Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

culture de masse (suite)

Un premier changement de ton est donné vers les années 30, lorsque certains chercheurs, confrontés aux problèmes pratiques posés par la sociologie des mass media, s’efforcent de définir les conditions d’une approche scientifique, et non plus normative, du phénomène. La formule de Harold Dwight Lasswell (né en 1902) « Qui dit quoi à qui par quels moyens et avec quels effets » articule le champ de la culture de masse en ses principaux secteurs d’interrogation. Les préoccupations de l’époque ont d’abord privilégié les études concernant la composition du public et la recherche des effets : il s’agissait de répondre, pour une part, à la demande de grandes firmes de presse, de radio, de publicité, désireuses de mieux connaître leur marché et, pour une autre part, à l’inquiétude des éducateurs et des défenseurs de la moralité, qu’alarme l’influence, présumée dangereuse, du cinéma, des bandes dessinées, puis de la télévision sur les enfants et les adolescents. Plus tard, notamment entre 1941 et 1945, lorsque les services de renseignement étudient les thèmes de la propagande ennemie, les techniques d’analyse de contenu connaissent à leur tour un grand essor.

À cette période se rattachent en particulier les travaux de Paul Lazarsfeld (né en 1901) et de son école. Contre le préjugé régnant, ses recherches ont mis en évidence que les effets de mass media ne sont ni directs ni contraignants. Un message n’exerce d’influence qu’en actualisant une prédisposition du destinataire à recevoir cette influence. En outre, la diffusion des messages s’effectue en deux temps (twostep flow) : certains individus jouissant de prestige et d’autorité, particulièrement ouverts à l’influence des mass media, jouent un rôle de relais ; ils filtrent les messages et les répercutent sur leur entourage.

Les études concernant les sources émettrices — le personnel responsable de la production et de la diffusion du message — sont moins avancées. On a surtout mis en lumière les rapports conflictuels qui opposent l’entreprise de production au travailleur intellectuel qu’elle emploie. Le créateur (cinéaste, journaliste, etc.) bénéficie certes de l’énorme diffusion de son œuvre par les mass media, mais au prix d’une certaine soumission (d’ailleurs variable selon sa notoriété) aux normes qui lui sont fixées.

Les conditions d’une perception moins simpliste du phénomène étant ainsi réunies, divers chercheurs ont pu manifester à l’égard de la culture de masse une attitude compréhensive, voire sympathique. C’est ainsi qu’Edgar Morin (né en 1921), dans l’Esprit du temps (1961), souligne la vocation cosmopolite de la culture de masse : spéculant sur les fondements archaïques de la sensibilité, recourant à un langage syncrétique (visuel, sonore, graphique) qui restitue l’impression concrète, la sensation, le sensationnel, visant à exciter et à satisfaire les pulsions élémentaires (agressivité et sexualité), la culture de masse s’adresse, en deçà des disciplines de culture traditionnelle et de leurs façonnements divergents, à l’anthropos originaire.

On peut, dans une certaine mesure, considérer que les essais de Marshall McLuhan (né en 1911), la Galaxie Gutenberg (1962) et Pour comprendre les media (New York, 1964), apportent une contribution originale à cette réhabilitation de la culture de masse. L’approche de McLuhan est centrée sur les techniques de communication, les media, auxquels il attribue pour rôle essentiel non pas celui de support d’un message, mais celui de message même selon sa formule célèbre « The medium is the message ». En effet, les effets de chaque nouveau moyen technologique se situent non pas au niveau du contenu, qui ne renvoie lui-même qu’à un autre médium, mais dans les changements de rythme, d’échelle et de modèles qu’il provoque dans les activités humaines. Ces contraintes technologiques conduisent McLuhan à proposer une version triadique de l’histoire humaine : à l’ère de l’organisation tribale et des structures orales de communication a succédé l’âge gutenbergien, établissant le monopole de l’imprimé, qui exprime tout le réel sous forme visuelle et abstraite. Ce médium uniforme, reproductible, spécialisé a renforcé toutes les pratiques sociales tendant à l’uniformité, à la spécialisation et à la fragmentation. Actuellement, grâce à l’électricité, qui se présente comme une extension de notre système nerveux central et qui permet une communication instantanée et généralisée, nous retrouvons les schèmes de participation des cultures tribales. Peut-on avancer avec McLuhan que « l’ère électrique fera du monde une seule conscience collective », un « village global » ?

L’orientation hédonique de cette nouvelle culture, plus soucieuse de satisfactions immédiates que de gratifications différées, tournée vers l’actualité et la modernité, jouant de la séduction et non de la contrainte, pose un problème pédagogique grave. La culture de masse est, selon le mot de Georges Friedmann (1902-1977), une « école parallèle ». S’il est trop tôt pour aborder le problème de fond d’un nouvel humanisme, on conçoit déjà que l’enseignement audio-visuel peut devenir l’auxiliaire privilégié d’un réajustement de la pédagogie aux conditions créées par les mass media. Bien plus, il devrait initier à une attitude active en face des images comme des textes, préparer l’enfant à devenir un consommateur — mais un consommateur averti — des produits de la culture de masse.

C. B.

 W. L. Schramm (sous la dir. de), The Process and Effects of Mass Communication (Urbana, Illinois, 1954). / L. Bogart, The Age of Television (New York, 1956). / B. Rosenberg et D. M. White (sous la dir. de), Mass Culture (Glencoe, Illinois, 1957 ; nouv. éd., 1970). / M. McLuhan, Understanding Media (New York, 1964 ; trad. fr. Pour comprendre les media, Mame et Éd. du Seuil, 1968). / J. Cazeneuve, les Pouvoirs de la télévision (Gallimard, 1970). / F. Balle et J. Padioleau, Sociologie de l’information (Larousse, 1972). / L. Dollot, Culture individuelle et culture de masse (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1974).