Fauré (Gabriel) (suite)
La tragédie joue un moindre rôle dans Pénélope, et il faut voir dans cet opéra écrit sur un texte assez faible de René Fauchois comme une immense ode à la fidélité : parmi ces pages significatives, signalons l’arrivée d’Ulysse sous les haillons du mendiant transfiguré par l’amour, la chaleur qui émane du tableau d’Eumée, la violence concise du troisième acte, réservé aux prétendants de Pénélope, qui mesurent chacun leur force. Le thème d’Ulysse, avec son double appel d’octave, s’insinue peu à peu dans tous les rouages de la partition, thème de l’amour fidèle dont Fauré, par lambeaux, imprégnera toutes les pages d’art instrumental qui lui resteront à écrire.
L’art de Fauré
Si les mots classicisme et romantisme peuvent avoir encore un sens, on peut prétendre qu’en pleine période du postromantisme il est peu de maîtres à l’image de Fauré qui allient ces deux conquêtes, ces deux états d’esprit. En effet, Fauré n’oubliera jamais la leçon que lui a enseignée son maître Saint-Saëns, et qui est faite d’une admiration spontanée pour un art fait d’élégance et d’équilibre, celui de Haydn, Mozart, Couperin et Rameau, et d’une pratique journalière de Beethoven. Mais, pour avoir rencontré Mendelssohn, Chopin et Schumann, il reste attaché à un romantisme qui tourne le dos à celui de Berlioz pour sa discrétion et pour l’intimisme dont il marque son message. Sans toucher à l’impressionnisme cultivé par les contemporains, il poursuit un rêve difficile, celui qui consiste à trouver une synthèse entre la forme, les lignes polyphoniques des traditionalistes et l’émouvant lyrisme du monde germanique et slave. Un autre propos distingue son art : toucher par les moyens les plus simples, aller à l’essentiel, à la brièveté, délaisser ce qui se voit trop au profit de ce qui se sent et, pour cela, utiliser des procédés subtils relevant du monde de l’harmonie, jouer de l’équivoque entre le ton et le mode, ne pas accuser les plans, mais les laisser deviner, rester attaché à la pudeur d’une grâce latine, voire hellénique, fuir la lourdeur de l’écriture pour atteindre la densité de la pensée.
Comprendre Fauré suppose intelligence et sensibilité, car cet art de la qualité s’adresse moins à la masse qu’à l’élite. Le plus grand mérite de l’homme est d’avoir compris qu’il y avait lieu, en cours de route, de délaisser les tentatives charmeuses de la jeunesse pour atteindre, à travers des chemins secrets et parfois douloureux, à une perfection lyrique voilée de mystère.
N. D.
L. Vuillemin, Gabriel Fauré et son œuvre (Durand, 1914). / C. Kœchlin, Gabriel Fauré (Alcan, 1927 ; 2e éd., Plon, 1949). / P. Fauré-Fremiet, Gabriel Fauré (Rieder, 1929 ; 2e éd., A. Michel, 1957) ; Gabriel Fauré, lettres intimes (la Colombe, 1951). / G. Fauré, Opinions musicales (Rieder, 1930). / V. Jankélévitch, Gabriel Fauré, ses mélodies, son esthétique (Plon, 1938 ; nouv. éd., 1951) ; le Nocturne, Fauré, Chopin et la nuit. Satie et le matin (A. Michel, 1957). / C. Rostand, l’Œuvre de Fauré (Janin, 1945). / N. Suckling, Gabriel Fauré (Londres, 1946). / E. Vuillermoz, Gabriel Fauré (Flammarion, 1960). / A. Dommel-Diény, l’Harmonie vivante, t. V : l’Analyse harmonique en exemples, fasc. 13, Fauré (Delachaux et Niestlé, 1967). / F. Gervais, Étude comparée des langages harmoniques de Fauré et de Debussy (Richard-Masse, 1971 ; 2 vol.). / J.-M. Nectoux, Fauré (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1972). / J. Vuaillat, Gabriel Fauré (Vilte, Lyon, 1974).