Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Europe (suite)

Il faut donc se résoudre à une définition d’ordre statistique tenant compte des frontières d’État et de limites administratives. Pour l’U. R. S. S., on peut considérer comme européenne la région du Caucase septentrional et exclure l’Oural, qui constitue l’une des grandes régions économiques au moins dans sa partie moyenne et sa partie méridionale. Il est significatif que les géographes et économistes soviétiques se refusent à la distinction entre Russie d’Europe et Russie d’Asie, mais divisent l’Union entre « régions occidentales » (tantôt avec, tantôt sans l’Oural, mais avec les républiques transcaucasiennes) et « régions orientales ». On comprendra donc dans ce qu’on peut appeler la partie européenne de l’U. R. S. S. : les républiques baltes avec le territoire (en russe, oblast) de Kaliningrad ; la Biélorussie ; l’Ukraine ; la Moldavie et les « grandes régions économiques » s’étendant au nord du Caucase et à l’ouest de l’Oural. Mais on pourrait concevoir l’inclusion dans l’espace européen de la région économique de l’Oural et des trois républiques transcaucasiennes.

Au total, ainsi délimitée, l’Europe couvre environ 9,5 millions de kilomètres carrés et est peuplée d’environ 640 millions d’habitants, avec la partie européenne de l’U. R. S. S. ; elle comporte 4,9 millions de kilomètres carrés et environ 475 millions d’habitants sans celle-ci.

Mais l’Europe n’est pas seulement un espace géographique d’un seul tenant, arbitrairement limité. Même à la fin de l’ère de la décolonisation, elle administre des territoires en partie peuplés d’Européens, dans toutes les autres parties du monde, sous des formes très variées, aussi bien les colonies portugaises d’Afrique que l’enclave britannique de Hongkong sur le continent chinois, que les départements français des Antilles ou de l’océan Indien et les territoires français de l’Océanie. Les États européens ont rayonné et rayonnent encore sur tous les continents, par leurs langues, leurs peuples et leurs cultures. Ce qu’on a appelé les pays neufs, les prolongements de l’Europe, les régions de population blanche est resté étroitement lié à l’Europe. L’Europe est donc non seulement un espace limité géographiquement, mais aussi une aire culturelle : ses peuples et ceux qui en sont originaires ont en commun une histoire, sinon un destin. L’affaiblissement relatif de la puissance européenne après la Première Guerre mondiale, le mouvement de décolonisation après la Seconde, la montée rapide de grandes puissances comme les États-Unis, puis l’U. R. S. S., aujourd’hui le Japon ont permis d’évoquer le « déclin » ou la « décadence » de l’Europe. Les regroupements en cours des États européens, la multiplication des échanges entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est, l’aide prodiguée au tiers monde par les États européens, le rôle d’arbitre que peut jouer l’Europe dans les conflits mondiaux, le rapprochement de l’U. R. S. S., menacée par la Chine, de l’Europe méditerranéenne et occidentale peuvent laisser espérer une renaissance, fondée non plus sur un impérialisme conquérant, mais sur une puissance économique rivalisant avec celle des autres « Grands ». Enfin, la notion de paysage concourt à définir des caractères européens. Vue de l’Oural, l’Europe apparaît bien comme le cap de l’Asie, un cap pénétré par les océans et les mers, digité et morcelé par les reliefs. L’Atlantique Nord et la Méditerranée s’insinuent en golfes profonds jusqu’au milieu des terres. L’isthme qui joint la Baltique à la mer Noire ne mesure que 1 200 km, celui qui relie Hambourg au golfe de Gênes, à peine 1 000 km, et moins de 500 km séparent le golfe du Lion du golfe de Gascogne. Aucune partie du monde, sauf l’archipel japonais, n’est aussi morcelée. Aucun massif montagneux, aucune chaîne n’est aussi élevée, aussi étendue qu’en Afrique, en Asie, en Amérique, où l’on peut circuler durant des jours sans que changent les traits du relief. La variété des climats régionaux et locaux contribue à diversifier les associations végétales, les types de culture et d’élevage. La marque omniprésente de l’homme, la variété des solutions adoptées en vue de l’aménagement des paysages naturels, la richesse des formes d’habitat, rural et urbain, font des paysages européens une mosaïque sans cesse changeante qu’on ne retrouve sur de si faibles superficies dans aucun autre continent. C’est donc par différenciation, par opposition qu’on peut encore définir les caractères fondamentaux de l’Europe.


