucun caractère pédant, cherche à vaincre la difficulté, même et surtout s’il faut atténuer les effets du charme.


Les mélodies

C’est malheureusement ce charme encore qui distingue les premières mélodies écrites par l’organiste sortant de chez Niedermeyer. Car, dès 1865-1870, Fauré s’applique à cet art si difficile qui consiste à envelopper de notes un texte littéraire. C’est pourtant un art qui remonte à la chanson populaire, à la ballade aristocratique du Moyen Âge, à l’air de cour, puis à l’air sérieux du xviie s. En marge de l’art dramatique, les choses se sont gâtées au xviiie s. : sous prétexte d’élégance légère, la facilité règne sur la brunette, puis la romance larmoyante l’emporte, qui emprunte son cadre au rondeau. Loin du lied allemand sombre ou très proche du peuple, la mélodie française, à l’époque romantique, exploite soit la forme grandiloquente de la ballade germanique (Berlioz, Niedermeyer, Henri Duparc), soit un type de romance améliorée tel que Gounod, puis Saint-Saëns, Bizet et Massenet vont en signer des dizaines à destination des salons de Paris. Fauré accepte ce modèle. Mais, comme il ne sait pas toujours choisir de bons textes et que la mélodie coule avec trop d’aisance dans son cœur, il vient à composer pour la voix trois recueils (vers 1865-1870, vers 1880-1887, vers 1888-1905) dont on peut dire qu’ils vont en s’améliorant du point de vue qualitatif, s’il met plus de raffinement à choisir ses poèmes. De cette moisson, bien des titres restent dans toutes les mémoires (Lydia, Après un rêve, Au bord de l’eau, les Mélodies dites « de Venise », Poème d’un jour, Automne, Cinq Berceaux, le Secret, Clair de lune, Prison, Soir, le Plus Doux Chemin). Fauré a tenté d’écrire en outre des cycles de mélodies, dont le premier (la Bonne Chanson, Verlaine, 1892) et le dernier (l’Horizon chimérique, Alexandre J.-J. de La Ville de Mirmont, 1922) demeurent, grâce à leur prosodie, leur romantisme raffiné ici, leur dépouillement jusque dans le lyrisme là, les modèles du genre. Il faut voir dans la Bonne Chanson comme un vaste poème vocal, dont l’unité relève de trois thèmes à peine affirmés : cycle qui ne saurait faire oublier la grandeur, la nouveauté de la Chanson d’Ève, et de Mirages. Dans toutes ces mélodies, le piano demeure le compagnon indispensable de la voix, soit qu’il développe des arpèges subtils, soit qu’il autorise une série d’accords modulant sans cesse et dont les dissonances secrètement cachées se noient en des consonances bienfaisantes.


La musique de scène et la musique dramatique

Il y a là encore deux Fauré : l’un qui admet toujours un art léger, élégant, charmeur, qui hésite entre la danse et la confession lyrique, et l’autre qui va beaucoup plus loin dans la peinture des passions. Ici ou là, ce n’est pas l’orchestre qui brille, mais une sorte de pulsation spontanée à quoi concourt aussi bien la souple polyphonie que le langage harmonique. Les partitions de musique de scène demeurent des modèles de style, notamment celle qui est écrite pour le Caligula de Dumas fils (1888, avec chœurs), celle qui est destinée au Shylock d’Edmond d’Haraucourt (1889), celle, déjà citée, de Pelléas et Mélisande (Maeterlinck, 1898), dont le Prélude demeure l’une des plus belles pages de Fauré, celle enfin de Masques et Bergamasques (1919), qui évoque un décor de Watteau.

En revanche, lorsque Fauré rencontre le Prométhée d’Eschyle, il parle le langage des forts, appuyé par un immense orchestre. Cet oratorio mythologique mêlant le parlé et le chanté se pare de l’éclat des cuivres et des accents multipliés de chœurs tragiques : l’enchaînement de Prométhée, les plaintes de Pandore, le chœur des Océanides, autant de pages d’un lyrisme vigoureux et d’une plénitude wagnérienne.