Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

développement économique (suite)

L’analyse économique du sous-développement


Le constat du sous-développement

L’analyse économique contemporaine n’a pas retenu l’index du revenu moyen comme critère unique permettant de qualifier un pays de « sous-développé ». Devant la difficulté soulevée pour caractériser le sous-développement à l’aide d’un critère simple et unique, elle a été amenée à proposer en fait une foule de critères distinctifs. C’est après discussion de la situation économique et sociale du pays, pour voir si l’un ou plusieurs de ces critères distinctifs se rencontrent dans ce cas, que l’on peut parler de pays sous-développé ou non.

Ainsi, on a voulu faire parfois de la sous-exploitation des ressources naturelles un critère de la distinction entre économies développées et économies sous-développées. En réalité, ce n’est qu’après un examen approfondi de la situation du pays que l’on pourra dire qu’une économie sous-développée est effectivement celle dont les ressources naturelles paraissent loin d’être convenablement mises en valeur : ce critère n’est pas déterminant, car la sous-utilisation des ressources naturelles s’observe aussi dans des pays déjà développés ; par exemple, les États-Unis, l’U. R. S. S., l’Australie, le Canada paraissent loin d’exploiter intégralement les richesses de leur sol et de leur sous-sol. L’opposition n’est donc pas dans la sous-utilisation elle-même, mais dans les raisons qui la provoquent. Dans les pays développés, l’exploitation partielle des ressources nationales résulte souvent d’un calcul ; elle est volontaire en ce sens qu’on ne met en exploitation que les volumes nécessaires à la satisfaction du marché national : si l’on va au-delà, on obtient des surplus que l’on devra chercher à écouler sur d’autres marchés (cas des surplus agricoles aux États-Unis). Pour les pays économiquement sous-développés, le problème est différent. Ils possèdent d’importantes ressources naturelles, mais n’ont pas la possibilité de les exploiter ; c’est ici qu’apparaît la véritable différence de situation. Par exemple, le Brésil posséderait, d’après certaines estimations, près des deux tiers des ressources mondiales en minerai de fer, mais il n’a guère encore la possibilité d’en tirer avantage, faute d’équipements et de capitaux. Les mêmes remarques valent pour des terres cultivables considérées comme insuffisamment cultivées : c’est souvent le régime foncier qui s’oppose à une intensification de la production agricole ; ainsi, en Amérique latine, le régime d’appropriation du sol conduit à la constitution de très grandes haciendas, dont la dimension excessive représente un obstacle à la culture intégrale des surfaces fertiles.

En définitive, le problème des ressources naturelles ne paraît pas constituer en soi une source d’opposition entre pays développés et pays sous-développés. Ce sont plutôt les possibilités d’exploitation qui peuvent la créer, car, pour exploiter des ressources disponibles, il faut posséder l’équipement et la formation technique. Il faut chercher d’autres critères, permettant de faire le départ entre une économie développée et une économie sous-développée.

Au point de vue économique, on a pu dresser la liste suivante de critères distinctifs : insuffisance alimentaire, manque de capitaux, importance du chômage déguisé, absence d’entrepreneurs, gestion déficiente des entreprises privées et publiques, faiblesse du revenu moyen par habitant et du niveau de vie, faible développement du secteur industriel, emploi de techniques rudimentaires en agriculture, spécialisation de la production agricole (monoculture). Au point de vue démographique, on fait valoir le surpeuplement, combiné à une natalité et à une mortalité élevées. Au point de vue sociologique, on souligne le faible niveau de l’éducation, les mauvaises conditions d’hygiène, la condition inférieure de la femme, le travail des enfants.

Dans la mesure où la plupart de ces facteurs se combinent entre eux, la théorie économique contemporaine a pu mettre en avant des explications assez globales, comme celle de cercle vicieux, qui serait à l’origine d’un blocage du développement. Ainsi, pour Ragnar Nurkse, le bas niveau de la demande et son inélasticité font que les investissements nouveaux se heurtent à beaucoup de risques et même à l’insuccès, de sorte que la seule issue consiste dans une utilisation plus ou moins synchronisée de biens capitaux en un large ensemble d’industries, qui contribuerait à élargir le marché. Un tel processus définirait la croissance équilibrée.


Les politiques du développement

Le renouvellement des analyses théoriques a conduit l’économiste à une formulation en termes nouveaux des politiques du développement. Il est admis que le développement ne peut résulter d’une orientation économique exclusive : le mythe de la priorité à l’industrialisation lourde à tout prix est condamné. Au contraire, on préconise de plus en plus de suivre des politiques de développement diversifiées et intégrées, consistant à réaliser, dans des proportions variables selon les moyens dont dispose chaque pays, à la fois la modernisation de l’agriculture et le développement des industries lourdes et légères. On part de l’idée que le développement doit résulter d’un entraînement réciproque des différentes activités d’un pays. Il est notamment évident que l’existence d’une infrastructure est une condition indispensable. Toutefois, la construction de routes, de voies ferrées, de barrages (comme c’est le cas au Moyen-Orient) ne suffit pas pour entraîner le développement de toute l’économie. Le développement agricole apparaît prioritaire dans un pays qui ne parvient pas à nourrir sa population. Mais une véritable transformation de l’économie agricole n’est guère possible en l’absence d’une industrialisation qui fournira matériel, engrais et moyens de production, et qui absorbera l’excédent de population rurale.

Ainsi, il apparaît que le développement réclame une expansion simultanée de tous les secteurs de l’activité économique. Une telle expansion n’est évidemment possible que si, corrélativement, le marché intérieur s’étend. Le développement exige une stratégie globale, mettant en cause aussi bien le développement des activités productives que l’expansion de la demande intérieure, ainsi qu’un accroissement de la capacité d’innovation*. De telles conditions soulignent que le rôle de l’aide extérieure ne peut être que marginal ; celle-ci doit consister essentiellement à apporter des capitaux initiaux pour les secteurs pouvant exercer un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’activité économique. Une telle conception s’éloigne des conceptions dominantes en matière d’aide extérieure, souvent considérée comme le moyen de maintenir certains pays sous-développés dans une orbite politique donnée ou comme le moyen de créer des débouchés à certaines industries du pays donateur. Plus que jamais semble être fondé le jugement de Ragnar Nurkse, selon lequel « le capital est fait à la maison ».

G. R.