Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

dada (mouvement) (suite)

Sortie des artistes

Les extrêmes dadaïstes ne s’excluent pas. De même qu’Arp sacrifie un instant à la géométrie pure avant de se consacrer à une morphologie amiboïde, Duchamp est préoccupé vers 1920 par le cinétisme (Rotative plaque verre ou Optique de précision), tandis que Picabia orne ses toiles de cercles concentriques (Optophone, 1921 ; la Nuit espagnole, 1922). À l’opposé de ces jeux rétiniens se situerait la référence au hasard, dont l’exemple le plus ancien est fourni par les 3 Stoppages-Étalon de Duchamp (1913-14), obtenus grâce à la disposition prise « à leur gré » par trois fils d’un mètre de longueur tombant d’une hauteur d’un mètre. Richter peignant au crépuscule ses Portraits visionnaires (1917) ou Schwitters intégrant au fur et à mesure dans son Merzbau les épaves ramassées dans la rue apportent d’autres exemples de cette voie privilégiée d’accès à la « pureté ». Car, à la limite, ce que l’artiste « signe », ce n’est pas seulement ce qui répond à un désir informulé, mais tout ce qui se rencontre sous sa main, ou tombe sous son regard, ou encore s’ébauche dans son esprit. Et presque un demi-siècle avant l’art conceptuel, Picabia suggérait de donner comme œuvres d’art les photographies de boules lancées par un artiste sur un billard (cf. André Breton, les Pas perdus) ! C’est que sans doute, dans dada, le nihilisme et l’espérance furent aussi puissants l’un que l’autre et parfois aussi totalement imbriqués que les dents de deux fourches croisées. L’humour, qui se marque souvent par l’indifférence des auteurs à l’égard de leurs propres œuvres, n’empêche pas qu’avec dada la création artistique reprend conscience de sa gravité en face d’un monde tragique et grotesque à la fois. Créer une œuvre d’art est chose grave aux yeux de ces « gauchistes » de l’activité artistique : ils en sont persuadés jusqu’au cœur de leurs facéties, de leurs refus, de leurs sacrilèges quotidiens. Quel insatiable amour de la peinture, au fond, même chez Duchamp et Picabia ! Certes, la faiblesse théorique de dada ne permettra pas longtemps à ces artistes de satisfaire leur besoin d’absolu ou, plus modestement, d’efficacité. Ils se redistribueront tant bien que mal selon les réponses nouvelles qui se proposent à la question : « Que peut l’art ? » Ces réponses sont au nombre de trois : l’abstraction pour Arp, Eggeling, Hausmann, Janco, Richter, Schwitters, Sophie Taeuber, l’Italien Julius Evola (né en 1898), le Néerlandais Otto Van Rees (1884-1957), le Hongrois Lajos Kassák (1887-1967), le Russe Serge Charchoune (1888-1975) ; le surréalisme pour Arp encore, Duchamp, Max Ernst, Man Ray et, jusqu’à un certain point, Picabia ; le réalisme grinçant de la Neue Sachlichkeit, enfin, pour les Allemands Otto Dix (1891-1969), George Grosz, Hannah Höch, Anton Räderscheidt (né en 1892), Christian Schad (né en 1894), Rudolf Schlichter (1890-1955), Franz Wilhelm Seiwert (1894-1933). Mais, au-delà des œuvres qu’ils créèrent désormais (ou ne créèrent pas) dans le cadre d’un autre mouvement, ceux qui, de près ou de loin, firent dada ont peut-être contribué par-dessus tout à répandre l’idée que c’est l’artiste lui-même (sa façon de vivre, de sentir et de penser) qui constitue le thème et la matière propres de la création artistique.

J. P.

➙ Assemblage / Collage / Pop’art / Surréalisme / Tzara (Tristan).

