Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

critique (suite)

Rétrospectivement et pris dans son ensemble, le bilan de l’action de la critique d’art sur l’art peut paraître négatif. La critique a contribué à la longue survie de certaines formules sclérosantes et parfois contradictoires : primauté du dessin sur la couleur, foi en la valeur absolue de l’art gréco-romain, hiérarchie des genres, application à l’art du principe du progrès. Mais cette action négative s’explique en grande partie par la faveur avec laquelle artistes et public accueillirent les écrits non pas des plus grands critiques d’art, mais de leur menue monnaie, suiveurs et vulgarisateurs. L’influence de Vasari fut plus considérable que celle d’Alberti ou de Léonard de Vinci ; Diderot* ne fut pas le plus lu des salonniers du xviiie s., et des intuitions géniales de Wilhelm Heinrich Wackenroder (1773-1798) il ne subsistait chez les critiques allemands du xixe s. qu’une religiosité vague prête à justifier l’indigence artistique des peintres « nazaréens ».


La critique d’art contemporaine

Avec le foisonnement des nouvelles tendances esthétiques qui marquèrent les vingt premières années du xxe s., le rôle de la critique d’art ne pouvait que grandir. La rupture de plus en plus marquée avec la tradition et les réactions d’un public hostile ou désorienté nécessitait l’intervention d’un médiateur, artiste ou écrivain ami des artistes. Le peintre Maurice Denis (1870-1943) joua ce rôle pour les nabis. Guillaume Apollinaire* et le peintre André Lhote (1885-1962) expliquèrent et justifièrent le cubisme. Pendant quarante ans, André Breton* exposa avec une conviction jamais affaiblie les théories surréalistes, tandis que l’écrivain Michel Seuphor (né en 1901) a consacré le meilleur de son œuvre à la défense et à l’illustration de la peinture de Piet Mondrian.

Le xxe s. a vu aussi l’apogée et peut-être la fin d’un certain type de critique d’art : l’écrivain à la vaste culture humaniste, ayant les connaissances encyclopédiques d’un historien de l’art universel et pouvant les présenter en une vaste synthèse où la précision philologique va de pair avec une conception cohérente de l’œuvre d’art, tels Heinrich Wölfflin (1864-1945) ou Élie Faure (1873-1937).

Cependant, le divorce entre critique d’art ancien et critique d’art moderne tend à s’accentuer. Les méthodes de plus en plus raffinées de l’histoire de l’art, avec tout son appareil scientifique, ses catalogues raisonnés, ses « corpus » fondés sur le principe idéal du dénombrement entier, sont impuissantes en face de la masse mouvante et souvent éphémère de l’art moderne. Pour appréhender l’œuvre des quelque deux cent mille artistes contemporains dispersés à travers le monde, la critique d’art traditionnelle n’hésite pas à placer ses espoirs dans l’électronique (déjà utilisée par l’archéologie).

La difficulté est cependant plus profonde. Les plus subtils critiques de l’art ancien, qu’il s’agisse d’André Malraux* (v. art) ou d’Erwin Panofsky (v. iconographie ou iconologie), hésitent et semblent se troubler devant les formes les plus vivantes de l’art contemporain. Leurs schémas, encore utilisables pour l’analyse des tendances du surréalisme ou du Bauhaus, ou même de l’abstraction lyrique, ne résistent pas à l’épreuve du pop’art, de l’art cinétique et, plus généralement, des dernières avant-gardes.

À l’inverse, les théoriciens les plus efficaces de l’art moderne n’offrent, en fait de critique de l’art ancien, que des approximations caricaturales. Dans le domaine de l’architecture, par exemple, les écrits de Le Corbusier*, de F. L. Wright* ou même de Gropius*, si profondément novateurs et féconds, ne peuvent donner de clefs valables pour le passé.

En face des tendances actuelles de l’art et par une conséquence logique de la prise de position anti-artistique de beaucoup de créateurs, une nouvelle critique d’art est sans doute en train de naître. Comme l’athéisme contemporain a engendré les théologiens de la mort de Dieu, les étonnants spectacles qu’offrent les expositions et les musées d’art contemporain du monde occidental engendrent peut-être les esthéticiens de la mort de l’art.

J. R. G.

➙ Art / Esthétique / Exposition / Musée / Sémiotique [la sémiologie picturale].

 A. Dresdner, Die Kunstkritik, ihre Geschichte und Theorie (Munich, 1915). / R. Janssens, les Maîtres de la critique d’art (Palais des Académies, Bruxelles, 1935). / L. Venturi, Histoire de la critique d’art (trad. de l’italien, Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1938 ; nouv. éd., Flammarion, 1969). / E. Panofsky, Meanings in the Visual Arts (New York, 1955 ; trad. fr. l’Œuvre d’art et ses significations, Gallimard, 1969). / E. Gilson, Peinture et réalité (Vrin, 1958) ; Introduction aux arts du beau (Vrin, 1963). / A. Richard, la Critique d’art (P. U. F., « Que sais-je ? », 1959). / J. Rouchette, la Renaissance que nous a léguée Vasari (Les Belles Lettres, 1959). / G. Morpurgo-Tagliabue, l’Esthétique contemporaine (trad. de l’ital., Milan, 1960). / H. R. Rookmaaker, Modern Art and the Death of a Culture (Londres, 1960). / B. Teyssèdre, l’Histoire de l’art vue du Grand Siècle (Julliard, 1965). / P. Daix, Nouvelle Critique et art moderne (Éd. du Seuil, 1968).


Sur la critique musicale

• La critique est l’art de juger les ouvrages du beau. Savoir si c’est un art profitable est vain. D’ailleurs, aucun art n’est utile. La critique existe, c’est un fait. Du jour où un musicien a chanté devant d’autres hommes, ceux-ci ont manifesté leur opinion. La critique est un réflexe, donc une nécessité.

• L’équité est la première vertu du critique. « Ne sois ni sévère censeur, ni fade panégyriste, conseille Diderot : dis la chose comme elle est. »

• Le rôle de la connaissance est également primordial. Tout le monde peut donner son sentiment — mais ce sentiment n’a de valeur que s’il émane d’une personne qualifiée. Encore n’est-il pas indispensable, ni même souhaitable, que le critique soit un compositeur célèbre ou un virtuose renommé : Berlioz, Schumann, Wagner et Debussy n’ont pas commis moins d’erreurs esthétiques que des musiciens de moindre envergure. L’important est d’avoir une culture générale et spécialisée suffisante. Qui ne joue d’aucun instrument doit être bien gêné pour apprécier le talent d’un virtuose ; qui ne s’est jamais essayé à écrire, comment s’y prend-il pour distinguer l’œuvre d’autrui ?