Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Église catholique ou romaine (suite)

Innocent IV et Frédéric II

Cinquante années durant, l’Église romaine ne quitta pas le zénith. Et, cependant, les quatre premiers successeurs d’Innocent III (Honorius III [1216-1227], Grégoire IX [1227-1241], Célestin IV [1241] et Innocent IV [1243-1254]), au cours de l’ultime phase de la lutte du Sacerdoce et de l’Empire, eurent affaire à un adversaire redoutable, Frédéric* II. Ce prince érudit était païen de mentalité ; Innocent III, son protecteur, en avait fait un roi de Germanie à condition qu’il renonçât à ses terres italiennes ; or, toute la politique de Frédéric II, couronné Empereur en 1220, consista à restaurer l’Empire romain, Rome étant la capitale dont il rêvait. Après une intervention assez malheureuse en Terre sainte (1228-1229), l’Empereur fortifia son pouvoir en Sicile et en Italie du Nord, et envahit le patrimoine de Saint-Pierre (1240). Excommunié, il voulut en appeler à un concile général, mais Innocent IV, installé à Gênes, puis à Lyon, assembla dans cette dernière ville un concile œcuménique (1245) dont les débats furent dominés par la question impériale : Frédéric II fut solennellement déposé ; il résista vainement jusqu’à sa mort (1250). Ainsi se terminait une lutte d’où l’Empire sortait affaibli pour toujours, mais qui, aux yeux du monde, désacralisa la papauté.


Le siècle de Saint Louis, de saint François d’Assise et de saint Thomas d’Aquin

Le xiiie s. fut heureusement un siècle de sainteté. L’Occident trouva un modèle en Saint Louis (Louis IX), roi de France ; ses vertus le firent surnommer « Fontaine de justice » : à l’intérieur de son royaume comme de l’extérieur on recourait à lui, considéré comme l’arbitre des cas difficiles. L’injustice suprême, aux yeux de Louis* IX, était la possession de Jérusalem par les infidèles (les Turcs avaient repris la ville sainte en 1244). Seul parmi les souverains sollicités par le pape, il prit la croix en 1248, puis en 1270 ; il mourut sous les murs de Tunis le 25 août 1270.

Comme la croisade, l’église (la cathédrale gothique*) apparaît comme une œuvre commune, accomplie dans la ferveur. Une piété naïve mais réelle s’exprime dans les drames liturgiques représentés à Noël et à Pâques dans l’église, puis sur le parvis, dans le culte des reliques, dans une tendre dévotion à la Vierge (saint Bernard), dans les pèlerinages à Rome, à Jérusalem et aussi à Saint-Jacques-de-Compostelle, ville espagnole qui sera, durant le Moyen Âge, un des hauts lieux de l’Occident.

Au xiiie s., la papauté favorise l’apparition des ordres mendiants (Dominicains, Franciscains, Carmes), voués à la pauvreté, à l’évangélisation et à l’enseignement. La charité chrétienne s’exerce principalement envers les malades ; les hôpitaux, les « maisons-Dieu » sont desservis par les ordres hospitaliers (Saint-Jean-de-Jérusalem, Saint-Jacques-du-Haut-Pas). L’ordre de Saint-Lazare-de-Jérusalem se consacre aux lépreux, celui du Saint-Esprit aux enfants trouvés.

La mystique est plus affective que spéculative. Saint Anselme, saint Bernard, sainte Gertrude et sainte Mechtilde insistent sur la méditation de la vie du Christ et de la Vierge. L’école franciscaine ne fera qu’intensifier cette tendance avec Tommaso da Celano, Bonaventure, Ludolphe de Saxe (le Chartreux), Angèle de Foligno.

Dans le domaine du gouvernement de la pensée, les successeurs d’Innocent III intensifient leur action. Les papes disposent pour cela de nouvelles milices : les Dominicains*, qui acquièrent une forte culture théologique, et les Franciscains, qui, malgré le désir de saint François* d’Assise — le poverello — fondèrent aussi des studia, qui s’incorporèrent aux universités. La riche floraison du xiie s. ayant abouti au désordre des croyances, Rome résolut de discipliner les études. Un conflit existait entre les maîtres laïcs et les évêques. En 1231, Grégoire IX trancha en faveur de l’université, mais, en compensation, il y imposa son autorité en matière d’enseignement et des maîtres, et les Mendiants y entrèrent en force.

Vêtus de blanc, organisés d’une manière démocratique, les Dominicains s’adonnèrent à la prédication et à l’étude ; ils brillèrent bientôt dans les chaires des universités occidentales. Leurs conceptions théologiques étaient assez différentes des positions franciscaines : tandis que les fils de François considéraient la métaphysique sous les espèces d’un vaste symbolisme (la nature étant un livre divin à déchiffrer), les Dominicains voulaient rendre intelligibles aux Occidentaux la science et la raison grecques personnifiées dans Aristote.

C’est à Paris surtout que les deux ordres mendiants déployèrent leur activité. L’Université de Paris était depuis le début du xiiie s. le foyer culturel le plus éclatant de l’Occident ; des étudiants venus de toute l’Europe s’y pressaient. Parmi les maîtres parisiens les plus célèbres, il faut nommer les frères mineurs Alexandre de Hales et Bonaventure*, ainsi que les dominicains Albert* le Grand et Thomas* d’Aquin. Ce dernier, surnommé le « Docteur angélique », construisit (notamment dans sa Somme) la synthèse théologique des vérités révélées et la synthèse philosophique des vérités accessibles à la raison : foi et raison s’unissent dans le thomisme.


Vers la Réforme et le déchirement de l’Église


Menaces de toutes parts

Au deuxième concile de Lyon (1274), Grégoire X obtint la soumission momentanée du basileus. Apparemment, la papauté n’avait plus d’adversaires ; l’unification chrétienne semblait faite.

Or, dès 1281-82, l’union de Rome et de Constantinople était rompue, la papauté favorisant en Orient les mirages ambitieux de Charles Ier d’Anjou, dont les partisans furent massacrés en Sicile (Vêpres siciliennes, 1282). Le pape ne put obtenir des souverains la reprise de la croisade. D’autre part, malgré les efforts de deux siècles, le clergé occidental ne respectait guère les canons conciliaires relatifs à la réforme des mœurs : le népotisme et la bureaucratie pontificale limitaient l’action réformatrice de la papauté. Et le pape ne put rien sur la Sicile, qui s’était donnée à Pierre III d’Aragon.