Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dresde (suite)

Plus à l’est, l’autre ensemble, celui de la Place Neuve (Neumarkt), était dominé par l’église protestante Notre-Dame (Frauenkirche, 1726-1743), qui devait à l’architecte Georg Bähr ses masses sévères et son imposante coupole de pierre ; mais elle a été réduite par le bombardement à une ruine si informe que l’on doute de l’opportunité d’une restauration. Tout près, l’Albertinum, un ancien arsenal, abrite la riche collection de sculptures de la ville. D’autres palais, pour la plupart fort mutilés, complétaient le visage baroque de Dresde.

C’est à Dresde que s’est déroulée la part la plus importante de la carrière de l’architecte Gottfried Semper*. Bien qu’il parlât le langage de la Renaissance, il a répandu, par son enseignement, des idées fécondes sur le caractère des matériaux et sur leur usage. Son Opéra de Dresde (1837-1841, reconstruit en 1870-1878 après un premier incendie) a passé, surtout en ce qui concerne la salle, pour le plus remarquable théâtre de l’Allemagne.

Le pont Georgij-Dimitroff, à l’emplacement du vieux pont Auguste qui fut, jusqu’au xixe s., la seule communication entre la vieille ville et la nouvelle (située sur la rive droite de l’Elbe), a dans son axe, du côté de celle-ci, la statue de cuivre repoussé et doré d’Auguste le Fort sur un cheval cabré, dont le projet fut fait par le Français Jean Joseph Vinache. L’édifice le plus renommé de cette ville neuve est le « palais japonais » qu’Auguste le Fort fit transformer par le Français Zacharie Longuelune et par Pöppelmann. Il devait recevoir la très riche collection de porcelaines des Électeurs, d’où les singuliers Hermès asiatiques qui servent de supports. Des jardins, on jouit d’une vue plaisante sur la vieille ville, avec ses coupoles et ses flèches conservées en assez grand nombre.

La ville neuve se prolonge vers la lande de Dresde (Dresdner Heide) par la cité-jardin de Hellerau, édifiée à partir de 1909, qui a été un des laboratoires de l’architecture moderne en Allemagne. Y ont travaillé en particulier Hermann Muthesius et surtout Heinrich Tessenow, dont le « Festspielhaus » (1910-1912), dépourvu d’ornements, est un modèle de sobriété et de distinction élégante.

Le rêve d’Auguste le Fort aurait été sans doute de faire de l’Elbe une sorte de voie d’eau triomphale rappelant le Grand Canal de Venise. Sur la rive droite du fleuve, à Pillnitz, il fit construire par Pöppelmann les deux pavillons de sa résidence d’été, dont l’inférieur touche littéralement l’eau. C’est encore une fantaisie à la chinoise, avec des toits dont les extrémités se rebroussent.

P. D. C.

Dreyer (Carl Theodor)

Metteur en scène de cinéma danois (Copenhague 1889 - id. 1968).


Le climat moral et religieux de son enfance — orphelin très jeune, il est recueilli par une famille puritaine et rigoriste — influencera très profondément la carrière cinématographique de Carl Dreyer. Lorsqu’il est en âge de choisir un métier, il se tourne vers le journalisme après avoir été un moment tenté par l’aéronautique et l’architecture. En 1912, il entre à la Nordisk, une société de production fondée sept ans auparavant et qui tient une place enviable dans la vie cinématographique européenne de l’époque. Son emploi est d’abord modeste — il est préposé à la rédaction des sous-titres —, mais il profite de sa situation pour écrire des scénarios et parfaire sa connaissance du montage. Assistant, enthousiaste et bouleversé, à la projection d’Intolérance de D. W. Griffith, il a la révélation de sa véritable vocation el accepte peu après la proposition qui lui est faite de réaliser sa première œuvre : le Président (1918). À la suite de cet essai brillant (malgré les concessions dues à un scénario quelque peu mélodramatique), il va tourner huit films muets dans différents pays : Feuillets arrachés au livre de Satan (1920, au Danemark), la Quatrième Alliance de Dame Marguerite (1920, en Suède et en Norvège), Aimez-vous les uns les autres (1921, en Allemagne), Il était une fois (1922, au Danemark), Michael (1924, en Allemagne), le Maître du logis (1925, au Danemark), la Fiancée de Glomsdal (1925, en Norvège), enfin la Passion de Jeanne d’Arc (1928, en France). C’est ce dernier film — inspiré par l’écrivain Joseph Delteil, joué par l’actrice de théâtre Falconetti et, dans de petits rôles, par Antonin Artaud et Michel Simon — qui va le rendre célèbre. Cette œuvre devait être classée, lors du référendum de l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, parmi les dix meilleurs films de tous les temps. Elle frappe par sa beauté formelle, son parti pris d’intériorité, cette fascinante liturgie des gestes et des regards, cette sobriété très élaborée qu’un montage particulièrement travaillé rend plus efficace encore, cet acharnement de la caméra à saisir chez Jeanne l’instant précis où le réalisme parfois cruel des traits laisse place à l’« évidence » d’une luminosité spirituelle.

C’est encore en France que Dreyer tourne son film suivant, Vampyr (1931), éblouissante incursion dans le domaine du fantastique et de l’indicible. Mais l’échec commercial est tel qu’il contraint l’auteur à plusieurs années d’inactivité cinématographique. Dreyer, qui a repris son ancien métier de journaliste, devient chroniqueur judiciaire et paraît perdu pour le cinéma lorsqu’une nouvelle chance lui est offerte en 1943 : il réalise Jours de colère (présenté également au public sous le titre de Dies irae), l’un des plaidoyers les plus ardents et les plus convaincus contre l’intolérance et le fanatisme religieux.

Après ce chef-d’œuvre d’une noblesse quasi désespérée, qui est aussi une méditation sur la mort et l’amour, Dreyer ne réalisera plus que deux films : l’un, Ordet (1954), d’après la pièce dramatique du pasteur Kaj Munk* — qui avait déjà inspiré en Suède un film de Gustav Molander —, remporte un grand succès d’estime et la palme d’or du Festival de Venise ; l’autre, Gertrud, présenté en 1964 à ce même Festival, divise profondément la critique et déconcerte plus totalement encore le public par son apparente soumission aux règles de la théâtralité.