L’architecture du relief

Elle permet de distinguer trois grands ensembles.


L’Europe des plaines

C’est la moins variée. Elle commence à l’ouest à la Flandre et se poursuit jusqu’à l’Oural sans solution de continuité. C’est au nord la grande plaine de l’Europe du Nord, appelée parfois de façon restrictive plaine germano-polonaise, au sud, les plaines du Danube inférieur et de l’Ukraine, du Don et de la Volga jusqu’au Caucase et à l’Oural. Les altitudes ne dépassent que très rarement 300 m, les reliefs sont peu marqués, et, souvent, seules les vallées tracées par les grands fleuves, les plus longs de toute l’Europe, provoquent les dénivellations les plus sensibles. Cette Europe du Nord et de l’Est correspond à un domaine de tectonique calme. Malgré des dérangements en profondeur, plis et failles dans le socle et sa couverture, aucun mouvement d’envergure n’est venu la troubler depuis la fin de l’ère primaire. Les phases d’aplanissement très longues, le dépôt de couches sédimentaires faiblement relevées, l’absence de toute orogénie tertiaire expliquent ces paysages morphologiques : fragments de socle ou bouclier comme en Finlande ; modestes reliefs appalachiens émergeant de bassins primaires ou secondaires, où les cuestas elles-mêmes sont insignifiantes ; plateaux à faibles pentes sur les couches les plus dures ; vastes surfaces d’érosion... Les reliefs sont masqués et feutrés par un épais remblaiement quaternaire, dans lequel sont souvent sculptées les formes les plus apparentes du relief. Au nord, l’inlandsis a recouvert un espace bien limité par l’extrême avancée de la glaciation la plus puissante, celle de Riss. La plus récente, celle de Würm, a laissé des marques plus fraîches : arcs morainiques formant les « croupes », ou hauteurs, de la Baltique et de Biélorussie ; cuvettes au fond desquelles stagnent des milliers de lacs, en Finlande, en Poméranie, en Mazurie ; vastes plaines fluvio-glaciaires de sables ; marécages comme ceux du Pripet ; grands troncs, parallèles au front glaciaire, des « vallées primitives » (Urstromtäler dans les pays germaniques, pradolini en Pologne), qu’on suit aisément d’ouest en est ; réseau hydrographique composé de troncs nord-sud et ouest-est ; placages de sables donnant des dunes et, à la limite extrême, beaux placages de lœss qu’on suit de la Börde d’Allemagne occidentale à travers la Thuringe, la Saxe et la Silésie jusqu’en Ukraine. Au sud précisément, d’épais dépôts de sables, de limons, d’alluvions masquent les aspérités du socle, que les fleuves atteignent en creusant : le Dniestr, le Bug, le réseau du Dniepr. Sous un climat continental à tendances steppiques, ces dépôts donnent les riches terres noires, les tchernozioms d’Ukraine, immense plaine d’où n’émergent, faiblement marquées, que quelques hauteurs, comme le massif du Donets. L’Europe des plaines, annonçant celle des steppes, n’a été que tardivement conquise. Au nord, les sols froids, mal drainés, les marécages et les tourbes n’ont été asséchés qu’à une époque récente. Au sud, les nomades pasteurs venus d’Asie opposèrent leur résistance aux tentatives de colonisation sédentaire jusqu’au xviiie s.