Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

L’art espagnol

En dépit d’un appauvrissement en hommes et en numéraire provoqué par la grave crise du iiie s., et malgré une réduction sensible de ses échanges extérieurs et la décadence de ses cités, l’Espagne du Bas-Empire avait maintenu avec le monde de la Méditerranée des liens solides et une réelle unité de culture. Celle-ci donna à l’art paléochrétien d’Espagne ses caractères généraux, encore fortement marqués de l’empreinte romaine.


Le haut Moyen Âge

La rupture de l’unité romaine résulta de l’installation à demeure dans la Péninsule du peuple des Wisigoths. Cette invasion provoqua des changements profonds dans tous les domaines et notamment après que la conversion au catholicisme du roi Reccared Ier (589) eut permis la fusion des deux communautés, la germanique et l’hispano-romaine. L’ordre nouveau se manifesta par une véritable renaissance artistique dont Tolède, la nouvelle capitale, paraît avoir pris la direction. On peut parler d’un art wisigothique*, même si celui-ci doit assez peu, en définitive, aux conquérants barbares, et s’il s’inscrit dans le contexte général d’un réveil de l’Occident. Ses aspects principaux, dans les domaines de l’architecture et du décor monumental, résultent essentiellement d’une nouvelle vague d’orientalisme venue à travers Byzance.

C’est avec un Orient différent que l’Espagne reprend contact à la suite de la conquête musulmane et du rétablissement d’une économie de larges échanges. La péninsule Ibérique, où s’opère une renaissance urbaine, s’ouvre aux influences les plus diverses. Sans que soient entièrement interrompues les relations avec Byzance, l’appartenance au monde musulman multiplie les contacts avec l’Afrique et la Syrie. L’art du califat de Cordoue* réalisa de séduisantes synthèses entre ces apports extérieurs et une tradition locale déjà puissante.

Au regard de l’éclatante civilisation musulmane d’Andalousie, l’art de l’Espagne demeurée chrétienne peut apparaître comme secondaire. Il s’agit cependant d’une plante vigoureuse, dont la croissance intéresse l’Europe tout entière.

Alors que la puissance carolingienne s’étend à la majeure partie de l’Occident, on voit se développer dans les Asturies* une architecture originale. Expérimentant des solutions que l’Europe romane redécouvrira par la suite en les élargissant et en les systématisant, elle s’accompagne d’un décor peint encore proche des traditions romaines et d’une sculpture monumentale qui, elle, anticipe sur l’avenir.

L’art chrétien du xe s. regarde davantage vers l’Espagne musulmane, dont l’éclat avait de quoi fasciner. Il serait cependant erroné de voir dans cet art mozarabe une simple projection de la civilisation andalouse. D’une manière générale, ce sont les traditions ibériques antérieures, wisigothiques et asturiennes, qui déterminèrent en grande partie la structure des édifices du culte, à l’époque, et notamment celle des plus complexes, les églises du type de Santa María de Lebeña (Santander).

L’arc outrepassé, qui se généralise à l’ensemble des églises mozarabes, appartenait depuis longtemps à la tradition hispanique. Son succès résulte autant du retour à une forme bien connue localement que de l’influence de Cordoue. Les rapports avec l’islām concernent surtout les motifs décoratifs de la sculpture monumentale, copiés directement ou le plus souvent interprétés. On en appréciera le charme dans la délicate église de San Miguel de Escalada (aux environs de Léon), construite en 913 par des moines venus de Cordoue.

Le cas de la peinture n’est pas moins complexe. On ne la connaît guère qu’à travers l’enluminure, et plus précisément grâce au décor d’un texte unique, le commentaire de l’Apocalypse rédigé en 776 par le moine asturien Beato de Liebana (Beatus) [† 798]. Comment doit-on interpréter ces compositions rudes et fortes, d’un exotisme envoûtant ? Lointain surgeon d’un art originaire d’Orient ou d’Afrique ? Souvenir d’une peinture wisigothique disparue ? Ou brillante manifestation de l’esprit mozarabe ? On ne peut non plus négliger la part des innovations peut-être apportées par le moine Magio, qui copia et illustra en 926 — ou peut-être plus tard — le beato de San Miguel de Escalada, aujourd’hui à la Pierpont Morgan Library de New York. Le plus remarquable de ces ouvrages est sans doute le beato conservé à la cathédrale de Gérone, écrit en 975 par le prêtre Senior et illustré par une nonne peintre du nom d’Ende et par Emeterio, disciple de Magio.


L’art roman

L’art roman*, premier art original de l’Occident, s’acclimata dans la péninsule Ibérique lorsque celle-ci, au cours du xie s., unit solidement son destin à celui de l’Europe. Par suite du cloisonnement du monde chrétien d’Espagne, il prit des formes diverses selon les régions géographiques, les appartenances politiques, les époques.

La Catalogne*, solidaire de l’Europe méditerranéenne, accueillit dès le début du xie s. les formes romanes diffusées sur les rives de la mer Intérieure à partir de l’Italie du Nord. Ce premier art roman méridional, remarquable comme partout par la simplicité de ses structures et la rudesse d’un appareil fait de pierres simplement éclatées au marteau, se distingue ici par quelques caractères particuliers, comme la rapide extension de la voûte à l’ensemble des édifices et l’accompagnement d’une sculpture monumentale, au demeurant d’importance limitée. À partir de la Catalogne, on le voit se répandre vers l’ouest à travers les vallées aragonaises.

Dans cette direction, l’avenir appartenait cependant à une autre forme d’architecture, qui accorda d’emblée à la sculpture une place autrement considérable. Trois milieux créateurs doivent être ici considérés.

Celui que constituent l’Aragon et la Navarre — alors unis sous l’autorité d’un même souverain — frappe par la précocité de ses recherches, que ce soit à San Salvador de Leyre, l’un des grands centres de la vie monastique sur le versant méridional des Pyrénées, ou à l’église fortifiée d’Ujué en Navarre, ou encore dans le sanctuaire de la Vierge de Iguácel (Huesca), sans doute construit vers 1072.