Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

‘Alides (suite)

À la mort du sixième imām ḥusaynide, Dja‘far al-Ṣādiq, en 765, sa succession fut disputée entre ses deux fils Ismā‘īl et Mūsā al-Kāẓim. Le premier fut l’inspirateur de la secte des ismaéliens, qui parvint au début du ixe s. à fonder la dynastie fāṭimide. Le second est aussi le fondateur d’une secte chī‘ite. Sa lignée s’arrêta à la disparition du douzième imām, connu sous le nom de Muḥammad al-Mahdī (873-874) : depuis, les partisans de cette secte attendent le retour de cet imām.

A. M.

➙ ‘Abbāssides / Chī‘isme / Mahomet / Omeyyades.

aliénation

Mode de description des rapports de l’homme avec les institutions.


L’aliénation a été d’abord uniquement un concept juridique, désignant la transmission de toute propriété d’une personne à une autre. Hobbes a été le premier à utiliser la notion dans la philosophie politique du Leviathan. Pour lui, chaque « membre du Commonwealth » abdique de son droit à s’autogouverner au profit d’un homme ou d’une assemblée qui devient l’unique détenteur du pouvoir : le souverain. En aliénant sa liberté, dangereuse et pleine d’insécurité, le citoyen obtient, en échange, la sécurité et la paix. J.-J. Rousseau va reprendre cette idée, l’approfondir et en faire le centre de sa théorie du Contrat social. Le désistement de chaque membre de la communauté ne se fait plus en faveur de l’unique souverain, mais en faveur de tous. Ainsi « les clauses [du Contrat social] bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de tout associé avec tous ses droits à toute la communauté ». De plus, l’union sera d’autant plus « parfaite qu’elle peut l’être » que « l’aliénation se [fait] sans réserve », et que « nul associé n’a plus rien à réclamer ». L’aliénation devient, chez Rousseau, l’acte volontaire qui fonde tout le corps politique, la base subjective et objective du « contrat social ».

On pense généralement que Hegel, premier grand philosophe de l’aliénation, a emprunté le concept à Rousseau. Il semble pourtant qu’il l’ait rencontré, pour la première fois, dans une traduction du Neveu de Rameau (Diderot) faite par Goethe. Ce serait là l’origine du concept moderne d’aliénation (en allemand : Entfremdung). Mais l’idée remonte beaucoup plus loin dans la pensée allemande et paraît avoir ses origines dans la théologie (thème de l’anéantissement : le Christ a oublié sa condition divine et est devenu semblable aux hommes, selon saint Paul ; thème de l’incarnation). Hegel hérite directement l’idée de l’aliénation divine de la théologie spéculative et fait de l’Entäusserung un concept anthropologico-historique. L’« extériorisation » désigne, dans le système hégélien, à la fois le moment du déchirement tragique et de la médiation logique. Tout être, pour arriver à sa plénitude, est soumis à la nécessité de se poser en s’opposant à soi : il ne peut se réaliser qu’en se séparant de son essence, en devenant un autre que soi, pour pouvoir finalement surmonter l’opposition et dépasser la séparation. Pour Hegel, la réalité n’est autre qu’une aliénation de Dieu, qui « meurt » dans le monde qu’il a produit, de l’homme, « qui ne peut se réaliser qu’en se perdant dans ses propres produits ». L’homme développe un monde objectif où il n’arrive plus à se retrouver. Mais cette déperdition est en réalité un enrichissement et a une profonde rationalité : sans l’aliénation, l’Esprit n’aurait pu conquérir toutes ses possibilités ni réaliser ses ultimes potentialités. La Phénoménologie de l’esprit est l’histoire de l’aliénation du monde et de l’homme, de l’Antiquité à la Révolution française. Le « savoir absolu » réalise la réconciliation de l’homme avec le monde et avec lui-même, et montre à l’homme qu’il ne peut devenir lui-même qu’en étant autre et qu’en assumant cet « être autre ».

Avec Feuerbach, la théorie de l’aliénation perd son caractère universel et se réduit à la critique de la religion. Elle n’est plus un moment de la rationalité, mais exprime l’irrationnel. L’aliénation caractérise la relation qui existe entre l’homme religieux et la transcendance divine ; l’homme s’est dépouillé de toutes ses qualités humaines pour les projeter dans un être supérieur, Dieu : plus il est appauvri, plus Dieu est enrichi. Il s’agit donc de restituer à l’homme ce qu’il a mis en Dieu, c’est-à-dire qu’il retrouve son être générique.

Cependant, c’est Karl Marx qui va donner au concept toute sa richesse critique. Pour lui, « la Phénoménologie de Hegel contient tous les éléments de la critique », mais elle reste « cachée, encore indistincte, d’allure mystique ». C’est que l’homme est ce qu’il produit ; la production matérielle est l’« affirmation de soi », et le produit l’« objectivation de soi ». Dans le régime capitaliste, les deux entrent dans une opposition totale, « l’objet que le travail produit vient s’opposer au travail comme s’il s’agissait d’un être étranger, comme si le produit était une puissance indépendante du producteur ». L’aliénation économique est donc le fondement de toutes les autres aliénations, et la propriété privée, « expression de la vie humaine aliénée », fonde les « mondes illusoires de la religion, de la famille, de l’État, de la science, de l’art, etc. », qui « expriment chacun à sa manière l’aliénation de la vie réelle et seront supprimés par elle ». Et seule cette aliénation économique constitue un enrichissement réel de l’homme, une étape nécessaire pour la réalisation de la véritable histoire de l’humanité : le « communisme ».

La notion d’aliénation est de nouveau au centre du débat philosophique des dernières années et continue sa carrière critique, s’appliquant tout à la fois aux sociétés de l’Est et de l’Ouest, où les « aliénations » ne cessent de se multiplier.

M. K.

➙ Hegel (G. W. F.) / Marx (K.) / Marxisme.