 H. Ball, Die Flucht aus der Zeit (Munich et Leipzig, 1927 ; nouv. éd., 1946). / G. Hugnet, l’Aventure Dada (Galerie de l’Institut, 1957 ; nouv. éd., Seghers, 1971). / R. Hausmann, Courrier Dada (le Terrain vague, 1958). / G. Ribemont-Dessaignes, Déjà jadis, ou du mouvement Dada à l’espace abstrait (Julliard, 1958 ; nouv. éd., U. G. E., 1973). / M. Duchamp, Marchand de sel (le Terrain vague, 1959). / F. Picabia, 391 (le Terrain vague, 1961). / H. Richter, Dada Profile (Zurich, 1961) ; Dada, Kunst und Antikunst (Cologne, 1965 ; trad. fr. Dada, art et anti-art, la Connaissance, Bruxelles, 1966). / M. Sanouillet, Dada à Paris (J.-J. Pauvert, 1965). / J. Pierre, le Futurisme et le Dadaïsme (Rencontre, Lausanne, 1967). / A. Breton, les Pas perdus (Gallimard, 1969). / D. Baudouin (sous la dir. de), Au temps de Dada, problèmes de langage (Lettres modernes, 1971). / M. Tison-Braun, Dada et le surréalisme (Bordas, 1973).

Chronologie sommaire

1913

Paris : Marcel Duchamp exécute son premier « ready-made », la Roue de bicyclette.

1914

Cologne : Hans Arp rencontre Max Ernst.

1915

New York : Francis Picabia retrouve Duchamp, qui commence la réalisation de son « grand verre » ; début de la période « mécanique » de Picabia ; Man Ray.

Zurich : Arp expose des œuvres géométriques.

1916

Zurich : Hugo Ball (1886-1927) fonde le Cabaret Voltaire ; H. Arp, M. Janco, T. Tzara, puis Richard Huelsenbeck, enfin Hans Richter se joignent à Ball ; choix de l’appellation dada ; première soirée dada ; première exposition dada.

Nantes : André Breton rencontre Jacques Vaché.

1917

Barcelone : Picabia publie le numéro 1 de 391.

Zurich : nombreuses manifestations et expositions dada ; inauguration de la galerie Dada ; publication de Dada 1 et de Dada 2.

New York : l’exposition des Indépendants refuse Fontaine, un urinoir (signé R. Mutt par Duchamp).

Berlin : retour d’Huelsenbeck.

Paris : Aragon, Breton et Soupault se rencontrent.

1918

Zurich : publication de Dada 3 ; rencontre de Picabia et de Tzara ; Viking Eggeling.

Berlin : activités dada avec R. Huelsenbeck, J. Baader, G. Grosz, R. Hausmann, J. Heartfield, etc. ; premiers « photomontages ».

Cologne : J. T. Baargeld et Max Ernst éditent Der Ventilator, que l’armée britannique d’occupation interdit.

1919

Zurich : publication de l’Anthologie Dada : dernières manifestations dada à Zurich.

New York : Duchamp signe L. H. O. O. Q. (reproduction « corrigée » de la Joconde).

Berlin : première exposition dada.

Cologne : Arp, Baargeld et Ernst fondent un groupe dada ; fondation du groupe paradadaïste « Stupid » (Heinrich Hoerle, A. Räderscheidt, F. W. Seiwert) ; « collages » d’Ernst.

Hanovre : débuts de l’activité Merz de Kurt Schwitters.

Paris : publication du numéro 1 de Littérature.

Nantes : suicide de Vaché.

1920

Paris : arrivée de Tzara ; Tzara, Picabia et le groupe de Littérature organisent diverses manifestations qui font scandale (maison de l’Œuvre, salle Gaveau, etc.).

Berlin : grande foire internationale dada ; publication de Dada-Almanach.

Cologne : exposition dada.

Dresde, Hambourg, Leipzig, Prague : conférences dada par Hausmann, Huelsenbeck, Schwitters.

Hanovre : Schwitters commence son Merzbau.

1921

Paris : suite des manifestations dada ; procès Barrès ; Salon dada ; arrivée de Man Ray.

Hanovre : Huelsenbeck publie En avant Dada.

1922

Paris : Tzara s’oppose au projet de Breton visant à organiser le « congrès de Paris » ; dissensions entre dadaïstes ; arrivée de Max Ernst.

Pays-Bas : « campagne dada » de Schwitters et de Theo Van Doesburg, qui publie la revue Mécano.

U. R. S. S. : voyage de Grosz.

Zagreb : publication de la revue Tank.

1923

Paris : la soirée du Cœur à barbe marque la fin de dada ; constitution du groupe surréaliste.

Berlin : présentation du film d’Eggeling, Diagonal-Symphonie.

Hanovre : Schwitters publie le numéro 1 de Merz.

New York : Duchamp interrompt l’exécution de son « grand verre ».

1924

Paris : Entr’acte, film de Picabia et René Clair ; Tzara publie Sept Manifestes Dada.