Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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décoration intérieure (suite)

L’industrie de l’ameublement connaît cependant, en France, des difficultés implicables à la trop grande dispersion des unités de fabrication et des points de vente. La production en grande série est freinée par les commandes parcellaires du petit commerce. Sur le plan commercial, notre marché intérieur ne progresse que de 2,5 p. 100 par an, ce qui nous situe loin derrière les Allemands et les Britanniques. D’où la nécessité de concentrations ou de groupements d’intérêt économique pour lutter contre la concurrence du Marché commun et celle des grandes surfaces. Cela ne signifie pas pour autant l’absence, dans ces pays, d’unités de production importantes (Cassina, Busnelli). Le mobilier italien a pris une place de premier plan sur le marché européen avec des créations audacieuses, telles celles de Gio Ponti, de Carlo Mollino, de Joe Colombo, etc., et il a inspiré le style du mobilier de plastique aux couleurs vives que nous avons vu fleurir un peu partout dans les boutiques. Le succès de l’industrie italienne est le résultat d’une production organisée (marketing) et de la politique d’encouragement du gouvernement à toute forme d’industrialisation, source d’expansion. Avant d’être fabriqués en grande série (en polystyrène), les modèles sont souvent lancés sur le marché sous forme de prototypes de petites séries (en polyéthylène). Le mobilier scandinave, qui a si fortement influencé le mobilier européen des années 50, se caractérise toujours par la beauté du matériau. Le plastique a été traité par le designer danois Poul Cadovius. Une lignée de créateurs célèbres, tels Kaare Klint (1888-1964), Karl Bruno Mathsson (né en 1907), Alvar Aalto (1898-1976), Eero Saarinen (né en 1910), Hans Wegner Finn Juhl (né en 1912), témoigne de la collaboration établie dès 1920 entre l’industrie et l’art. Aux États-Unis, des géants industriels comme Knoll International ou Hermann Miller n’éditent qu’un mobilier conçu par des architectes ou des designers (Harry Bertoia). Les productions britannique (Allan Tye, Robin Day, Patrick Ryland) et allemande (R. O. Weber, E. C. Pullirsch, Konrad Schäfer) témoignent d’un souci de confort, parfois même au détriment de l’esthétique. Les échanges entre pays européens devront favoriser l’éclosion d’un style internationalisé.


Caractéristiques de la décoration intérieure contemporaine

Insensiblement, au gré de l’évolution du mode de vie, des techniques et des matériaux sans cesse renouvelés, s’édifie le style de la décoration intérieure contemporaine. L’architecture contemporaine, avec ses surfaces de béton brut, ses grandes vitres lisses et la plasticité illimitée des matériaux nouveaux, a engendré un style où prime le souci de la forme lié à la recherche du dépouillement.

Le bois lamelle et courbé, avant même 1930, inspirait à Alvar Aalto la création d’un mobilier aux lignes très pures, suivi dans cette voie par Arne Jacobsen (1902-1971), Charles Eames (né en 1907) et Karl Bruno Mathsson. Cette beauté de la forme allait assurer, après la Seconde Guerre mondiale, le succès de la production scandinave. Le plastique opaque, translucide ou transparent donna lieu à une recherche de formes totalement inédites (Raymond Loewy), en particulier dans le domaine du siège, où l’imagination créatrice contemporaine se donne libre cours. Après les sièges en plastique moulé d’Eero Saarinen et les sièges grillagés de Harry Bertoia, on a vu apparaître les « gonflables » de Quasar, les « vagues » de Bernard Govin, l’œuf pivotant de Hugues Poignant, le siège serpentin de Pierre Paulin, le « Sylène », fauteuil fleur de Hecht et Dumas, le fauteuil papillon créé par César. La « fosse de conversation » de Jean-Claude Maugirard, avec ses sièges intégrés, représente une formule moderne de coin salon.

La mousse de plastique accentue sa poussée : lits en mousse rigide ou bloc mobilier intégré en mousse de polyuréthane de densités diverses, créé par Quasar. L’aluminium et l’acier, matériaux favoris de Jacques Hitier, Jean Royère et Charlotte Perriand, sans oublier le promoteur Marcel Breuer (chaise longue formée d’un seul tube d’acier, 1928), sont actuellement très en vogue : objets d’environnement, piétements de tables, meubles entiers (Michel Boyer, Jean Garçon, François Monnet, Maria Pergay, Françoise See). L’aluminium est traité en panneaux modulés pour des revêtements muraux, et J. Ribeyre en a même tiré, à titre décoratif, un cactus flamboyant.

Les matériaux nouveaux ont largement contribué à la transformation du décor traditionnel de la cuisine et de la salle de bains : stratifiés gaiement colorés, émail vitrifié, grès émaillé, acier inoxydable, mosaïques de pâte de verre. Le mobilier culinaire est caractérisé par des éléments à usages multiples, souvent escamotables. Les appareils sanitaires, fabriqués à partir de matériaux traditionnels (fonte, céramique) ou nouveaux (acier, polyester armé), s’encastrent et revêtent des formes nouvelles (baignoire ronde de Lionel Morgaine). « Tout en un », la cuisine l’est sous forme du bloc-cuisine circulaire que l’on peut placer au centre d’une pièce, et la salle de bains l’est devenue avec l’apparition de la cellule monobloc moulée qui, pour toute installation, ne nécessite qu’un seul raccordement.

Les dimensions réduites de l’appartement moderne ont entraîné une modification dans son aménagement. L’espace cloisonné n’est plus, comme par le passé, le théâtre d’une seule activité mais de plusieurs. Le décorateur a été, ainsi, amené à redistribuer les volumes intérieurs et à créer un espace vivant, c’est-à-dire adaptable à des besoins changeants, et en fonction des zones de circulation et des zones d’activité. Mobilier, couleurs, lumière participent à ce remodelage de l’espace. Pour Le Corbusier, le mobilier devait faire « partie intégrante de la machine à vivre » sous forme d’un équipement standardisé et universel. Dès 1925, il présentait à l’exposition des arts décoratifs, des casiers standards qui, diversement assemblés, servaient à la fois de volumes de rangement et de cloisons partielles ou totales. À l’opposé de cette conception, Frank Lloyd Wright (1869-1959), architecte américain, a toujours prôné un mobilier individualisé dessiné en fonction même de l’architecture de la maison : mobilier hexagonal pour une habitation de même type. Cette intégration du mobilier à l’architecture aboutit à la disparition progressive des meubles traditionnels (armoire, commode, bahut) au profit des placards encastrés et des éléments de rangement juxtaposables. Le mobilier devient immeuble ; l’espace ainsi libéré est désormais disponible pour un mobilier volant (tables légères, tabourets) et pour les sièges. Les tabourets, qui jouent aussi le rôle de tables basses, deviennent, une fois empilés, casiers à rangement. Un meuble peut être escamotable, démontable (M. de Fabio Lenci), pliable, roulable, superposable. Cette possibilité de transformation a donné lieu à deux types de mobilier de tendances opposées.