Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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faim (suite)

Enfin, bien des productions agricoles imposées dans les pays pauvres, et ayant comme conséquence l’abandon des cultures traditionnelles, sont devenues inutiles à la suite de l’apparition des multiples produits synthétiques (caoutchouc, coton, etc.) et du fait des subventions permettant aux produits des régions riches d’inutiles et indéfendables concurrences (sucre de canne remplacé par le sucre de betterave, huile d’arachide ou huile de palme remplacée par l’huile de colza, etc.). Il en résulte un chômage accru et, après l’appel momentané d’une main-d’œuvre importante dans les capitales luxueusement modernisées, la création de bidonvilles. Chaque travailleur urbain rémunéré, depuis le plus bas salaire jusqu’aux postes les plus hauts, a à sa charge, en certains pays, un nombre important de personnes, d’où un renchérissement des salaires, entraînant une disparité de plus en plus grande entre le revenu moyen de la ville et celui de la campagne, et un abandon parfois tragique des sources mêmes de la production alimentaire. Il est classique de faire la comparaison entre les chiffres, publiés par les États, de leur budget d’armement et de leur budget d’aide au développement : 130 milliards de dollars contre moins de 10 milliards d’aide publique et d’aide privée. Ce qui n’est pas assez connu, c’est ce qu’on appelle les « aides privées », qui sont en fait des investissements hors métropoles réalisés par des groupements financiers des pays développés. C’est ainsi que des brasseries, des ateliers de boissons gazeuses et quantité de créations chères aux civilisations de consommation sont considérés comme une aide au développement de pays dont les premiers besoins sont loin d’être encore à l’orée d’aucune satisfaction.

La faim va de pair avec le sous-développement et un ensemble de maux qui sont : une malnutrition chronique ; des conditions agricoles déplorables ; l’ignorance généralisée ; le chômage ; l’oppression.

Tous ces maux forment un tout qu’il importe de soigner et de guérir ensemble si l’on veut voir sortir les deux tiers de l’humanité du cercle infernal de la misère et de la faim. L’indépendance de certains pays est obérée par un régime néo-colonialiste. Les grands intérêts financiers commandent les gouvernants en place, qui n’ont pu que prendre la relève des « administrateurs des territoires d’outre-mer ». Cette relève des fonctionnaires et ingénieurs qualifiés, dont la plus grande partie a quitté le pays, n’a été assurée que par les autochtones qui étaient déjà dans les cadres et qui restent en nombre insuffisant, ou par des coopérants, en nombre réduit ; l’absence de cadres moyens se fait cruellement sentir. Contrairement aux prévisions, la formation de ces cadres moyens a posé des problèmes non encore résolus : trop souvent, les hommes formés pour une action sur le terrain exigent et obtiennent des postes dans les bureaux du chef-lieu, situation qui leur semble plus honorable et moins astreignante. D’autre part, l’attrait des salaires et de la vie des pays développés a entraîné des émigrations ou des non-retours après études, préjudiciables aux pays du tiers monde.

Les gouvernements en place — dont (pour la plupart) les budgets de fonctionnement, grevés de structures qui n’ont plus que peu de rapport avec l’actuelle situation, sont difficilement équilibrés — dépendent uniquement de l’extérieur pour les investissements. Les nations qu’ils dirigent se trouvent maintenues dans le rôle de pays exportateurs de matières premières agricoles ou extraites du sous-sol sans aucune valorisation, et sujettes à un cours déterminé par les seuls utilisateurs, sans que soit en rien considéré le problème d’un salaire minimal pour les populations productrices et sans qu’aucune entente internationale ne régularise production et consommation.

C’est ainsi que le secrétaire général de l’O. N. U., ouvrant en 1965 la conférence internationale de Genève, pouvait faire remarquer que de 1945 à 1965, 80 p. 100 du montant des aides accordées au tiers monde avait été absorbés par la baisse du cours de leurs exportations durant la même période. Ne pouvant souvent se maintenir au pouvoir que grâce à l’appui des pays riches, avec des frais d’administration onéreux, ayant année après année des charges de plus en plus importantes d’intérêts et de remboursement des prêts reçus, les gouvernements ont aussi de grosses dépenses de police ou d’armée, largement organisées par les pays pour lesquels l’actuel système de production et d’exportation représente une des bases solides de leurs bénéfices. Dans de telles conditions, aucun programme rationnel et suivi de progrès social satisfaisant l’ensemble des habitants ne peut être mis sur pied. Année après année, le croît démographique dépassant le croît agricole — avant tout sujet aux variations des saisons (ce contre quoi aucun pouvoir humain ne peut agir) —, une nouvelle charge oppressive pèse sur des victimes, à qui il faudrait une détermination qui ne peut s’acquérir que dans le développement du niveau social et du niveau intellectuel.


Une ignorance généralisée

On compte dans certains pays jusqu’à 80 p. 100 d’analphabètes. Souvent, la scolarisation n’atteint pas 20 p. 100 des enfants. Mais l’enseignement proposé a souvent les mêmes programmes que ceux des pays industrialisés, où ils se révèlent depuis des années inadaptés. Une recherche a clé entreprise, jusqu’à présent sans aboutissements suffisants, pour mettre au point dans chaque pays un enseignement correspondant aux conditions générales du lieu, et pour faire concevoir aux habitants qu’il ne s’agit nullement d’une culture au rabais mais d’un cheminement valable vers les mêmes sommets, le même « véhicule » ne pouvant satisfaire les déplacements en région de plaine et en région montagneuse, en pays froid et en pays chaud. Cette recherche doit aussi recourir à l’emploi généralisé de moyens audio-visuels. Mentionnons également l’indispensable instruction des paysans : l’utilisation des graines sélectionnées requiert des traitements chimiques, fongicides et insecticides, des engrais, des méthodes d’assolement, c’est-à-dire la présence de formateurs dont l’enseignement et les possibilités de mise en place ne pourront se faire sans une organisation appropriée. En 1945, l’Organisation des Nations unies a créé un département spécialisé pour l’alimentation et l’agriculture (F. A. O., Food and Agriculture Organization). Une « Campagne mondiale contre la faim » fut décidée, avec un programme de cinq ans, qui semblait suffire pour la disparition de ce fléau. En 1965, un nouvel effort de cinq ans se révéla indispensable. En 1970, la « Campagne mondiale contre la faim » a été remplacée par la « Décennie du développement ».