Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Algérie (suite)

En 1914, l’Algérie est un pays bien engagé sur la voie de la prospérité. L’aire de la vigne, qui était de 20 000 ha en 1878, atteint 155 000 ha ; Alger est le deuxième port français. Mais si l’équipement agricole, commercial et industriel est poussé, surtout dans la région côtière, l’équipement intellectuel est plus lent, encore qu’il ne doive pas être minimisé : l’université d’Alger, créée en 1909, délivre, en quarante ans, 5 000 diplômes universitaires, dont 600 à des musulmans. Mais, au niveau des écoles primaires, l’implantation reste insuffisante. La population indigène augmente grâce au développement de l’hygiène et des services médicaux.

Mais subsiste un grave problème de fond : les autochtones ne sont pas assimilés, parce que l’islām, favorisé par l’Administration française, est pour la France inassimilable : l’inefficacité du prosélytisme chrétien est là pour en témoigner. Par ailleurs, l’état d’infériorité des autochtones par rapport aux colons ne facilite pas l’assimilation. Certains jeunes Algériens sortis des écoles françaises accepteraient la citoyenneté française ; mais ils se heurtent d’une part aux « Vieux Turbans », hostiles à toute assimilation, et d’autre part aux colons, qui, en 1937, font échouer le projet de la loi Blum-Viollette accordant la citoyenneté à tous les Algériens.

Ce climat favorise naturellement chez les musulmans les mouvements favorables à l’autonomie, voire à l’indépendance.

P. P.


L’organisation militaire française

Depuis la réorganisation de l’armée qui suivit la guerre de 1870-71, les trois divisions militaires d’Oran, d’Alger et de Constantine ont été rassemblées en un corps d’armée, le 19e, qui prend suite après les dix-huit de la « métropole ». Seuls les territoires du Sud (Aïn-Sefra, Ghardaïa, Ouargla et Touggourt) en sont détachés et constituent depuis 1902 un commandement distinct relevant directement du gouverneur général. Ces territoires sont administrés par des officiers des Affaires indigènes, descendants directs de ceux des bureaux arabes, qui assurent la police du désert avec des unités spécialisées : les compagnies sahariennes. Adopté en 1912, le principe de la conscription ne sera jamais totalement appliqué aux Algériens musulmans. Le nombre des régiments de tirailleurs et de spahis algériens ne cessera pourtant d’augmenter, passant, pour les premiers, de 3 en 1872 à 9 en 1914 et à 16 en 1939.

L’Algérie apportera une contribution importante à l’effort de guerre français en 1914-1918 (170 000 Algériens sous les drapeaux à la fin du conflit).

P. D.


Vers l’indépendance

Il faut attendre les années 30 pour voir le mouvement national prendre corps dans la société algérienne. Jusque-là, la population est soumise à l’influence des marabouts et des confréries religieuses, qui interprètent l’islām dans un sens traditionnel, et qui entretiennent en outre de solides relations avec les autorités françaises. Dans les trois premières décennies du xxe s., il n’y a pas d’action concertée des Algériens contre le régime colonial. Il arrive même que la population s’abandonne au désespoir. En 1911, 800 habitants de Tlemcen décident de quitter la ville pour s’installer en Syrie. Expliquant les raisons de cet exode dans un rapport aux autorités françaises, William Marçais écrit au sujet de la population de Tlemcen : « N’ayant ni le moyen ni le goût de s’adapter aux conditions nouvelles, mais puisant dans sa vitalité même la capacité de souffrir, elle a souffert en silence plusieurs années, puis réagi brusquement. Chez les nomades belliqueux, cette réaction aurait été la révolte à main armée ; chez les citadins, paisibles et conscients de notre force, ça a été la démission pure et simple. »


L’Association des ulémas

Les ulémas, interprétant l’islām dans un sens moderniste, en font un ferment de la conscience nationale. Ils mènent la lutte contre les marabouts au nom d’une doctrine inspirée essentiellement du courant réformiste, qui, dans le dernier tiers du xixe s., particulièrement en Égypte, préconise, sous l’influence de Djamāl al-Dīn al-Afrhānī (1839-1897) et de Muḥammad ‘Abduh (1849-1905), la purification de l’islām.

En 1935, des ulémas formés en Orient et à Tunis se regroupent dans une association qui se propose de régénérer l’islām. Grâce à Abd el-Hamid Ben Badis, la plus forte personnalité de l’islām maghrébin, l’Association des ulémas acquiert très vite une grande autorité sur la population. Son action se situe à un niveau religieux et culturel. Il s’agit plus précisément de restaurer l’islām dans sa pureté primitive et de propager parmi la population la culture arabo-musulmane selon des méthodes modernes, afin, dit Ben Badis, que l’étudiant puisse assimiler « tant le modernisme que toute la culture de notre époque au moyen de la langue arabe ». Pour atteindre ces objectifs, les ulémas mènent dans deux périodiques, l’hebdomadaire al-Bassair (les Visées de l’avenir) et le mensuel al-Chihab (le Météore), une campagne contre le mysticisme et le maraboutisme et en faveur du triomphe des idées réformistes de Muḥammad ‘Abduh. Parallèlement, ils créent, jusque dans les douars, des écoles libres, qui rencontrent un grand succès auprès de la population.

Mais l’activité des ulémas, si elle prend des aspects religieux et culturels, ne se situe pas en dehors de la politique. Bien au contraire, leur Association compte sur les forces d’un islām rénové pour régénérer le pays et le mener vers l’indépendance, d’autant plus que l’islām constitue la négation même de toute forme d’assimilation.

C’est au nom de ces principes que le président de l’Association des ulémas Ben Badis mène une rude campagne contre les marabouts et contre la politique d’assimilation préconisée par les Fédérations d’élus, qui cristallise les aspirations d’une partie des « évolués algériens ».

En réponse à la profession de foi antinationaliste développée en février 1936 par Farḥāt ‘Abbās, Ben Badis affirme l’existence de la nation algérienne et s’oppose avec vigueur à l’assimilation. Toutefois, tout en proclamant que « l’indépendance est un droit naturel pour chaque peuple de la terre », il est hostile au principe d’une lutte sanglante. Il compte sur la volonté de la France pour conduire pacifiquement l’Algérie vers l’indépendance.