Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

La vie économique

La conjoncture économique heureuse des premières années de l’Empire contribue à la stabilité politique. Elle est une alliée de poids pour Napoléon III.

Les économistes ont montré qu’après la période 1817-1851, au cours de laquelle les prix baissent, les années 1851-1873 correspondent à une phase de hausse des prix. Cette inflation est favorable aux producteurs, qu’ils soient industriels, artisans ou agriculteurs. Les récoltes s’écoulent à « bons » prix, et les paysans craignent désormais davantage la baisse des prix que les mauvaises récoltes. L’inflation encourage l’esprit d’entreprise. Ses conséquences sont moins nettes parmi les ouvriers. Les salaires s’élèvent aussi à partir de 1853, mais moins rapidement que les prix. Le fort accroissement du volume de l’emploi atténue toutefois les différences.

Le moteur initial de la reprise économique est, on ne peut en douter, après l’épuisement des anciens courants qui amenaient les métaux précieux d’Amérique latine, l’arrivée massive en France de l’or découvert en Californie en 1848 et en Australie en 1851. L’accroissement de la production aurifère après 1850 est bien, comme l’a dit Michel Chevalier (1806-1879), « un événement d’incalculable portée pour le genre humain tout entier ». L’afflux de l’or multiplie la monnaie, favorise les affaires.

Autre impondérable favorable : à l’exception de la viticulture, victime de l’oïdium, qui fait baisser de deux tiers la production de vin, les débuts de l’Empire correspondent à une période heureuse pour l’agriculture. À part celles de 1853 et 1855, les récoltes sont abondantes ; le paysan vit mieux.

Napoléon III sait au besoin forcer la main à l’expansion. Dès le printemps 1852, le gouvernement intervient avec autant d’autorité dans les « affaires » qu’il le fait en politique. Mettant en application la doctrine saint-simonienne, qui affirme la primauté de l’économique sur le politique, le lien direct entre le développement des affaires, le progrès technique et le bien-être social, une série de décrets imposent le contrôle du chef de l’État sur toutes initiatives. Toute nomination d’administrateur de compagnie ou de société, toute entreprise par actions doit avoir son accord. De même, la conclusion de traités de commerce et l’application des tarifs commerciaux dépendent de lui.


Les banques

Avant toute chose, il faut donner à la France l’équipement bancaire qui lui fait défaut. La Banque de France, à laquelle Napoléon III, en 1857, renouvelle pour quarante ans son monopole de l’émission de papier-monnaie, est étroitement liée à l’État. Elle ne s’intéresse qu’au placement des fonds d’État et ne finance les entreprises que pour son compte. Elle n’est ni une banque de dépôts pour les particuliers ni une banque d’affaires. C’est pour combler la première de ces lacunes qu’est créée, le 28 mars 1852, une banque foncière qui devient, en 1854, le Crédit foncier. Elle doit faciliter aux agriculteurs l’obtention de prêts à long terme sur hypothèques. Elle sera en fait surtout employée pour des biens urbains et favorisera l’essor du bâtiment et de l’urbanisme. Autre réalisation issue directement du saint-simonisme : la création d’une banque d’affaires. Sous la direction des frères Émile et Isaac Pereire, en liaison avec Victor de Persigny, le Crédit mobilier naît en novembre 1852. Il se charge de récolter l’argent des épargnants même les plus modestes par l’émission d’obligations. Il est « l’auxiliaire de toutes les pensées d’utilité générale, encourageant puissamment les efforts de l’industrie et stimulant partout l’esprit d’invention ». Son essor est rapide. Mais l’opposition de la vieille banque, celle des Rothschild et de la Banque de France, bloque finalement, dès 1856, son développement. Il ne peut réaliser son programme d’accaparement industriel. L’entreprise n’en traduit pas moins l’esprit nouveau qui anime alors la vie économique. D’autres organismes bancaires vont travailler dans le même sens : le Crédit colonial (1860) et la Société générale de crédit industriel et commercial, créée en mai 1859 et qui, fusionnant en 1864 avec le Comptoir d’escompte, né en 1848, devient la Société Générale. En 1863 sera créé dans le même dessein le Crédit Lyonnais.


Les chemins de fer

L’industrie ferroviaire est certainement parmi celles qui doivent le plus à la décision du prince et à la nouvelle organisation bancaire. En 1851, la France n’a encore que 3 600 kilomètres de voies ferrées exploitées, réparties en dix-huit petites compagnies. Or, par l’emploi de procédures expéditives, les lignes majeures du réseau actuel sont construites de 1852 à 1856. Paris est relié par rail aux frontières belge et allemande dès 1852. La ligne Paris-Marseille est inaugurée en 1855, puis la ligne Paris-Mont-Cenis est ouverte ; la ligne Bordeaux-Toulouse est achevée en 1856 et la frontière espagnole est atteinte avant 1870. La ligne Bordeaux-Sète joint l’Océan à la Méditerranée.

Procédant d’une politique de fusion, six grands réseaux sont constitués : Compagnie de l’Est (1854), Compagnie du Nord (1857), Compagnie du P. L. M. (Paris-Lyon-Méditerranée) [1857], Compagnie d’Orléans (1857), Compagnie de l’Ouest et Compagnie du Midi. Elles exploitent, en 1858, 9 000 kilomètres de voies appelées bientôt ancien réseau, car, en 1859, l’État passe avec les compagnies des conventions pour la construction de nouvelles lignes ramifiant les anciennes. À la fin de l’Empire, la France disposera de 23 000 kilomètres de voies ferrées.

La rapidité des communications est accrue aussi par la meilleure utilisation des voies d’eau. On note ainsi la création, en 1851, des Messageries maritimes pour commercer avec l’Orient, le Levant, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Les techniques de transmission de la pensée s’améliorent : le télégraphe électrique fonctionne à partir de 1850 ; la poste aux lettres se développe à la suite de l’adoption en France du timbre-poste, en 1848.

Le déplacement des hommes, des objets, des idées devient donc plus aisé. Cela favorise l’éveil d’une vie de relation, l’ouverture du pays, le développement du commerce interrégional et international. Cette révolution des transports marque aussi le triomphe de la centralisation parisienne, le tracé du réseau ferré faisant de Paris la gare terminus de toutes les lignes.