Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

Pour les effets des guerres impériales sur la population, la plupart des chercheurs tombent d’accord pour faire confiance plus aux estimations d’Albert Meynier (un peu plus de 500 000 disparus) qu’à celles, fantaisistes, de Taine (1 700 000 de 1805 à 1815). S’il est vrai que Napoléon lança à Metternich l’apostrophe reprise maintes fois par des historiens hostiles : « Un homme comme moi ne regarde pas à un million de morts », il est faux de concevoir la période impériale comme fatale par ses guerres au dynamisme de la population. Encore faut-il nuancer et dire que ces disparus produisirent un déséquilibre des sexes qui retentit dans une certaine mesure sur le croît démographique de quelques régions. D’une manière générale, si le taux de natalité baisse alors que celui de la nuptialité s’élève, c’est que, dans nombre de familles, bourgeoises notamment, on restreint volontairement les naissances. L’époque connaît une plus grande diffusion des moyens contraceptifs. La recherche du bonheur individuel et de la promotion sociale, née avec la Révolution, rend compte de ce comportement malthusien.

C’est grâce à la baisse de la mortalité que la population augmente. Le phénomène ne date pas de l’Empire, il est décelable dès 1750. Parce que la production agricole ne leur semble pas augmenter de manière importante, parce que la diffusion de l’hygiène ou celle des pratiques préventives telles que la vaccine de Jenner sont restreintes, certains historiens n’expliquent pas le phénomène. En fait, si la production des denrées n’augmente pas, la répartition en est plus équitable : le paysan n’a plus à distraire une partie de sa récolte pour la donner au seigneur, et l’ouvrier achète le pain à bon marché. Il y a là sans doute une cause d’une plus grande résistance à la maladie.

Le fait capital reste donc l’importance numérique de cette population. Dans les limites géographiques de la France actuelle, il y a sous l’Empire de 27 à 28 millions d’habitants. C’est 15 p. 100 de la population de l’Europe, contre 7 p. 100 de nos jours. La répartition régionale ne connaît pas de notables changements par rapport à la période précédente. Les plus fortes densités s’observent encore dans les départements du Nord et de l’Est ainsi que dans ceux de la Seine et de la Seine-Inférieure. Les mouvements migratoires saisonniers pour les travaux des champs, le commerce ou la mendicité sont importants. Plus de 100 000 personnes forment ainsi une « population flottante ». Il est difficile de juger de l’immigration étrangère : la guerre a installé en France des soldats étrangers, prisonniers ou passés au service de la France.


L’économie et la société

En 1813, Jean-Pierre Bachasson de Montalivet (1766-1823), ministre de l’Intérieur, présente au Corps législatif un tableau de l’Empire. Le souci de propagande, en ces heures difficiles, y est évident. Néanmoins, la conclusion vaut par sa justesse d’être rappelée au début d’un bilan de l’Empire.

« Ce degré de prospérité est dû [...] à la suppression de la féodalité, des dîmes, des mainmortes, des ordres monastiques, suppression qui a constitué ou affranchi ce grand nombre de propriétés particulières, aujourd’hui le patrimoine libre d’une multitude de familles jadis prolétaires... »

L’Empire, comme le Consulat, s’inscrit en continuateur de la Révolution. Il garantit la liberté de la propriété et maintient l’égalité. Certes, cette dernière subit des atteintes. Ce ne sont pas celles qui sont apportées par la création d’une noblesse d’ailleurs sans privilège qui doivent retenir l’attention. Celles qui importent, ce sont celles que lui porta une législation ouvrière reprise de l’Ancien Régime et de celle de 1791. L’ouvrier, dans l’exercice de son métier, est l’inférieur du maître. Ces règles du jeu économique et social ont permis à la bourgeoisie de donner libre cours à son énergie créatrice. Son industrie a trouvé auprès d’une paysannerie disposant d’un surplus commercial enlevé au seigneur une clientèle plus vaste, encore agrandie par le blocus.

Inscrite dans une phase de prospérité qui, commencée en 1730, se poursuit jusqu’en 1817, l’économie impériale n’est pourtant pas à l’abri des crises. La crise industrielle de 1810-11 est liée aux difficultés d’approvisionnement en matières premières que le blocus engendre. Elle est encadrée par deux crises, en 1805-1806 et 1812-1815, qui sont des crises de déflation dont le facteur psychologique n’a pas été absent. Malgré les efforts de la période consulaire, la France est un pays où la contraction du crédit reste un fait permanent. La Banque de France ne peut suppléer un réseau bancaire insuffisant. Avec la guerre et le blocus, il y a là une carence qui pèse lourd sur l’économie.

L’agriculture demeure un secteur dominant. Les historiens disputent pour savoir s’il y a eu progrès ou stagnation de la production. Michel Morineau contredit ainsi Ernest Labrousse. Pour celui-là en effet, l’Empire se situe dans une longue période où l’agriculture ne connaît pas de grands progrès techniques, aussi les rendements restent-ils stables. À l’inverse, on répond que l’étendue des surfaces mises en culture s’est accrue et que ceci supplée à cela. De 1803 à 1820, plus de 75 000 hectares furent rendus à la culture, parmi eux des biens nationaux encore libérés. Parfois même, ajoute-t-on, les rendements furent localement élevés. C’est que des commerçants, cherchant un refuge pour leurs capitaux, achetèrent de la terre qu’ils eurent le souci de mieux mettre en valeur. Il en fut de même des ci-devant ; rentrés d’émigration, ils répudièrent l’absentéisme des propriétaires de jadis, leurs ancêtres.

Stagnation ou non ? L’historien qui se méfie des généralisations hâtives faites à partir de quelques monographies se refuse à trancher. Il sait, par contre, qu’il ne faut pas exagérer non plus l’extension des surfaces plantées en culture industrielle. Aussi bien pour les plantes textiles que pour les plantes tinctoriales, pour le tabac et la chicorée comme pour la betterave sucrière, les résultats ne furent pas à la mesure de la volonté impériale. « Le paysan, écrit dans son rapport le préfet de Baume-les-Dames, se conduit moins par le raisonnement que par la vue. Les meilleurs traités théoriques sont pour lui sans effet. Il ne les comprend pas. Il faut le convaincre par des effets. »