Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cuba (suite)

Plus de 60 p. 100 de la population habite des villes de plus de 2 000 habitants, et, parmi celles-ci, La Havane a conservé une place considérable avec près du quart de la population cubaine. La croissance de la population urbaine, déjà importante avant 1958, semble s’être accélérée depuis : 44,2 p. 100 en 1931, 51,4 p. 100 en 1953, 57,7 p. 100 en 1963, 60 p. 100 en 1966. La vie urbaine est une vieille tradition cubaine, la colonisation espagnole ayant surtout été portuaire.

L’urbanisation intéresse toutes les villes cubaines, et l’exode rural affecte toutes les campagnes. En 1958, dans un vaste mouvement, Castro a entraîné derrière lui les paysans pauvres des montagnes de l’Oriente, qui ont formé le corps de bataille de son armée ; ces paysans se sont installés dans les villes. Tenus d’abord pour responsables de la misère, la canne à sucre et, par extension, le travail de la terre sont délaissés par des masses de prolétaires ruraux ; aussi, après 1958, la croissance urbaine devient-elle préoccupante pour les autorités. Le gouvernement s’est efforcé de limiter celle de La Havane, dont le développement exagéré compromet l’équilibre régional. « La tendance à se déplacer vers La Havane continuera en s’aggravant, et les problèmes de la capitale seront chaque jour plus aigus » (F. Castro, discours du 26 juillet 1966).

On favorise au contraire le développement des autres centres ; mais il n’est pas certain qu’il puisse arrêter la macrocéphalie dévorante de la capitale. Les centres provinciaux grands, moyens ou petits croissent également à un rythme accéléré, et ce transfert de population pose de redoutables problèmes de logement, d’urbanisme et d’organisation des conditions d’existence. La révolution a accéléré un processus né avec la crise de 1930. Les autorités s’efforcent aussi de peupler l’île des Pins, délaissée jusqu’à présent (à peine 8 hab. au km2).

Le réseau urbain comprend deux grands types de villes. Les villes-ports ont été, pour la plupart, fondées par la colonisation entre le xvie et le xviiie s., sauf quelques ports sucriers, qui vivaient du cabotage dans le cadre d’une circulation autour de l’île (Matanzas, Cárdenas, Sagua, Caibarién, Nuevitas, Gibara, Baracoa sur la côte nord ; Santiago, Manzanillo, Trinidad, Cienfuegos, Batabanó et La Coloma au sud). L’exportation du sucre et la pêche ont maintenu leur activité après la construction de la voie ferrée et de la route. Actuellement, les implantations industrielles entreprises par le régime développent certaines d’entre elles (Nuevitas). En second lieu, il y a les villes-carrefours de l’intérieur, situées sur la voie ferrée et qui s’échelonnent de l’ouest à l’est (Pinar del Río, Colón, Santa Clara, Sancti Spíritus, Ciego de Ávila, Camagüey, Bayamo). L’implantation d’industries les transforme en gros centres (Santa Clara).


L’économie

Soumise aux lois du marché américain, dominée par la grande propriété foncière et la monoculture, secouée par des crises périodiques, l’économie a été profondément bouleversée dans ses structures par le régime socialiste instauré par Fidel Castro à partir de 1959. Les changements dans le domaine des activités et des paysages sont moins nets, Cuba restant plus que jamais une île à sucre et un pays de plantations.


Les problèmes de la terre et de la production avant 1959

Le régime foncier et les structures agraires présentent de très graves déséquilibres avant 1959. Ainsi, moins de 3 p. 100 des exploitations couvrent plus de la moitié des superficies utilisées, tandis que plus de 75 p. 100 n’en occupent que 15 p. 100 : quelques centaines de latifundia à côté de dizaines de milliers de microfundia. Entre ces deux extrêmes, les moyennes exploitations sont écrasées. La grande exploitation concerne la canne à sucre et l’élevage. Le plus souvent, elle est livrée à une mise en valeur extensive. Une partie des domaines sucriers n’est pas cultivée ; elle sert de réserve diminuée ou accrue selon l’état du marché du sucre. Dans les domaines d’élevage, l’exploitation est encore plus extensive : un animal par hectare au maximum. La sous-exploitation du sol est un des traits majeurs de l’agriculture (21 p. 100 de friches et de broussailles).

Dans la moyenne et la petite exploitation, les fermiers, les métayers et les occupants sans titres sont très nombreux : 68 p. 100 des exploitants au-dessous de 26,8 ha ; 54 p. 100 entre 26,8 ha et 67 ha. En outre, dans les campagnes, les ouvriers agricoles sont plus nombreux que les propriétaires ou les exploitants non salariés (plus de 55 p. 100 de la population agricole active) ; ce prolétariat agricole est peu attaché à la terre ; organisé en syndicats, il recherche des avantages immédiats plutôt qu’une véritable transformation des campagnes. La culture de la canne à sucre n’assure qu’un emploi saisonnier à la très grande majorité de ceux qui s’en occupent. Au chômage saisonnier s’ajoute le chômage permanent de ceux qui ne peuvent trouver de travail.

Les déséquilibres de la production ne sont pas moins grands. Le sucre exerce une véritable tyrannie ; ses exportations représentent 80 p. 100 des ventes en 1958. Or, l’île ne vend guère plus de sucre qu’en 1930. En contrepartie, elle importe toutes les machines (26 p. 100 des importations en 1958), des produits alimentaires (14,5 p. 100), des produits métallurgiques et du papier (15 p. 100), toute son énergie et les corps gras (15 p. 100). La monoculture de la canne à sucre a pour corollaire une insuffisance des productions vivrières nécessaires à une population en plein essor démographique ; la riziculture, seule production en progrès, mécanisée, ne couvre que 57 p. 100 des besoins du pays ; l’élevage, bien qu’il compte 5 millions de bovins, est incapable de satisfaire les besoins en lait et en produits laitiers ; tourné vers la viande, il ne laisse que très peu d’excédents exportables. Mal nourri, peu sélectionné, le bétail n’a qu’un faible rendement (75 p. 100 du troupeau se trouvent dans les provinces de l’Oriente, de Camagüey et de Las Villas). Les cultures de racines tropicales et de légumes, pratiquées par de petits paysans autour de La Havane et de Santa Clara, sont aussi insuffisantes, ainsi que les oléagineux. Dans le domaine des cultures de plantations, seule la culture du tabac connaît une certaine vigueur. Pratiquée par 11 000 petits exploitants, elle a une renommée mondiale et se développe. À côté, celle du café (134 000 ha), dont 90 p. 100 sont concentrés sur les pentes des montagnes de l’Oriente, stagne, bien que les petits exploitants qui la pratiquent produisent un café de haute valeur (41 000 t en 1957) ; la culture des fruits (ananas, 80 000 t ; agrumes, 88 000 t), localisée dans les provinces de Las Villas, de Matanzas et de La Havane, s’est développée, mais elle trouve difficilement un débouché sur le marché américain. Là encore, le problème du marché extérieur se pose avec acuité comme pour le sucre.