Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fascisme (suite)

En prenant contact avec la Chambre, celui qui n’est pas encore le Duce y tient pourtant un langage de dictateur, propre à effrayer plutôt qu’à convaincre, mais habilement distribué, cependant, pour inspirer la confiance qui, d’ailleurs, lui sera très largement accordée. Dès 1923, l’aile droite des « populaires » démo-chrétiens se sépare de don Sturzo, intransigeant dans son opposition à Mussolini comme à Giolitti ; elle servira de flanc-garde lors de l’accord avec le Vatican. Les libéraux acceptent une réforme électorale (loi Acerbo) qui décapite les oppositions en accordant les deux tiers des sièges à la liste nationale bloquée, qui obtiendra le quart des suffrages. Quant aux socialistes, ils subissent le discrédit qui accompagne toute défaite.

La première application de la loi Acerbo, combattue avec vigueur surtout par les démo-chrétiens, a lieu le 6 avril 1924 : elle assure une large majorité aux fascistes et à leurs alliés, mais 3 millions de suffrages vont encore aux listes minoritaires contre 4,5 millions à la liste nationale, forte de tous les ralliements plus ou moins sincères. Tous les partis antiministériels conservent leurs représentants les plus en vue, et les communistes gagnent même cinq sièges, passant de treize à dix-huit élus.

Dès la rentrée du Parlement, le 24 mai, le secrétaire du groupe socialiste, Giacomo Matteotti (1885-1924), montre, dans un discours d’une extraordinaire vigueur, comment cette victoire est en réalité une défaite et souligne l’impopularité foncière du fascisme dans le pays. Ce discours exaspère les fascistes, et, le 10 juin, Matteotti est enlevé en pleine rue par cinq miliciens fascistes, assassiné et enterré dans un coin désert de la campagne romaine, où son cadavre ne sera découvert que le 16 août.

Ce meurtre, incontestablement fomenté par des hauts cadres du fascisme, remue profondément l’opinion publique et déconcerte Mussolini, qui niera toujours l’avoir ordonné et fera démissionner d’office les deux membres de son entourage qu’il juge les plus compromis. Le ministère de l’Intérieur passe au nationaliste Luigi Federzoni (1878-1967), sans que pour cela cesse la campagne d’opinion menée dans la presse d’opposition, notamment dans le quotidien démo-chrétien Il Popolo, dirigé par Giuseppe Donati, dans le plus important organe de classe internationale, Il Corriere della Sera, dont le propriétaire, Luigi Albertini (1871-1941), mène au sénat avec le comte Sforza la lutte contre le gouvernement, et dans le journal démocrate Il Mondo, de l’ancien ministre Giovanni Amendola (1882-1926).

À la fin de 1924, la situation morale de Mussolini paraît désespérée, et l’on attend du roi qu’il lui demande sa démission. Des personnalités monarchistes ont communiqué au souverain l’accablant mémoire de Cesare Rossi (1887-1967), l’un des deux hommes choisis comme boucs émissaires ; dès les premières lignes, le roi refuse de le lire plus avant, bien qu’il n’ait aucune sympathie pour le fascisme. La crainte de désordres plus périlleux encore le retient d’intervenir. Mussolini joue alors sa dernière carte et l’emporte.


Maître du pays

Cette carte est le discours qu’il prononce le 3 janvier 1925 devant la Chambre et qui marque le début d’un régime dictatorial sans limitation d’aucune sorte. Jusqu’alors, la liberté de la presse était quasi totale ; l’opposition de gauche avait pu se grouper « sur l’Aventin » — réminiscence historique significative — et déserter la salle des séances pour bien marquer qu’elle ne voulait même pas pactiser par sa présence avec le fascisme ; l’éventualité d’une succession était même ouvertement discutée.

Tout prend fin le 3 janvier 1925. Tous les partis autres que le fasciste et le libéral collaborationniste sont dissous, la presse est muselée et les feuilles d’opposition ouverte disparaissent ; Sturzo, Sforza, Nitti, Silone, Amendola, Donati et tous les leaders socialistes sont contraints à l’exil ; le « Lénine italien », Antonio Gramsci*, est emprisonné à vie ; la timide réaction des cercles d’action catholique est elle-même brisée ; le scoutisme est interdit et remplacé par l’appartenance obligatoire des jeunes des deux sexes à des formations (Balilla, Petites Italiennes, etc.) qui les enrégimentent. Les ministres, interchangeables à la seule volonté du chef du gouvernement, seront tous désormais des fascistes de stricte observance. Aux fonctionnaires et aux journalistes sera imposé un serment de fidélité, faute duquel ils devront quitter leur emploi. En fait, bien peu résisteront.

Indifférents à cette soudaine mutation, en saisissant mal la portée, les hommes d’État occidentaux, qui s’étaient effrayés, dans les années 1920-1922, du glissement apparent de l’Italie vers le désordre, se réjouissent en général de ce qu’ils considèrent comme la consolidation d’une conception saine de l’intérêt national. Par les grands travaux publics entrepris et menés à bien, par la création d’œuvres gouvernementales répondant aux principaux besoins des travailleurs et surtout par l’instauration des Corporations de métiers, soumettant au contrôle de l’État aussi bien les patrons que les ouvriers et employés (création conçue par le ministre Giuseppe Bottai [1895-1959]), l’Italie paraîtra à beaucoup, en Europe et en Amérique, avoir trouvé les formules du développement harmonieux d’une nation moderne et dominé les séquelles d’une unité tardive. En fait, le fascisme est un régime essentiellement opportuniste, fondé sur l’obéissance absolue à un homme, le Duce, appuyé sur un parti unique, lequel est officiellement dirigé par le Grand Conseil du fascisme. Sur le plan économique, cet opportunisme se traduit par l’autarcie (dangereuse dans un pays pauvre), qui réalise quelques bonifications locales, mais ne profite aucunement aux travailleurs, l’inflation étant endémique.

L’apogée de la période euphorique du fascisme se situe en 1929 avec la fin du différend entre l’Église et l’État italien (accords du Latran).