décoration intérieure (suite)
L’un, à caractère ludique, constitue la négation même d’un mobilier structuré : éléments séparés se prêtant à toutes les combinaisons et à tous les services (cubes de mousse de Quasar, meubles puzzle), sièges informes qui ne prennent forme que lorsqu’on s’y assied (« Sacco » de Gatti-Paolino-Teodoro, serpents de P. Paulin). Ce genre de meuble répond souvent à un style de vie à ras du sol. À la limite, le meuble se fait gadget : meubles animaux de Claude et François Xavier Lalanne, qui, sous leur aspect de gag (chat en laiton qui s’ouvre pour devenir à la fois cave à liqueurs et chauffe-plat), satisfont le goût « des choses marrantes » (Jean Prévot) et font du mobilier un objet de consommation.
À l’opposé, le meuble à usages multiples constitue une limite en soi : bloc-chambre en résine de polyester de Marc Held ; pièce unité de René-Jean Caillette, ou encore ce « bloc unique », à l’état de prototype, dû à l’architecte italien Alberto Seassaro, repliable et déplaçable, et comportant lit, table, bar, bibliothèque. Le Japon est le pays par excellence des « convertibles » soit semi-automatiques, soit automatiques (cellules photo-électriques ou systèmes de transistors incorporés).
L’équipement intégré a permis l’utilisation des vides de l’espace à des fins esthétiques. « Pour certains, le vide est indigence ; pour d’autres, il est l’occasion de se mouvoir, de penser librement », déclare Charlotte Perriand, dont le style dépouillé doit beaucoup au Japon. L’espace intérieur peut être modelé en fonction de la nature extérieure, qui en est en quelque sorte le prolongement. C’est là une idée chère à Charlotte Perriand et à Frank Lloyd Wright. Cependant, depuis 1973, le bois et les matériaux naturels (rotin, bambou, osier) font un retour en force traduisant une réaction contre la froideur de l’acier et du plastique ainsi qu’une nostalgie du passé (style rétro) associée au goût de l’exotisme (meubles inspirés de la Chine).
Espace vivant grâce au mobilier transformable et à l’intégration du cadre extérieur par de larges baies, le décor intérieur l’est aussi grâce au modelage des volumes par la lumière artificielle, dont il faut « tirer un parti en quelque sorte plastique » (Jacques Dumond). Depuis l’apparition du fluorescent, l’art de s’éclairer s’est diversifié : lampes incorporées, spots orientables et murs lumineux (mur de lumière de Disderot, « mur éclairant » de Roger Landault). Directe ou indirecte, brutale ou tamisée, colorée ou naturelle, la lumière a acquis une fluidité inconnue jusqu’alors, et la combinaison de ces qualités multiples contribue à créer une ambiance. « Espace polyvalent », « espace évolutif », autant de termes traduisant la conception d’un décor en perpétuelle mutation. Romuald Witwicki (né en 1944) illustra cette formule, en 1969, avec l’aménagement d’un studio new-yorkais, d’espace relativement restreint, et qui devient le théâtre de changements à vue permanents : l’éclairage savamment dosé compose une suite de trois volumes « progressant de l’obscurité à la lumière » ; des projections de diapositives animent les « surfaces neutres » ; enfin, des éléments de rangement et les meubles eux-mêmes modifient par des combinaisons multiples le volume de la pièce. Mais il ne s’agit là que d’une première phase : on prévoit l’entrée en scène de l’ordinateur, créateur d’ambiances programmées et capable de régler musique, climatisation et lumière colorée, car désormais « le sentiment propre à chacun s’exprimera davantage dans une ambiance que dans l’objet lui-même » (Étienne Henri Martin).
S. L.
➙ Décoratifs (arts) / Design.
M. H. Berthoin (sous la dir. de), l’Habitation et son décor (Larousse, 1965). / G. Savage, A Concise History of Interior Decoration (Londres, 1966 ; trad. fr. Histoire de la décoration intérieure, Somogy, 1967). / H. Hayward (sous la dir. de), World Furniture (Londres, 1967 ; trad. fr. le Meuble dans le monde, Flammarion, 1967). / P. Renoux, Portraits de décorateurs (H. Vial, 1969). / La Décoration (Denoël, 1973).