Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades (suite)

Mais, après le retour du roi en France, la situation se détériore de nouveau au Levant, les Francs de Jérusalem n’ayant pas compris l’intérêt de l’alliance avec les Mongols, dont les avant-gardes submergent les principautés ayyūbides de Syrie en 1260. En resserrant alors leurs liens avec les Mamelouks d’Égypte, qu’ils ravitaillent justement en 1260, ils permettent à leur sultan, Baybars (1223-1277), de s’emparer non seulement des ports francs du Sud (Jaffa, Arsouf, Césarée), mais encore d’Antioche, dont la chute, en 1268, parachève l’encerclement de leur territoire par les seules forces de ce souverain, qui se permet, par ailleurs, d’arbitrer les querelles intestines renaissantes des Francs du Levant et de leurs alliés italiens (guerre de Saint-Sabas, 1256-1258 ; guerre navale géno-vénitienne, à laquelle seul le roi de France parvient à mettre un terme par l’accord de 1270).

• La nouvelle de ces désastres explique que Louis IX ait repris la croix le 24 mars 1267 et organisé la huitième croisade, qu’il oriente vers Tunis, dont on le persuade que le souverain ḥafṣide n’attend que sa venue pour se convertir au christianisme. Le tempérament généreux du saint roi réagit dans le sens de l’action engagée. Mais, victime d’une épidémie de peste, Louis IX meurt aux portes de cette ville le 25 août 1270, et son frère Charles d’Anjou (1226-1285), devenu le chef des croisés, s’empresse de signer la paix de Tunis, avantageuse pour son royaume.

Malgré les efforts généreux du prince Édouard d’Angleterre, malgré ceux du pape Grégoire X pour faire prendre la croix à tous les souverains d’Occident après la proclamation solennelle de l’union des Églises, qui fait rentrer l’Empire byzantin dans l’obédience romaine, l’Occident renonce à défendre les États latins du Levant, au secours desquels se rendent seulement quelques Vénitiens et Aragonais lorsque le sultan mamelouk Qalā‘ūn († 1290) en entreprend la conquête systématique à partir de 1285. Après la chute de la ville (18 mai 1291) et de la citadelle d’Acre (28 mai 1291), les chrétiens d’Orient se replient pendant l’été 1291 à Chypre, qui résistera à l’islām mamelouk, puis ottoman jusqu’en 1571.

Le croisé

Contrairement à une idée communément reçue, n’est pas croisé qui veut. Redoutant la participation à la croisade de chrétiens inaptes au métier des armes, craignant qu’un trop grand nombre d’entre eux ne se trouvent liés par un engagement irréfléchi mais irrémissible, le pape Urbain II contraint les clercs, les laïcs et les jeunes mariés à solliciter obligatoirement le consentement de leur ordinaire, de leur curé ou de leur femme. Les pèlerins en armes doivent coudre sur leur vêtement, entre leurs deux épaules, une croix de tissu qui fait d’eux des « cruce signati ». Dès lors, ils bénéficient d’une indulgence plénière qui accorde, comme l’a justement noté Daniel Villey, « la réconciliation immédiate et totale du pécheur avec l’Église, moyennant confession de ses péchés, mais avec dispense des lourdes charges de la pénitence » et à condition, bien entendu, que la piété soit à l’origine de son engagement et non pas le lucre. En outre, pour assurer la tranquillité d’esprit du croisé, le pape décrète, dès le 28 novembre 1095, que ses biens (et, plus tard, sa femme et ses enfants) sont placés sous la protection des évêques (privilège de croix), disposition que reprend le droit féodal, qui impose au seigneur de remplir ce devoir envers la famille et les biens de son vassal croisé, mais qui oblige ce dernier à accorder également son aide à son seigneur lorsqu’il se croise à son tour.

Les armées de la croisade

Contrairement aux chroniqueurs, qui estiment à plus de 100 000 hommes les effectifs engagés dans la première croisade, les traités de nolis révèlent que les plus importantes expéditions ont rarement mis en ligne plus de 10 000 combattants. Philippe II Auguste et Richard Cœur de Lion n’ont réuni chacun que 650 chevaliers et 1 300 écuyers lors de la troisième croisade. Quant aux effectifs, pourtant considérables, transportés par Louis IX en Égypte, ils ne comptent guère plus de 15 000 hommes, dont 2 500 chevaliers. En fait, les chroniqueurs n’ont parlé de « foules innombrables » que dans la mesure où ils n’ont pas fait la distinction entre les combattants et la masse des non-combattants (pauvres, mal ou pas armés, femmes, enfants parfois), qui accompagnent les premiers.

De structure typiquement féodale, l’armée de la croisade revêt néanmoins à l’origine un caractère international, qui s’atténue au xiiie s. lorsqu’un légat doit imposer aux combattants des croix de couleurs différentes selon la nationalité. De plus, elle doit, au contact d’adversaires nouveaux caractérisés par une grande mobilité, adapter sa tactique : couverture des flancs, destinée à protéger les pèlerins sans armes, marchant au centre du dispositif ; passage rapide de la formation en colonnes de marche à celle des « échelles » prêtes au combat ; création d’une cavalerie légère de Turcoples, mercenaires d’origine syrienne ou occidentale, chargés de maintenir le contact avec les archers montés, dont la fuite simulée désorganise la lourde cavalerie franque cuirassée et la livre sans défense à ses traits comme à la Mansourah ; utilisation accrue des machines de siège occidentales en Orient ; construction, enfin, en Terre sainte, de forteresses dont le type byzantin primitif (plan carré ou rectangulaire flanqué de tours carrées aux angles) se trouve remanié selon le type occidental : enceintes multiples permettant une meilleure utilisation du terrain ; tours rondes alternant avec les tours carrées ; ouvrages avancés de protection, etc.

Le financement des croisades

D’abord pris en charge par les croisés eux-mêmes, qui vendent leurs terres ou les engagent auprès des communautés ecclésiastiques lors de la première de ces expéditions, le financement des croisades suivantes est progressivement assuré au cours du xiie s. par des moyens plus réguliers.

Le premier moyen est l’aide, que les seigneurs exigent désormais de leurs vassaux lors de leur départ en croisade. Le second est la dîme, taxe perçue d’abord par les rois d’Angleterre et de France sur les revenus des biens laïcs et même ecclésiastiques, taxe dont le montant est égal au dixième desdits revenus.