Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

écriture (suite)

Les systèmes d’écriture évoluent donc vers une « économie » de plus en plus grande. Aux systèmes pictographiques, peu explicites pour qui ne faisait pas partie de la communauté, aux systèmes idéographiques, peu économiques dans la mesure où chaque objet est représenté par un signe, succèdent des systèmes économiques par le nombre des signes employés, transmettant une infinité de messages grâce à un minimum de signes (écritures alphabétiques ou syllabiques).

Différentes classifications ont été proposées concernant les divers types d’écriture découverts jusqu’à nos jours. La classification traditionnelle, présentée par Marcel Cohen, est de tendance évolutionniste. Elle distingue trois étapes : les pictogrammes, écriture de type archaïque, figurative, qui représente le contenu du langage, non le langage avec les mots et les sons ; les idéogrammes, signes représentant de façon plus ou moins symbolique le signifié des mots ; les phonogrammes, signes abstraits représentant des éléments de mots et les sons, comme dans les écritures alphabétiques.

Cette classification a été en partie contestée par les recherches ultérieures. A. Leroi-Gourhan remet en cause le premier stade uniquement figuratif et le caractère concret et réaliste des pictogrammes, auxquels il donne le nom de mythogrammes. À la typologie en trois stades, on substitue aujourd’hui une classification en cinq catégories.
a) Les phrasogrammes, inscriptions qui transmettent des messages entiers sans distinguer les mots, sont divisés en deux sous-groupes : les pictogrammes et les signes conventionnels (signes totémiques, tabous, signes magiques, etc.).
b) Les logogrammes sont les marques des différents mots. Le terme, proposé par Leonard Bloomfield*, recouvre la même réalité que celui d’idéogramme. Tous deux désignent les mots, les unités sémantiques du discours. Ils sont de deux types : les logogrammes sémantiques évoquent la forme du phénomène qu’ils indiquent ; les logogrammes phonétiques sont liés au phonétisme du mot ; polysémiques, ils sont employés pour désigner des homonymes.
c) Les morphémogrammes sont les marques des diverses parties du mot, les morphèmes.
d) Les syllabogrammes distinguent les différentes syllabes ; on en trouve dans les écritures assyro-babylonienne et créto-mycénienne.
e) Les phonogrammes sont les marques des éléments phoniques minimaux de la chaîne parlée, les phonèmes. On distingue les écritures phonétiques consonantiques, qui ne marquent que les consonnes (hébreu, arabe), et les écritures phonétiques vocalisées qui marquent consonnes et voyelles.

Nous nous appuierons essentiellement sur la typologie traditionnelle de Marcel Cohen pour développer quelques-uns des types d’écriture actuellement découverts.

Marcel Cohen

Linguiste français (Paris 1884 - Cugand, Vendée, 1974). Disciple d’Albert Meillet*, il se spécialise dans l’étude des langues sémitiques et en particulier de l’amharique. Professeur à l’École des langues orientales (1911-1950), à l’École des hautes études (depuis 1919) et à l’Institut d’ethnologie (1926-1959), il consacre sa thèse de doctorat au sujet suivant : le Système verbal sémitique et l’expression du temps (1924). On lui doit également dans ce domaine un Traité de langue amharique (1936) et un Essai comparatif sur le vocabulaire et la phonétique du chamito-sémitique (1947). Élargissant le champ de ses préoccupations, il se tourne également vers la linguistique générale et plus particulièrement vers les rapports entre les langues et les sociétés. C’est ainsi qu’il dirige en 1924 avec A. Meillet les Langues du monde (2e éd., 1952) et qu’il publie le Langage : structure et évolution (1949-50) et Pour une sociologie du langage (1956). Il devient un spécialiste de l’histoire de l’écriture : la Grande Invention de l’écriture et son évolution (1959) est préparée quelques années auparavant par un ouvrage de dimensions plus réduites, l’Écriture (1953). Marcel Cohen s’intéresse également aux problèmes de linguistique française : Histoire d’une langue, le français (1947), Grammaire et style (1954) et ses chroniques journalistiques réunies en Regards sur la langue française (1950 et 1963).


Le stade du pictogramme

Ce sont des dessins complexes ou une série de dessins qui fixent le contenu du message sans se référer à sa forme linguistique, à un énoncé parlé. Il n’y a pas encore de figuration détaillée du langage. Ce type d’écriture se rencontre chez les populations à groupements denses de chasseurs et de pêcheurs (Indiens d’Amérique, Esquimaux, Sibériens, Africains Bochimans et Océaniens). On distingue : les pictogrammes-signaux, qui sont une sorte d’aide-mémoire servant à déclencher une récitation (comme les strophes des chants peintes sur les robes de peau des sorciers-prêtres de Sibérie), et les pictogrammes-signes, qui portent en eux-mêmes leur signification, qui « parlent à la vue ». Les découvertes de A. Leroi-Gourhan ont remis en question la thèse classique du pictogramme présenté comme le mode d’écriture le plus ancien et le plus rudimentaire. La découverte des incisions régulièrement espacées du paléolithique supérieur apporte la preuve d’un graphisme symbolique non figuratif. Quant aux scènes figuratives des tracés aurignaciens, elles ne seraient pas lues comme l’histoire racontée par un tableau, mais comme des tracés conventionnels, abstraits, servant probablement de « support mnémotechnique » à « un contexte oral irrémédiablement perdu » ; cette manière synthétique de marquage transmettait une « conceptualisation » : chaque marque aurait une valeur d’après sa place dans l’ensemble marqué, comme dans les grottes de Lascaux, où on peut remarquer des rapports topographiques constants entre les figures d’animaux représentés. À ces dessins, Leroi-Gourhan préfère donner le nom de mythogramme.


Le stade de l’idéogramme, exemples d’écritures idéographiques

L’idéogramme est défini par M. Cohen comme « un signe-chose », « un caractère ou un ensemble de caractères représentant une notion qui par ailleurs est exprimée par un mot unique ». Lorsque le signe-chose est lu dans la langue des utilisateurs de l’écriture, il devient un « signe-mot », chaque petite image représentant un mot, chaque mot étant représenté par une seule petite image. Ces dessins dénotent l’objet lui-même, d’une façon plus ou moins réaliste ou stylisée. Le manque d’économie de ce système (chaque dessin représentant un seul signifié) le fait évoluer ; les signes deviennent polysémiques (le dessin d’une massue peut signifier massue puis battre) ou prennent une valeur de tropes (un croissant de lune se lit mois, etc.).