Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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démographie (suite)

Malthus et le malthusianisme

Alors que la renommée de Graunt, fondateur de la démographie scientifique, ne dépasse pas le cercle étroit des démographes professionnels, celle de son compatriote Thomas Robert Malthus* (1766-1834) s’étend à un vaste public, pour qui le nom du pasteur anglais symbolisera un certain type d’inquiétude quant à l’évolution démographique.

Les idées de Malthus sont contenues dans son Essay on the Principle of Population, publié anonymement en 1798 et réédité à cinq reprises, de 1803 à 1826, sous une forme beaucoup plus documentée et argumentée que l’édition originale, essentiellement théorique et pamphlétaire.

L’essai de Malthus est d’abord une réponse aux vues optimistes, quant à révolution de la raison, de la science, de la technique et de la population, de W. Godwin et de Condorcet. La situation démographique de l’Angleterre à la fin du xviiie s. ne lui paraît pas justifier la croyance en des mécanismes régulateurs automatiques de nature à éviter le danger de surpopulation ; une forte croissance de la population anglaise s’est en effet accompagnée d’une détérioration, au moins relative, de la situation alimentaire, dont le mouvement des « enclosures » porte la part de responsabilité principale : la clôture des « openfields » s’est traduite par la création de pâturages aux dépens de zones emblavées ; d’où un rendement moindre du sol en termes caloriques et une production de viande inaccessible aux classes pauvres ; d’exportatrice, l’Angleterre était devenue importatrice de blé. Précisons encore que les considérations de Malthus se placent à l’époque de la loi des pauvres, régime d’assistance publique donnant droit pour les indigents à certains secours, qu’une décision de 1795 rendit plus généreux encore.

L’argumentation de Malthus a comme point de départ la disparité, qu’il crut reconnaître, entre les croissances possibles de la population, d’une part, et des moyens de subsistance, d’autre part ; selon lui, la population peut croître en progression géométrique, alors que les subsistances ne sauraient augmenter qu’en progression arithmétique. Malthus croit possible un doublement de la population tous les vingt-cinq ans et trouve une confirmation à cette croyance dans la croissance de la population américaine ; par contre, il n’étaye pas son affirmation concernant l’augmentation possible des produits de subsistance, mais on peut y voir une formulation déguisée de la fameuse loi des rendements décroissants.

Ces vues pessimistes inspirent à Malthus des remèdes : le pasteur anglais voudrait substituer au mécanisme de régulation naturelle de la croissance démographique (guerres, famines) des moyens préventifs, essentiellement le célibat prolongé et la chasteté. Mais, dans le même temps, il recommande l’abolition de la loi des pauvres, loi inefficace et nuisible même, puisqu’elle encourage l’imprévoyance et ne fait qu’aggraver la situation ; il a d’autre part cette réflexion cruelle : « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si ses parents ne peuvent le nourrir et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture (et en fait il est de trop). Au grand banquet de la Nature, aucun couvert n’est mis pour lui. La Nature lui commande de s’en aller et ne tarde pas à mettre sa menace à exécution. »

Ce sont ces dernières prises de position qui ont soulevé et soulèvent encore tant de passion autour du nom de Malthus. Malthus, à la différence de Godwin, ne se fait pas le défenseur d’une société égalitaire : les principes politiques qu’il dégage de son analyse démo-économique passeront pour avoir comme but essentiel, en donnant bonne conscience aux classes possédantes, de renforcer l’ordre social existant.

Les disciples et continuateurs de Malthus (les Anglais Francis Place [1771-1854] et George Drysdale, l’Américain Charles Knowlton [1800-1850]) approfondiront les analyses du pasteur anglais sur les inconvénients d’une forte fécondité et les avantages d’une limitation des naissances ; rejetant les moyens préconisés par Malthus, ils répandront, sans aucun préjugé, tous les moyens propres à prévenir les conceptions. Bien accueilli par quelques bons esprits du temps, tel John Stuart Mill en Angleterre, le néo-malthusianisme bénéficiera de la publicité retentissante que lui assureront quelques procès célèbres (Annie Besant en Angleterre en 1877, Margaret Sanger [1883-1966] aux États-Unis au début du xxe s.).

D’agressif qu’il était dans sa phase d’expansion, le mouvement néo-malthusien est devenu, à la suite de son acceptation par certains États et diverses confessions, beaucoup plus constructif ; le changement de dénomination, intervenu récemment en Angleterre, de la « National Birth Control Association », devenue la « Family Planning Association », est, à cet égard, tout à fait significatif. Dans le même temps, les prévisions pessimistes de Malthus quant à l’évolution comparée de la population et des subsistances ne se sont pas vérifiées : en s’en tenant au xixe s., la population de l’Europe a pu plus que doubler en même temps que le niveau de vie augmentait.

Si les qualificatifs de malthusien et de malthusianisme* font encore fortune de nos jours lorsqu’il s’agit de caractériser toute attitude d’opposition à l’expansion, qu’elle soit de nature démographique ou économique, leur filiation avec la pensée du pasteur anglais est bien faible... Quant au « birth-control », autre héritage de Malthus, il est maintenant bien plus qu’un comportement permettant de limiter la dimension des familles ; en commandant à la fécondité humaine, il permet non seulement de ne pas dépasser le nombre d’enfants désirés, mais encore d’assurer l’espacement souhaitable entre les naissances : il conduit à une véritable planification de la dimension des familles. Les deux tiers de l’humanité sont cependant rebelles à l’adoption des techniques conduisant à une telle planification.

R. P.

➙ Malthus / Malthusianisme / Mortalité / Natalité / Nuptialité et divortialité / Population / Recensement / Vieillissement de la population.