Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

écrit/oral (codes) (suite)

À part les illettrés totaux, de nos jours, les individus prennent connaissance de toutes sortes de messages par la forme graphique, sans qu’il y ait eu auparavant expression orale (publicité, journaux, livres). Quels que soient son niveau socioculturel, sa capacité à utiliser lui-même l’écriture pour communiquer avec les autres, le niveau même du message, le sujet parlant est constamment sollicité par l’écrit, qu’il le veuille ou non. Les différences qui se traduisent par des déficits de l’écrit à l’égard de l’oral et de l’oral à l’égard de l’écrit obligent à constater la complexité des rapports et l’autonomisation de l’écrit par rapport au parlé. La forme graphique tend à se constituer en système d’expression indépendant.

J.-B. M.

➙ Discours (parties du) / Orthographe / Phonétique.

 J. Dubois, Grammaire structurale du français : nom et pronom (Larousse, 1965).

écriture

Représentation concrète, durable, de la langue parlée.


L’écriture est un code de communication au second degré par rapport au langage, lui-même code de communication au premier degré. Alors que la parole se déroule dans le temps et s’y perd, l’écriture a pour support l’espace, qui la conserve. L’étude des différents types d’écriture élaborés par l’humanité a un étroit rapport avec l’étude de la langue parlée, mais aussi avec l’étude des civilisations, de leurs progrès, avec lesquels l’écriture s’est développée. L’étude de l’écriture intéresse donc à la fois le linguiste, l’ethnologue, le préhistorien, l’historien. Une étude de l’écriture se développe donc sur deux plans parallèles : elle tente de mettre en lumière l’histoire de l’écriture depuis son « invention » jusqu’à ses derniers perfectionnements. Parallèlement à cette étude historique, l’étude linguistique tente de dégager les règles de fonctionnement de l’écriture ainsi que ses rapports avec la langue.


La préhistoire, le langage et l’écriture

Plusieurs thèses, depuis l’Antiquité, ont tenté de remonter aux origines du langage : thèses théologiques, pour lesquelles le langage est un don de Dieu et l’hébreu une langue mère ; thèses biologiques, thèses anthropologiques diverses, thèses philosophiques, présentant le langage comme inné, comme acquis ou comme le fruit d’une invention volontaire. Des spéculations nombreuses également concernent l’âge du langage, grâce surtout aux méthodes de la grammaire historique : remontant aussi haut que possible dans la préhistoire, Franz Bopp (1791-1867), qui reconstruit l’état hypothétique de l’indo-européen commun, fixe cette langue au IIIe millénaire avant J.-C., période proche de l’origine du langage selon lui (une chronologie universelle faisait alors apparaître l’humanité vers le IVe millénaire avant J.-C.).

En tout état de cause, les recherches linguistiques touchant à une période préhistorique ne peuvent être appuyées que sur des vestiges archéologiques ou anthropologiques. D’où l’importance des découvertes des types d’écriture les plus anciens : ils sont la première preuve tangible, observable, de l’existence du langage humain ; il y a langage humain dès qu’il y a symbole graphique. André Leroi-Gourhan (né en 1911), paléontologiste, ethnologue et préhistorien, a apporté des vues neuves sur les origines de l’écriture, qu’il situe presque certainement vers 50000 avant notre ère pour le moustérien évolué (incisions régulièrement espacées dans la pierre ou dans l’os) et vers 30000 pour l’aurignacien (figures gravées ou peintes). Vers 20000 la figuration graphique est devenue courante, et, vers 15000, elle atteint une maîtrise technique presque égale à celle de l’époque moderne. Les graphismes, couramment appelés pictogrammes, sont la première grande invention de l’homme dans le domaine de l’écriture ; il s’agit d’un type d’écriture spatial ; certaines de ces écritures évolueront vers la linéarité phonétique, vers des alphabets, reproduisant plus ou moins le phonétisme et la linéarité de la chaîne parlée.


Tendances de l’évolution

Les modifications constatées dans les différents types d’écriture au cours de leur histoire peuvent avoir un certain nombre de causes : les conditions économiques des sociétés dans lesquelles on constate ces modifications ; les progrès intellectuels et plus particulièrement la faculté d’abstraction et la connaissance de la structure de la langue parlée. A. Meillet*, dans un article de la Revue Scientia (déc. 1919), précise : « C’est la structure de la langue qui a conditionné chaque invention décisive dans le développement de l’écriture. »

Cette évolution va d’une représentation figurative du signifié à un code formé de signes abstraits, marques symboliques des sons de la langue : les systèmes d’écriture tendent vers une abstraction de plus en plus grande, jusqu’à devenir de véritables codes de communication — les systèmes d’écriture alphabétiques — dont les signes ont rompu tout lien avec le sens du mot, qui obéissent à des règles et sont soumis à des contraintes spécifiques.

L’évolution révèle ainsi une conscience de plus en plus affinée de la structure de la langue. Parti pour l’essentiel du pictogramme, qui se raconterait sans qu’il y ait de rapport explicite entre le récit dessiné et un énoncé oral, l’idéogramme révèle la prise de conscience des mots distincts de la chaîne parlée, puis, par un effort d’abstraction, de la syllabe. Peu à peu, l’emploi des signes-sons — ou phonogrammes — mêlés aux idéogrammes marque une étape vers une analyse des éléments minimaux phonétiques. On est vraiment sur le chemin de l’écriture lorsque l’on reconnaît que certaines parties de mots sont homophones à des mots entiers : par exemple si on représente chapeau par la juxtaposition des deux idéogrammes chat + pot. Les écritures alphabétiques enfin témoignent d’une conception analytique de la substance phonique du langage.