Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Croatie (suite)

Il connaît un nouvel essor sous Pierre Krešimir IV (1058-1074), roi de Croatie et de Dalmatie, qui reconquiert les villes du littoral et étend vraisemblablement son royaume en Bosnie. Pendant toute cette période, la domination sur les villes du littoral, où s’est réfugiée à l’arrivée des Slaves la population latine et romanisée, est le but principal des rois croates, qui disputent ces centres urbains à Byzance, puis, à partir du xie s., à Venise.

L’Église croate est partagée entre le rite latin et le rite slave et oriental, propagé au ixe s. par Cyrille* et Méthode. Pour affirmer leur pouvoir et afin de pénétrer plus facilement dans les villes côtières, les rois croates reconnaissent le rite latin ; le concile de Split de 925-928 maintient la liturgie slave, mais supprime l’indépendance de l’évêché de Nin ; le concile de Split de 1060 exige l’adoption du rite latin.

Parti latin et parti slave s’affrontent dans la lutte pour le trône : après la défaite d’un candidat du parti slave en 1074, le parti latin triomphe avec Dmitar Zvonimir (1076-1089) ; à la mort de ce dernier, sa femme réclame l’aide de son frère, le roi de Hongrie, qui s’empare du nord de la Croatie, le littoral retournant à Byzance ; le dernier roi croate, Pierre Svačić (1093-1097), élu par le parti slave en Croatie dalmate, est battu par le roi de Hongrie Kálmán à Gvozd en 1097. À Biograd na Moru, en 1102, les nobles croates reconnaissent le roi de Hongrie en tant que roi de Croatie (Pacta Conventa), établissant ainsi, entre la Croatie et la Hongrie, des liens dont la nature pourra être discutée (union personnelle ou réelle), mais qui dureront jusqu’en 1918.


La Croatie hongroise

Jusqu’au début du xvie s., la Croatie est soumise directement à la suzeraineté de la Hongrie, qui met à sa tête un ban. Le servage se développe, et les magnats prennent une grande influence, s’opposant parfois à leur suzerain et intervenant dans les luttes dynastiques hongroises : il en fut ainsi des Frankopan et surtout des Šubić. Pavle Šubić, ban à la fin du xiiie s., étend son pouvoir à la Bosnie, mais ses descendants sont dépossédés par les rois de Hongrie, qui essaient de limiter la puissance des magnats : la Bulle d’or du roi André II, en 1222, crée une diète et protège la petite noblesse.

La lutte pour le littoral — contre Venise surtout — s’intensifie : la paix de Zadar, en 1358, redonne le littoral à la Hongrie, mais, en 1420, Venise s’y implante de façon durable (jusqu’en 1797). D’autre part, les Turcs, qui, depuis le début du xve s., font des incursions en Slavonie, battent les Croates à Krbavsko polje en 1493 ; au début du xvie s., ils conquièrent les terres dalmates ; en 1526, le roi de Hongrie Louis II est vaincu à Mohács ; en plus de la Hongrie, une partie des terres croates (en gros la Slavonie) passe sous domination ottomane. En 1527, à Cetin, les nobles croates élisent pour roi de Croatie Ferdinand Ier de Habsbourg, qui lutte pour le trône de Hongrie contre Jean Zapolya.


La Croatie autrichienne

À partir du xvie s., on peut distinguer deux Croaties sous dépendance autrichienne : la Croatie civile et la Croatie militaire, qui ne seront réunies qu’en 1881. Les Confins militaires, rattachés directement à l’Autriche, sont peuplés de paysans-soldats, chargés au début de la défense des frontières contre les Turcs, puis incorporés dans l’armée régulière autrichienne. La Croatie civile est dirigée par un ban nommé par le roi et assisté d’une diète. Le système féodal en vigueur est secoué par des révoltes paysannes, telle celle de Matija Gubec en 1573, sévèrement réprimée. D’autre part, une rébellion de nobles croates (et hongrois) contre l’Autriche en 1671 échoue — les princes F. Krsto Frankopan et Petar Zrinski (Zrínyi) sont décapités à Wiener-Neustadt, et leurs biens dispersés. Les terres slavonnes reprises aux Turcs en 1699 (traité de Karlowitz [auj. Sremski Karlovci] entre l’Autriche et la Turquie) sont données à des nobles, des non-Croates surtout ; une colonisation de paysans étrangers s’y développe. Au xviiie s., les souverains autrichiens adoptent des chartes (urbari) qui unifient le statut des serfs, mais l’abolition du servage et des privilèges nobiliaires par Joseph II en 1785 échoue ; l’absolutisme autrichien provoque un rapprochement entre nobles hongrois et croates ; en 1790, la diète croate abdique certaines compétences en faveur de la diète hongroise.

Dès le xviiie s. s’exprime un renouveau de l’État croate et même de l’unité des Slaves du Sud, associée à un panslavisme avec Pavle Vitezović (1652-1713) et surtout Juraj Križanić (1618-1683). Mais c’est au xixe s. que se développe une véritable prise de conscience nationale. Après l’inclusion d’une partie des régions croates dans les Provinces-Illyriennes de Napoléon Ier (1809-1813), la Croatie est soumise à une politique de magyarisation ; en 1830, le hongrois est rendu obligatoire dans toutes les écoles. La Croatie devient alors le centre de l’« illyrisme », mouvement de renaissance croate, mais aussi yougoslave, qui veut réaffirmer l’unité culturelle des Yougoslaves, en particulier par le retour à la langue populaire (illyrienne) et par son unification. Le principal représentant de ce mouvement est, avec le comte Ianko Drašković (1770-1856), Ljudevit Gaj (1809-1872), qui fait adopter le dialecte štokavien, tout en gardant l’écriture à caractères latins ; il fonde la revue Ilirske narodne novine avec son supplément littéraire Danica, tandis que sont créées bibliothèques et institutions culturelles (Matica ilirska en 1842, devenue Matica hrvatska en 1874). Cependant, ce mouvement a une portée limitée hors de Croatie et, en Croatie même, il rencontre l’opposition des magyarons, partisans de la collaboration avec la Hongrie. De plus, l’Autriche, favorable au début à un mouvement qui semblait dirigé avant tout contre la Hongrie, finit par s’y opposer, interdisant même en 1843 l’emploi du mot illyrien. Quand la révolution éclate en Autriche en 1848, Josip Jelačić (1801-1859), le nouveau ban, supprime le servage et fait de la diète croate un organisme en partie élu, selon un système étroitement censitaire ; la diète même, confirmant ces mesures, réclame la formation d’un royaume de Croatie-Slavonie-Dalmatie dans l’Empire autrichien ; des liens sont établis avec les Serbes de Vojvodine, eux-mêmes en rébellion contre les Hongrois.