Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Croatie (suite)

Mais la Croatie ne reçoit pas de récompenses pour l’appui qu’elle apporte à l’Autriche contre la révolution hongroise. De 1849 à 1868, elle est soumise à la politique absolutiste de l’Autriche et à la germanisation, menée notamment par le ministre de l’Intérieur autrichien A. von Bach (1849-1859). La chute de ce dernier ne change pas fondamentalement la situation. Les patentes de 1861 ayant fait de l’Empire une monarchie constitutionnelle, mais très centralisée, la diète croate, réunie en 1861, refuse d’envoyer des députés au Reichsrat de Vienne et est dissoute.

Malgré ses promesses de 1849, l’Autriche empêche l’union de la Croatie et de la Dalmatie. L’évêque de Djakovo, Josip Štrosmajer (ou Strossmayer, 1815-1905), chef du parti national (ancien illyrien) de 1860 à 1873, défend l’idée de l’unité yougoslave et suscite la création de nombreuses institutions (Académie yougoslave des sciences et des arts en 1867, Université en 1874). L’étude de l’histoire des peuples yougoslaves et surtout de la Croatie se développe avec Franjo Rački et Ivan Kukuljević ; mais, dès cette époque, on tend de plus en plus vers un « croatisme » ; est alors créé le parti du Droit, dont les animateurs, Eugen Kvaternik (1825-1871) et surtout Ante Starčević (1823-1896), défendent l’idée du droit historique de l’État croate.


La Croatie en Transleithanie hongroise

Le compromis autro-hongrois de 1867 donne la Croatie-Slavonie et Rijeka à la Hongrie, la Dalmatie restant autrichienne ; en 1868, un autre compromis (la nagodba) intervient entre la Hongrie et la Croatie. Cette dernière reçoit une certaine autonomie pour les affaires locales relevant de sa diète et le droit d’employer la langue nationale, mais, en fait, elle est sous la dépendance étroite de la Hongrie, qui participe à la nomination du ban par l’empereur : les députés croates au Parlement de Pest — qui statue sur les affaires communes — sont sans pouvoir de par leur faible nombre ; aussi recourront-ils souvent à une politique d’obstruction.

Jusqu’en 1914, il y a en Croatie une nouvelle politique de magyarisation et d’exploitation de la Croatie par la Hongrie ; une émigration économique importante a lieu. La Hongrie compte sur l’opposition entre Croates et Serbes (ces derniers sont plus nombreux depuis le rattachement des Confins militaires à la Croatie en 1881) ; cette opposition est attisée un temps par les visées antagonistes de la principauté serbe et de la Croatie sur la Bosnie.

La politique de Levin Rauch, ban de 1867 à 1871, est très anticroate : en 1871, une révolte de Kvaternik en Lika échoue. Néanmoins, la révision de la nagodba en 1873 permet d’accorder plus d’autonomie financière à la Croatie ; le poète Ivan Mažuranić, chef du parti national, de tendance austrophile, mais favorable à une autonomie croate, mène en tant que ban, de 1873 à 1880, une politique plus libérale. Cependant, après les désaccords sur le renouvellement de la nagodba en 1878 et les troubles populaires de 1883, un régime dur est rétabli avec le ban Károly Khuen-Héderváry (1883-1903), qui essaie de s’appuyer sur les Serbes ; ceux-ci sont en butte aux attaques croates, qui prennent une forme violente avec Josip Frank, dissident du parti du Droit, et ses partisans (création du parti du Droit pur).

Les tensions avec le pouvoir se développent ; la destruction du drapeau hongrois entraîne un procès d’étudiants à Zagreb en 1895 ; l’opposition est victorieuse à la diète même en 1903, et le ban Khuen démissionne. La période qui commence en 1903 est marquée par le développement des partis : renouveau du parti social-démocrate, fondé en 1894, et du parti serbe indépendant avec Svetozar Pribićević ; création en 1904 du parti paysan croate (Hrvatska seljačka Stranka) de Stjepan Radić (1871-1928). Fait plus important, s’amorcera un rapprochement entre Serbes et Croates ainsi qu’une reprise du yougoslavisme ; sur l’initiative d’Ante Trumbić et de Frano Supilo, députés croates de Dalmatie, des politiciens croates décident d’appuyer la lutte de l’opposition libérale en Hongrie en espérant une amélioration du sort de la Croatie ; c’est la « résolution de Fiume » d’octobre 1905, résolution à laquelle adhèrent quelques jours plus tard des députés serbes de Croatie et de Dalmatie réunis à Zadar et qui officialise la formation de la coalition serbo-croate ; celle-ci, en février 1908, obtient la majorité à la diète croate.

Mais l’opposition hongroise, venue entre-temps au pouvoir en Hongrie, poursuit la politique anticroate, en particulier sous le ban Pavao Rauch (de 1908 à 1910) ; on essaie de compromettre les députés serbes de la coalition à cause de leurs prétendus liens avec le royaume de Serbie. Les affaires balkaniques (annexion de la Bosnie par l’Autriche en 1908, guerres balkaniques de 1912-13) et le rôle qu’y joue la Serbie suscitent une agitation de plus en plus grande en Croatie, où un régime dictatorial est établi en 1912 avec Slavko Cuvaj. Des actes de terrorisme individuels sont exécutés par des jeunes gens (attentats contre les bans Slavko Cuvaj et Ivan Skerlecz).

Pendant la Première Guerre mondiale, la répression s’étend en Croatie ; une partie des politiciens croates passent à l’étranger, où ils animent le Comité national yougoslave de Londres, qui défend la volonté d’unification et d’indépendance des Slaves du sud de l’Autriche-Hongrie. En Croatie même, l’idée d’indépendance complète finit par prévaloir sur l’idée longtemps répandue d’un État autonome des peuples yougoslaves dans le cadre de l’Empire austro-hongrois, parallèle à celui de la Hongrie (solution trialiste).


La Croatie dans la Yougoslavie

En octobre 1918 est créé à Zagreb un Conseil des Serbes, Croates et Slovènes de la monarchie, qui exige l’internationalisation du problème des nationalités en Autriche-Hongrie ; le 29 octobre 1918, la diète croate rompt les liens avec l’Autriche-Hongrie ; les délégués du Conseil des Serbes, Croates et Slovènes envoyés à Belgrade acceptent finalement la formation d’un royaume des Serbes, Croates et Slovènes sous la dynastie serbe des Karadjordjević (1er déc. 1918).