Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

Battues à Bailén le 19 juillet, les troupes du général Dupont (Pierre Dupont de L’Étang [1765-1840]) doivent capituler le 22. Au Portugal, celles de Junot sont réduites au même sort, le 30 août. Pour rétablir la situation, Napoléon décide d’intervenir personnellement. Auparavant, il juge nécessaire une entrevue avec le tsar. Resserrer avec lui son alliance, ce sera tenir l’Autriche en respect et garantir ainsi ses arrières. À Erfurt, le 27 septembre 1808, il donne, selon l’expression de Chateaubriand, une des dernières représentations de sa gloire. Talma joue devant un parterre de rois. « À ce vers : « L’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux », Alexandre serra la main de son grand ami, s’inclina et dit : « Je ne l’ai jamais mieux senti. » À Erfurt, Napoléon affecta la fausseté effrontée d’un soldat vainqueur ; Alexandre dissimulait comme un prince vaincu : la ruse luttait contre le mensonge. » (Chateaubriand.) Le tsar est mécontent du Blocus ; sa noblesse vit de la vente du blé et du bois aux Anglais, il ne peut donc continuer à adhérer à un système qui interdit ce commerce. Il est aussi inquiet de l’occupation persistante de la Prusse. Il sait enfin, par Talleyrand, les difficultés présentes de Napoléon. « Sire, lui conseille Talleyrand, c’est à vous de sauver l’Europe et vous n’y parviendrez qu’en tenant tête à Napoléon. » Officiellement, il « conseille » donc à l’Autriche de rester en paix avec la France ; secrètement, il lui fera savoir, le moment venu, par Talleyrand, qu’elle peut tenter un coup de force, sa neutralité bienveillante lui étant acquise.

Le sursis néanmoins accordé à l’empereur français lui permet de rétablir momentanément la situation en Espagne. Les défilés de Somosierra une fois conquis par les charges de la cavalerie polonaise, il entre à Madrid. Croyant rallier le peuple, il y proclame, le 4 décembre, l’abolition de la féodalité et de l’Inquisition. Mais bientôt des nouvelles alarmantes le rappellent à Paris.


La 5e coalition (1809)

Pour l’Autriche, l’année 1809 doit être celle de la revanche d’Austerlitz. Sans déclaration de guerre, l’archiduc Charles attaque en avril la Bavière. Mais, plus rapide que l’Autrichien ne le prévoyait, Napoléon est à pied d’œuvre pour le contenir et le refouler (Eckmühl, 22 avr. 1809). Le 13 mai, Vienne de nouveau retentit de la musique militaire des Français. Mais leurs avant-gardes sont isolées par une crue subite du Danube. De toutes parts, elles sont attaquées par les Autrichiens, qui finissent même par avoir le dessus à la bataille d’Essling, le 22 mai 1809. Une crise de confiance ébranle tout l’Empire. À Paris, la Bourse s’effondre, des intrigues se nouent à la cour impériale ; enfin, dans l’Ouest, la chouannerie recommence. Au Tyrol et en Allemagne du Nord, des insurrections éclatent. Napoléon, en une bataille, va jouer son va-tout. Quittant ses retranchements de l’île Lobau, l’armée française franchit le Danube dans la nuit du 4 au 5 et se bat sur le plateau de Wagram, le 6 juillet 1809. Le maréchal J. A. Macdonald raconte : « Jamais bataille ne lut plus acharnée. Figurez-vous 1 000 à 1 200 pièces de canons vomissant la mort sur près de 350 000 combattants... L’ennemi posté sur des hauteurs, retranché prudemment dans tous les villages, formait une sorte de croissant ou de fer à cheval. L’Empereur n’hésite point d’entrer dedans et de prendre une position parallèle. Sa Majesté me fit l’honneur de me donner le commandement d’un corps et de me charger de percer le centre de l’ennemi ; j’en vins heureusement à bout. »

Son centre en effet écrasé, sa gauche sur le point d’être enveloppée, l’archiduc Charles doit battre en retraite. L’Autriche demande l’armistice. Le 14 octobre, par la paix de Vienne, elle perd la Galicie, divisée entre le grand-duché de Varsovie et le tsar. La France lui enlève une partie de la Carinthie et de la Carniole, la Croatie maritime avec Fiume, l’Istrie et Trieste.


Le mariage autrichien

En 1810, l’Empire est à son apogée ; 130 départements s’étendent de l’Elbe au Tibre et à l’Adriatique, ils rassemblent 45 millions d’habitants. Tout autour, des États vassaux sont gouvernés par la famille de Napoléon : Murat à Naples, Eugène de Beauharnais en Italie, Jérôme en Westphalie, Joseph en Espagne. Des États protégés comme ceux de la Confédération du Rhin, la Confédération suisse et le grand-duché de Varsovie fournissent des hommes, des matières premières et une clientèle. « Fédération politique », le Grand Empire encadre un système économique, le système continental, dont font partie la Russie, la Prusse, l’Autriche, le Danemark et bientôt la Suède. En août 1810, le général Bernadotte, beau-frère de Joseph Bonaparte, y est proclamé prince héritier.

Qui succédera à la tête de cet édifice quand Napoléon disparaîtra ? Joséphine ne pouvant lui donner un héritier, il divorce et épouse la fille de l’empereur d’Autriche, Marie-Louise. « J’épouse un ventre », dira-t-il lui-même, crûment, mais il y a aussi dans cette union, célébrée par procuration le 11 mars 1810, le désir de consolider un pouvoir que les princes en Europe continuent à dire usurpé. Ce que personne ne prévoyait, c’est que l’empereur des Français allait se conduire avec « une femme, jeune, belle et agréable » comme un mari empressé et aveugle. « Ma seule faute dans cette alliance, reconnaîtra-t-il, a été vraiment d’y apporter un cœur trop bourgeois. [...] Ce mariage m’a perdu. » Pour l’heure, il est tout à sa joie : Marie-Louise lui donne un fils le 20 mars 1811. Avec lui, le Grand Empire semble devoir se perpétuer.


Société et civilisation


La population

Les sources d’information dont dispose l’historien sont ici bonnes et abondantes. On le doit à Napoléon lui-même, qui, dans la lignée des grands administrateurs du xviiie s., a le souci de l’information chiffrée. Les efforts du Bureau de la statistique, créé par lui, de même que les soins apportés à cette tâche par les préfets ont permis d’obtenir des dénombrements, en 1801 et 1806. Ils ne sont pas les premiers — ceux de la Révolution les précèdent —, mais ils sont de bien meilleure qualité. Ils donnent pourtant prise à la critique ; les chercheurs les complètent et les corrigent par d’autres moyens d’enquête, comme la reconstitution de la structure d’âges de la population par la méthode régressive. Des monographies régionales ou urbaines (sur Metz, Strasbourg, Nancy et Toulouse) donnent de la réalité de meilleures images ; ainsi, on peut en finir avec certaines croyances héritées des historiens du xixe s. hostiles à Napoléon.