Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

Les grands travaux

Rien n’est négligé d’ailleurs pour que Paris attire les foules et contribue à la gloire du régime. L’essor économique et la volonté du prince s’y traduisent alors par des bouleversements gigantesques. Dès 1852, Napoléon III trace lui-même le schéma directeur des travaux qu’il se propose de voir exécuter. Peu après, il trouve un collaborateur efficace en la personne d’Haussmann (1809-1891), qui fut préfet de la Seine de 1853 à 1870. Le Paris des ruelles étroites cernant la cathédrale, l’Hôtel de Ville, les Tuileries, le Louvre disparaît.

Ainsi, 500 ha environ sur les 3 370 que compte la ville à l’intérieur des fortifications de Louis-Philippe sont rasés. De grandes « percées » sont exécutées : l’axe est-ouest, celui de la rue de Rivoli jusqu’à la rue Saint-Antoine ; l’axe nord-sud avec les boulevards de Strasbourg (1852), Sébastopol (1855-1858), Saint-Michel (1855-1859). Des rocades stratégiques sont dégagées : boulevard Saint-Germain, boulevards intérieurs et extérieurs ; des places, des carrefours symétriques sont aménagés. Les petites maisons étroites et basses font place aux immeubles bourgeois ; le « parapluie » de fer des halles de Baltard s’ouvre alors grâce à l’ingénieur Belgrand. Paris est doté d’un réseau satisfaisant d’adduction et d’évacuation d’eau. Alphand dessine les nombreux parcs que Napoléon III offre aux Parisiens. Là, le goût romantique de l’empereur pour les tracés à l’anglaise désavoue l’amour d’Haussmann pour la ligne droite et la symétrie.

Le bois de Boulogne, ancienne forêt domaniale, est cédé à la Ville de Paris en 1852. Son pendant de l’est, le bois de Vincennes, est aménagé plus tard (1860), de même que les parcs Monceau (1861) et des Buttes-Chaumont (1866-67). En bref, Paris est un gigantesque chantier. Une caricature de l’époque montre des touristes anglais étonnés de n’avoir pas été avertis de « ce tremblement de terre ». Les expositions internationales qui s’y tiennent en 1855 et 1867 ajoutent encore à cette activité fébrile. Ce remodelage urbain n’est pas le seul fait de Paris. On le retrouve à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Lille par exemple.

Un tel programme de grands travaux à de nombreuses conséquences économiques et sociales. Il ouvre des marchés à l’industrie, enrichit la bourgeoisie, procure du travail aux ouvriers. Les vieux quartiers sont assainis, les ruelles étroites favorables aux émeutes, supprimées. Ces travaux facilitent donc le maintien de l’ordre, ce qui rejoint les préoccupations politiques. Mais ils sont aussi une cause de ségrégation sociale. La spécialisation des quartiers, qui se précise, crée par exemple un Paris populaire, dans les quartiers de l’est, distinct du Paris bourgeois.

L’essor économique a donc finalement une double conséquence : d’abord, il consolide le régime ; vivant mieux, les masses acceptent plus facilement le joug politique, surtout si elles ont l’impression que le pouvoir favorise l’expansion. Il tend aussi à modifier l’équilibre social traditionnel. Le second Empire en subira ultérieurement les conséquences.


La politique extérieure


La revanche du congrès de Vienne

Malgré sa déclaration solennelle : « l’Empire, c’est la paix », Napoléon III se doit d’avoir une politique extérieure active pour que l’opinion publique puisse transférer sur la politique extérieure les conflits, les oppositions qui ne peuvent s’exprimer à l’intérieur et parce qu’il recueille l’héritage spirituel de Napoléon Ier. Cet héritage donne à la politique extérieure de Napoléon III un double mobile : effacer l’humiliation des traités de 1815 ; mener à bien la libération des peuples selon le principe des nationalités.

L’Europe conservatrice sait gré à ce « parvenu » d’avoir rétabli l’ordre en France, mais reste attentive à une réédition possible de l’épopée napoléonienne. La Russie demeure la pièce maîtresse d’une éventuelle coalition contre la France. Napoléon III ne peut envisager de constituer l’Europe des nationalités tant qu’il n’a pas dissocié l’Europe de 1815 et substitué sur le continent la prépondérance française à la prépondérance russe. De plus, se souvenant que son oncle a finalement échoué à cause de l’opposition de l’Angleterre, il entend ménager cette dernière puissance. La guerre de Crimée va lui permettre d’atteindre ces buts.


La guerre de Crimée

Depuis la Révolution, les Grecs orthodoxes ont progressivement pris le relais de la France comme protecteurs catholiques des Lieux saints. Intervenant personnellement dans « une querelle de moines », Napoléon III obtient en 1852 que certains droits traditionnels de la France soient restaurés. Ce succès diplomatique est interprété en Orient comme la mise sous protectorat du gouvernement ottoman. Les Russes ne peuvent l’admettre. Le tsar, alléguant son titre de chef religieux des Ottomans, prétend obtenir un protectorat religieux sur les chrétiens de rite grec, sujets de l’Empire ottoman. En 1853, son ambassadeur, le prince Alexandre Sergueïevitch Menchikov (1787-1869), est envoyé à Constantinople pour l’obtenir du Sultan. En fait, le tsar considère l’Empire ottoman comme « un homme malade » dont on peut se partager les dépouilles. Il a, auparavant, offert à l’Angleterre l’Égypte et la Crète, en contrepartie de la suzeraineté russe sur les Balkans. Il a repris ainsi le vieux rêve russe d’atteindre par les Détroits la Méditerranée, ce que l’Angleterre maîtresse des Indes ne peut supporter.

L’Angleterre persuade donc les Turcs de ne pas accéder aux requêtes russes (mai 1853). Dès lors, la guerre éclate. Le tsar fait occuper les provinces danubiennes et détruit une escadre ottomane à Sinop (nov. 1853). L’Angleterre est décidée à intervenir ; la France lui emboîte le pas.

Les hostilités sont ouvertes le 27 mars 1854. Les alliés, sous les ordres de Saint-Arnaud puis de Canrobert pour les Français et de lord Raglan pour les Anglais, décident de porter leur action en Crimée, d’aller détruire à Sébastopol le grand arsenal russe en mer Noire. La place est âprement défendue par Totleben, et le siège dure onze mois. Les alliés repoussent les contre-attaques russes, à Balaklava (25 oct.) et à Inkermann (5 nov.). Les troupes africaines de Pélissier, qui a succédé (mai 1855) à Canrobert, parviennent, au prix de lourdes pertes, à forcer la victoire. La prise de la tour Malakoff (Malakhov) [8 sept.] par Mac-Mahon entraîne la chute de Sébastopol. Le tsar, alors Alexandre II, accepte les conditions des alliés.