Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

L’impérialisme européen en Égypte

Les successeurs de Méhémet-Ali, poussés par des aventuriers européens sans scrupule, s’engagent dans une politique de réformes qui, loin d’accroître la prospérité du pays, entraîne sa ruine financière et compromet son indépendance. En effet, les divers emprunts contractés à cette fin entre 1862 et 1872 auprès des grandes puissances, notamment la France et l’Angleterre, s’ils permettent aux créanciers européens de réaliser des profits substantiels, ne font qu’aggraver la dépendance de l’Égypte à l’égard de l’Europe.

Au demeurant, certaines puissances européennes, en pleine expansion industrielle et qui sont à la recherche de sources de matières premières, de débouchés pour leurs produits fabriqués et de champs d’investissement pour leurs capitaux, ont les yeux tournés vers la vallée du Nil. Et l’ouverture en 1869 du canal de Suez*, qui constitue une vaste entreprise financière, aiguise davantage, en donnant à l’Égypte une importance particulière, les convoitises et les rivalités des grandes puissances, notamment la France et l’Angleterre.

Les intérêts de la France en Égypte sont d’abord plus importants que ceux de l’Angleterre. Les emprunts égyptiens sont engagés essentiellement sur son marché financier, et le canal de Suez est surtout l’œuvre de capitaux et de techniciens français qui travaillent sous la direction de Ferdinand de Lesseps. Cependant, l’Angleterre exerce une plus grande influence dans la vallée du Nil grâce au développement de son commerce et au rapprochement de son empire des Indes depuis l’ouverture du canal de Suez. Au surplus, pour consolider davantage sa position en Égypte et assurer son contrôle sur le canal, elle achète la grande partie des actions que le souverain égyptien, le khédive Ismā‘īl (1867-1879), détient dans la Compagnie de Suez.

Dans ces conditions, les puissances se trouvent dans l’obligation de mettre un terme pour un temps à leur rivalité en Égypte, afin d’exercer une intervention commune dans ce pays.

Dès 1876, sous prétexte de garantir les intérêts des créanciers européens de l’Égypte, la France et l’Angleterre établissent un double contrôle sur les finances d’un pays dont la situation économique laisse à désirer. La même année, pour soustraire les ressortissants européens à la justice égyptienne, elles imposent au khédive l’institution d’une juridiction mixte ; ces tribunaux, chargés de connaître des différends survenus entre étrangers et Égyptiens, tranchent généralement en faveur des Européens. En 1878, la France et l’Angleterre parviennent à installer deux de leurs ressortissants, un Français et un Anglais, au gouvernement égyptien. Cette situation, ajoutée à l’existence du régime des capitulations qui limite déjà la souveraineté de l’Égypte au profit des puissances européennes, fait de ce pays un véritable protectorat franco-britannique. Bien plus, pour assurer le service de la dette, le gouvernement égyptien aggrave sous l’instigation des deux puissances protectrices un système fiscal déjà fort oppressif en instituant en 1876 un nouvel impôt.

Cette politique va plonger la population égyptienne dans une profonde misère et susciter un mouvement nationaliste qui prend naissance essentiellement dans les classes moyennes. Lourdement touchées par la politique financière, celles-ci supportent mal la domination de leur pays par les puissances étrangères et souffrent de la ségrégation établie par le khédive Ismā‘īl au profit de la minorité turco-circassienne installée en Égypte. La dynastie régnante leur apparaît de plus en plus comme étrangère au pays et peu soucieuse des intérêts de la population proprement égyptienne. En 1877, les nationalistes commencent à publier des journaux où, en plus des attaques dirigées contre le gouvernement, ils lancent pour la première fois la devise « l’Égypte aux Égyptiens », visant aussi bien les puissances européennes que la dynastie fondée par l’Albanais Méhémet-Ali. Leur action provoque en 1879 la chute du ministère Nūbār pacha (1825-1899) et le départ des deux ministres européens, et suscite au sein de l’armée une révolte contre les officiers turco-circassiens. Ce mouvement militaire, dirigé par un officier égyptien, ‘Urābī (ou Arabi) pacha (1839-1911), prend un caractère constitutionnaliste.

Il s’agit pour ses promoteurs d’obtenir des droits politiques pour la population autochtone, lui permettant d’avoir sa place dans la direction du pays pour assurer sa protection contre les ingérences étrangères. C’est pour cette raison qu’ils réclament des réformes dans l’armée, la convocation d’un parlement et l’élaboration d’une constitution. En 1881, ‘Urābī somme, sous l’instigation de la Grande-Bretagne, le khédive Tawfīq (qui succède en 1879 à Ismā‘īl, déposé par le sultan ottoman) de changer de ministère. Celui-ci préfère se retirer, dans la perspective de revenir au pouvoir avec l’aide des puissances étrangères. Ces dernières s’inquiètent du mouvement nationaliste d’‘Urābī, qui risque de les priver d’une position devenue, depuis l’ouverture du canal de Suez et notamment pour l’Angleterre, d’une importance toute particulière. Aussi profitent-elles de sa faiblesse et de son inexpérience pour réagir avant qu’il ne consolide ses positions.

En 1882, une démonstration navale franco-britannique destinée à intimider les nationalistes égyptiens provoque à Alexandrie des manifestations populaires qui font plusieurs victimes étrangères. Pour les grandes puissances, ces incidents constituent un prétexte idéal pour intervenir au nom de la protection de la minorité européenne. Mais le parlement français, soucieux de l’état de l’opinion publique, alors tournée vers « la ligne bleue des Vosges », s’oppose à une intervention armée dans la vallée du Nil. La Grande-Bretagne agit alors seule, occupe le Delta et rétablit le khédive Tawfīq, qui devient son prisonnier. L’Égypte perd désormais son indépendance pour devenir une sorte de protectorat britannique.