Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Le plus important, peut-être, des foyers du baroque est la région rhéno-franconienne, dominée par la famille des Schönborn, princes ecclésiastiques. Ils ont surtout un très grand architecte, Johann Balthasar Neumann* (1687-1753), qui, au rebours de beaucoup de ces artistes, est exclusivement constructeur. On lui doit l’église des Vierzehnheiligen, près de Staffelstein, et celle de Neresheim, de même que, pour le principal au moins, le palais de Würzburg, dont l’immense escalier, avec son plafond de Giambattista Tiepold, est sans doute le chef-d’œuvre de cet art.

Dans les régions évangéliques, c’est la création princière qui l’emporte. La Prusse commence par le style quelque peu ostentatoire d’Andreas Schlüter (v. 1660/1664-1714), magnifique sculpteur mais architecte fort discutable au palais de Berlin (détruit). Le Grand Frédéric fait prédominer l’art français à Sans-Souci (v. Berlin) sous la direction de son ami Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff (1699-1753), et y emploie l’ornemaniste Johann August Nahl (1710-1781), qui a travaillé pour les Rohan.

En Saxe électorale, à Dresde*, Matthäus Daniel Pöppelmann (1662-1736) crée le Zwinger, originale enceinte à pavillons destinée aux fêtes de la Cour, et les sculptures de ces pavillons, d’un baroquisme exaspéré, sont l’œuvre de Balthasar Permoser (1651-1732), auteur de la surprenante Apothéose du Prince Eugène. Plus sobre était la très belle Frauenkirche de Georg Bähr (1666-1738), inspirée des salles de théâtre (détruite par les bombardements). Il y a place encore, dans les pays saxons, pour les fragiles créations de la margrave de Bayreuth et notamment pour ses jardins sentimentaux de l’Ermitage.

De l’énorme parc à l’italienne de Wilhelmshöhe, prés de Kassel, aux parcs à la française de Schwetzingen ou de Nymphenburg, sans oublier Veitshöchheim, type unique du jardin rococo, ni le parc à l’anglaise de Wörlitz prés de Dessau, les jardins sont d’ailleurs l’accompagnement obligé des châteaux.

Les peintres allemands du xviiie s. sont surtout des fresquistes, s’attaquant à de grandes surfaces et souvent habiles, notamment les Zick, le père, Johann (1702-1762), à Bruchsal, Januarius, le fils (1730-1797), à l’abbaye de Wiblingen près d’Ulm.


Néo-classiques et romantiques

La réaction contre le baroque avait débuté assez vite en Allemagne, témoin Knobelsdorff élevant l’Opéra de Berlin, dès 1741-1743, dans le goût de Palladio. Néanmoins, le foyer de cette réaction devait être Rome, où les Allemands se firent une place importante dans la seconde moitié du siècle avec l’antiquaire Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), qui publiait en 1764 son Histoire de l’art chez les Anciens, le peintre Anton Raphael Mengs (1728-1779), bon portraitiste dont le froid plafond de la villa Albani passa pour un chef-d’œuvre, la Suissesse Angelika Kauffmann (1741-1807) et Asmus Jakob Carstens (1754-1798), originaire du Schleswig.

Deux villes d’Allemagne, surtout, témoignent du nouveau culte de l’antique, Berlin* et Munich. À Berlin, Carl Gotthard Langhans (1732-1808) élève, à l’imitation des Propylées, la porte de Brandebourg, couronnée par un quadrige du beau sculpteur Gottfried Schadow (1764-1850). Friedrich Gilly (1772-1800) exerça une influence considérable sur ses successeurs par son projet pour un monument funéraire au Grand Frédéric ; Karl Friedrich Schinkel* (1781-1841), son élève, dota Berlin de deux œuvres magistrales : le Corps de garde et le Musée ancien. Comme sculpteur, le gracieux Christian Daniel Rauch (1777-1857) succède à Schadow. À Munich, l’abondant Leo von Klenze (1784-1864) n’a point la distinction de Schinkel, mais la conception d’ensemble de la place Royale, où il fit lui-même la Glyptothèque et les Propylées, est digne d’admiration. Près de Ratisbonne, il édifia le temple de la Walhalla, qu’une situation splendide sauve de la froideur. D’une manière générale, le néo-classicisme architectural a joui, chez les Allemands, d’une popularité immense dont témoignent les ensembles de Friedrich Weinbrenner (1766-1826) à Karlsruhe et de Nicolaus Friedrich von Thouret (1767-1845) à Weimar, tandis que Johann Carl Ludwig Engel (1778-1840) transportait ce style en Finlande.

Il existe un singulier parallélisme entre le succès du néo-classicisme et l’avènement du romantisme*, apparemment son contraire. Des romantismes, pourrait-on dire, car on en discerne deux : un romantisme du Sud, que l’on peut qualifier de catholique, et un romantisme du Nord, plutôt protestant. En 1810, plusieurs peintres, dont Johann Friedrich Overbeck (1789-1869), s’établirent à Rome, au monastère désaffecté de San Isidoro, pour y pratiquer leur art dans une atmosphère de prière. L’objet de ces artistes était de revivifier la peinture par l’étude des anciens maîtres allemands et aussi de Raphaël et du Pérugin. Dès 1811, Peter Cornelius (1783-1867), auteur de dessins pour Faust, rejoignait le groupe, qu’on nomma confrérie des Nazaréens et qui se vit confier certains travaux collectifs. Le retour en Allemagne de Cornelius (1819), appelé à une carrière officielle, fut le signal de la dispersion. Sauf Overbeck, les autres confrères rentrèrent les uns après les autres dans leur pays ; Wilhelm von Schadow (1788-1862), le fils du sculpteur, fit prévaloir un enseignement assez exsangue à Düsseldorf, comme à Francfort Philipp Veit (1793-1877).

Les nazaréens ont certainement joui, en leur temps, d’une plus grande renommée que les romantiques du Nord. Le principal d’entre eux, Caspar David Friedrich (1774-1840), regardait plutôt vers les prairies poméraniennes que vers Rome. Il se lia à Dresde avec le poète Tieck ; les titres de ses tableaux laissent deviner le sens de ses transpositions poétiques (Une croix au bord de la mer, Deux hommes regardent la lune...), mais il est capable aussi de peindre directement à l’aquarelle les nuages qui chassent dans le ciel. Le métier froid et lisse de ses toiles accentue le côté intemporel de son inspiration. Poméranien également, peintre et poète, Philipp Otto Runge (1777-1810) se perdit souvent dans les molles allégories de ses « Heures du jour » jamais achevées, négligeant le vigoureux talent dont il faisait preuve dans ses portraits de famille. Poésie et peinture sont encore bien proches dans les charmantes œuvres décoratives du Hambourgeois Erwin Speckter (1806-1835).