Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

Rome transmit à l’Espagne son goût pour le portrait sculpté, généralement d’un grand réalisme. Les bustes des empereurs et d’autres personnages de la vie publique ressortissent à la propagande politique, mais le portrait pouvait aussi fixer les traits d’un particulier, pour ses proches. Éblouie par la culture grecque, comme toutes les élites du monde romain, la société cultivée d’Espagne se procura en outre un grand nombre de sculptures de tradition hellénistique — statues et sarcophages — ainsi que des copies d’originaux célèbres.

La majeure partie de ces pièces étaient importées d’Italie ou d’Orient. Ce furent, par contre, des ateliers ambulants qui réalisèrent les pavements de mosaïque, une autre manifestation du goût romain pour la richesse du décor. Cette peinture du sol accompagna la peinture des murs en imitant ses effets, y compris la perspective, le clair-obscur et la nuance dans les coloris. En effet, tout en faisant un grand usage des motifs géométriques, la mosaïque n’hésita pas à traiter des sujets purement picturaux, comme les scènes mythologiques et les paysages.

Une crise générale, affectant tous les aspects de la vie, ébranla vers le milieu du iiie s. l’ensemble de la société romaine. Signe des temps, les villes sont abandonnées par la bourgeoisie. Les propriétaires fonciers, fuyant les fonctions municipales, dont les honneurs ne compensent plus les charges, devenues intolérables, se retirent sur leurs terres et emploient les bénéfices de leur exploitation à embellir leurs villas. L’évolution historique du Bas-Empire oriente la vie artistique vers des conditions nouvelles, qui sont déjà celles du haut Moyen Âge.

M. D.

 A. García y Bellido, Arte ibérico dans Ars Hispaniae, t. I (Madrid, 1947). / B. Taracena, Arte romano dans Ars Hispaniae, t. II (Madrid, 1948). / A. Arribas, Los Iberos (Barcelone, 1965). / M. Tarradell, Arte ibérico (Barcelone, 1968) ; Arte romano en España (Barcelone, 1969).


L’art de l’Espagne musulmane

Bien que les musulmans espagnols se soient aussi inspirés des traditions locales, en particulier de celles des Wisigoths*, on doit chercher l’origine de leur art en Syrie, à la cour des Omeyyades*. Ultérieurement, leurs liens avec l’Orient leur feront subir l’influence ‘abbāsside*, celle de l’Iran. Ils ont néanmoins créé une école originale et, souvent conjointement avec l’Afrique du Nord, ils ont suivi leur propre voie. Malheureusement, il reste peu de témoignages de ce qui fut un des plus grands foyers de la civilisation islamique, un des pôles culturels du monde médiéval.


L’architecture

Malgré les dévastations, l’Espagne est enrore riche en vestiges de la domination arabe, ainsi que le prouvent Saragosse*, Salamanque*, Gibraltar, Ávila, Málaga, Almería, Calatayud, bien d’autres villes encore ! Il n’est pas douteux, en outre, que maintes œuvres mal étudiées de l’art militaire relèvent de l’islām : elles compléteront un jour ce que nous apprennent le vénérable Conventual de Mérida, bâti en 835 dans un style byzantinisant, les plus récentes casbah de Badajoz et d’Alcalá de Guadaira (à 15 km de Séville), ou la tour de l’Or de Séville* (1220), constructions imposantes, souvent en pisé, flanquées de tours barlongues. Par contre, les palais anciens, les édifices publics et religieux ont beaucoup souffert. La beauté et le juste renom de ceux qui demeurent font mieux mesurer l’ampleur des pertes.

La Grande Mosquée de Cordoue*, immense et prodigieux sanctuaire, auquel pendant deux siècles les souverains travaillèrent (785-987), reste, avec son miḥrāb, ses colonnes, ses arcs, son décor, et malgré les déprédations des xvie et xviie s., le plus éblouissant des messages. La charmante petite mosquée Bīb Mardōm de Tolède* (église del Cristo de la Luz), les deux mosquées de Valence, si défigurées qu’elles en sont méconnaissables, la simple salle sous coupole qu’est l’oratoire de l’Aljafería de Saragosse ne peuvent pas faire oublier la mosquée de Séville (et tant d’autres disparues avec elle), dont subsiste le minaret, la Giralda, belle tour en brique de la seconde moitié du xiie s., parente de la tour Ḥasan de Rabat* (en pierre de taille) et du minaret de la Kutūbiyya de Marrakech* (en moellons), toutes héritières du plan syrien.

À la veille de la reconquête, alors que l’art musulman d’Espagne, séparé des écoles orientales, évolue vers la mollesse et l’exubérance, l’Alhambra, forteresse et palais situé sur une hauteur dominant Grenade*, offre, avec ce qu’il subsiste de ses salles et de ses patios, le modèle idéal de cette époque : à un extérieur nu et austère s’oppose un intérieur surchargé où tout concourt au luxe, cherche l’effet, le jeu des perspectives, où l’artiste, non sans habileté et audace, oublie que le décor doit parer l’édifice et non détruire sa ligne.


Les arts mineurs

La richesse de la civilisation islamique en Espagne s’exprime aussi dans les objets, dont certains proviennent des fouilles de l’ancienne capitale cérémoniale, Medina Azara (Madīnat al-Zahrā), près de Cordoue : bois qui ornent les chaires à prêcher, à entrelacs géométriques de baguettes enrichies de marqueterie, encadrant des panneaux à décor végétal (minbar de Cordoue, minbar des mosquées de Fès et de Marrakech, sans doute faits en Andalousie) ; ivoires vigoureusement travaillés de Cordoue et plus tard de Cuenca ; tissus fabriqués dès l’arrivée des Arabes, un peu partout, puis, au xiie s., principalement à Almería (800 métiers !) ; rondes-bosses en bronze, proches de celles d’Égypte ; métaux finement ciselés et filigranes, enrichis d’émaux (spécialité andalouse des xive et xve s.) ; cuirs, céramiques à reflet métallique de Málaga annonçant les ateliers de Valence et de Manises qui, sous les Rois Catholiques, connaîtront un succès universel (céramique hispano-moresque, majolique).


L’art mudéjar

Au fur et à mesure que les terres islamisées passent sous domination chrétienne, les artistes musulmans (mudéjar) se mettent au service des nouveaux maîtres ; leurs œuvres, tout d’abord entièrement islamiques, ne tardent pas à obéir aux nouveaux impératifs, à composer avec l’art roman ; au xive et au xve s., elles deviendront gothico-musulmanes. Très nombreuses, on les trouve partout, jusqu’en Espagne du Nord, ainsi à Gérone (bains arabes), au monastère de Las Huelgas de Burgos. Cependant, les deux plus grands centres sont Tolède et Séville. À Tolède, l’église San Román, avec ses arcs outrepassés et ses arabesques peintes, en offre un bon exemple, que surpasse seulement celui offert par les deux synagogues : celle de 1200, transformée en église sous le nom de Santa María la Blanca, celle de 1357, dite « du Tránsito ». À Séville, la plus brillante réalisation est l’Alcazar, commencé vers 1360, non sans remplois provenant de Cordoue et de Medina Azara.

J.-P. R.

 H. Terrasse, l’Art hispano-mauresque des origines au xiiie s. (G. Van Oest, 1936) ; l’Espagne au Moyen Âge, civilisations et arts (Fayard, 1966). / G. Marçais, l’Architecture musulmane d’Occident (Arts et métiers graphiques, 1955).