Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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démographie (suite)

Curieusement, les continuateurs immédiats de Graunt se trouveront parmi les astronomes et les mathématiciens. Edmund Halley (1656-1742), immortalisé par ses travaux sur la comète désignée par son nom, construisit la première table de mortalité fondée sur une information de base solide : les relevés paroissiaux, à Breslau (Wrocław), en Silésie, des naissances et des décès, ces derniers avec mention des âges (ce qui manquait dans les relevés utilisés par Graunt, relevés par ailleurs assez peu systématiques) ; de plus, Halley discuta fort pertinemment des problèmes théoriques posés par l’utilisation de telles données. Toujours dans l’ordre de la mortalité, Willem Kersseboom aux Pays-Bas (en 1740), Antoine Deparcieux (1703-1768) en France (en 1746), Bernoulli en Suisse (en 1760), Pehr Wilhelm Wargentin (1717-1783) en Suède (en 1766) apporteront des contributions marquantes.

On peut clore cette période des débuts de la démographie en signalant les travaux magistraux du pasteur allemand Johann Peter Süssmilch (1707-1767), contenus dans les éditions de 1741, de 1761-62, puis de 1765 de Die göttliche Ordnung (l’Ordre divin). Travaillant à partir des données sur les naissances, mariages et décès de 1 065 paroisses du Brandebourg et sur certaines estimations concernant la population de villes et de provinces de Prusse, Süssmilch calcula maints indices statistiques, tels les rapports de la population aux naissances, mariages et décès, ceux des naissances aux mariages, ceux des décès d’un âge donné à l’ensemble des décès à tous âges, etc. Il construisit des tables de mortalité pour une région urbaine et une région rurale de l’Allemagne, et il proposa dans l’édition de 1765 de son livre une table pour l’ensemble de la Prusse ; il reconnut encore l’existence d’un minimum dans la fréquence des décès, vers l’âge de quinze ans. Lui non plus ne se borna pas à fournir des descriptions statistiques ; il chercha à interpréter les résultats, à remonter aux causes. C’est ainsi que son attention se porta sur les raisons de la baisse de la fécondité : il reconnut l’influence des maladies, de l’âge au mariage, du veuvage, de l’allaitement maternel prolongé, etc. Il imputa la baisse de la nuptialité à la surpopulation rurale ; le dépeuplement des campagnes françaises lui apparut comme une conséquence des charges fiscales écrasantes supportées par les paysans.

La pyramide des âges

La pyramide des âges est un mode de figuration de la répartition d’une population par sexe et par âge. Considérons celle de la population française au 1er janvier 1970.

Les âges, à cette date, sont portés sur l’axe vertical central ; leur correspondent des années de naissance rappelées à droite et à gauche, la partie droite de la pyramide étant réservée à la population féminine, tandis que la partie gauche concerne la population masculine.

À chaque année d’âge, donc à chaque « génération », on fait correspondre un rectangle dont la longueur est proportionnelle à l’effectif de cette génération, mesuré selon les échelles portées en bas de la pyramide. Ainsi, la génération masculine ayant cinq ans révolus au 1er janvier 1970, donc née en 1964, avait à cette date un effectif de 442 800 ; elle est donc représentée par un rectangle de la partie gauche de longueur 442,8.

La pyramide va en s’effilant vers le haut (ce qui justifie son nom), en raison des réduction opérées par la mortalité, réduction d’autant plus importantes que les générations sont plus âgées.

Mais de nombreux événements, plus ou moins exceptionnels, ont marqué le passé démographique des pays, de sorte que, le plus souvent, les pyramides ont une allure beaucoup plus tourmentée que celle que leur donnerait la simple action de la mortalité. C’est le cas de la pyramide de la population française.

« Lisons » la pyramide en commençant par le haut. Aux âges élevés, en raison de la surmortalité masculine, qui sévit à tous les âges (et bien qu’à la naissance on trouve plus de garçons que de filles [105 pour 100]), il y a une dissymétrie sensible de la pyramide à l’avantage des femmes. De plus, en raison des pertes humaines importantes subies par les générations 1885 à 1900 pendant la Première Guerre mondiale, la fraction masculine de la pyramide est particulièrement déficitaire aux âges correspondants (de 70 à 85 ans environ aujourd’hui).

Entre cinquante et cinquante-cinq ans, on enregistre une entaille profonde, symétrique cette fois ; il s’agit du déficit important de naissances, concernant les générations 1915 à 1919, causé par la séparation de nombreux couples et les mariages différés du fait de la Première Guerre mondiale.

Après cette dernière, il y a eu récupération — très partielle — de ces naissances, ce qui explique que les générations 1921 et 1922 soient nettement en saillie.

Puis, une seconde brèche se dessine, moins profonde, mais étendue sur un plus grand nombre de générations : se conjuguent ici les effets sur la natalité du mouvement à long terme de baisse de la fécondité, de la diminution du nombre des mariages, causée par l’arrivée à l’âge de nuptialité des classes creuses 1915-1919, et enfin de la séparation de nombreux couples et des mariages différés consécutifs à la Seconde Guerre mondiale. Par contre, il n’y a pas eu, du fait de cette guerre, de brèche sensible dans les générations masculines en âge de participer au conflit (générations 1905 à 1920 environ) : les pertes en hommes ont été infiniment moins nombreuses que durant le premier conflit mondial.

La hausse des naissances à partir de 1946, due d’abord à la récupération faisant suite à la fin de la guerre, puis à la reprise de la fécondité, assure à la pyramide une base très élargie.

On voit ainsi combien les empreintes sur la population française, laissées par les événements des quatre-vingts dernières années, sont solidement inscrites. Encore n’ont été retenus, dans la description précédente, que les faits les plus marquants, mais on pourrait entrer dans une description plus minutieuse ; c’est ainsi que l’on doit rattacher la petite encoche qui affecte symétriquement la génération 1911 (groupe d’âge 58 ans) à la forte mortalité infantile subie par cette génération : il est en effet décédé, cette année-là, 157 enfants de moins d’un an pour 1 000 naissances, contre 111 et 104 dans les générations encadrantes.