Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Crète (suite)

L’éducation des citoyens

Ce régime, qui réserve à une minorité de « compagnons » le pouvoir dans chacune des cités de Crète, se maintient grâce à tout un système d’éducation, de dressage plutôt.

Comme à Sparte, les fils des citoyens se soumettent à un entraînement progressif, qui, peu à peu, les rendra aptes à entrer dans les hétairies : la vie en plein air, l’apprentissage des armes y tiennent une grande place. Les jeunes enfants accompagnent leurs pères aux repas communs de la maison des hommes et mangent à leurs pieds, assis par terre, ce qu’on veut bien leur laisser ; d’hétairie à hétairie, sous la surveillance d’un maître, ils s’affrontent déjà en des combats qui forgent l’esprit communautaire et développent leur vigueur. Vers seize ou dix-sept ans, les jeunes gens se groupent autour d’un de leurs camarades particulièrement distingué par sa valeur et la puissance de sa famille pour former des agelaı (sections), sous la direction du père de celui qui a formé leur groupe ; ils vont au gymnase, à la chasse ou luttent contre les éphèbes des agelaı voisines. Au bout d’une dizaine d’années d’épreuves subies en commun, ils accèdent à l’âge d’homme ; leur groupe, déjà bien soudé, devient un compagnonnage, une « hétairie », où va se continuer une vie communautaire à peine concurrencée par la vie familiale.

Certains jeunes gens particulièrement remarquables ont pu recevoir une instruction plus approfondie. Un homme de noble race a « enlevé » son « aimé » à son agelaı afin de le séquestrer durant deux mois dans les campagnes ; à l’issue de cette initiation le jeune homme revient à ses camarades, doté par son « amant » de sa tenue de guerre. « Page » glorieux, il fait partie désormais des « Insignes », qui ont droit, dans la cité, à des honneurs particuliers et constituent sans doute l’ordre des chevaliers, dont l’influence va être grande dans la vie politique.

Malgré cette harmonie dans la société de cités, où chacun a sa place, l’époque classique ne s’achève pas sans troubles ; en effet, par le jeu des héritages, des hasards, certaines familles de citoyens ont fini par accaparer la fortune mobilière et même immobilière, et la direction des affaires publiques avec elle. Aussi, le ive s. connaît-il de graves luttes civiles, qui s’ajoutent aux guerres entre cités, mais qui favorisent l’évolution des mœurs et des institutions.


La Crète dans le monde hellénistique (323-67 av. J.-C.)

La Crète n’a pas été qu’une lointaine « marche » de la Grèce classique : au centre du monde hellénistique, elle a formé une escale utile pour les flottes de guerre ou pour les marchands, ainsi qu’un réservoir inépuisable de soldats de métier. Cette ouverture au monde n’est pas sans conséquences pour la vie des cités crétoises, qui, comme tant d’États de cette époque, deviendront des démocraties, fort modérées d’ailleurs, où l’essentiel du pouvoir restera dans les mains de riches personnages.

L’historien Polybe (iie s. av. J.-C.) et les inscriptions en témoignent : grâce à eux, nous voyons intervenir le peuple (damos, terme dorien pour dêmos) et son assemblée (l’ecclésia), sans que pour autant ne disparaissent les vieilles magistratures des cosmes ni le conseil (la boulé), organismes considérés en somme comme des protecteurs contre les tentations possibles du pouvoir personnel. Ce mouvement général de démocratisation de la Crète, dont Knossós fut peut-être l’initiatrice, ne va pas sans grands troubles, dont les souffrances s’ajoutent au fardeau des guerres entre cités. Polybe remarque que leurs passions jettent les Crétois « dans de continuelles dissensions publiques ou privées, qui les mènent au meurtre ou à la guerre civile » entre les « jeunes » et les « vieux », avec son cortège d’exilés qui en appellent aux puissances étrangères pour rentrer chez eux.

Pourtant, certaine tendance au fédéralisme aurait pu faire du moins cesser les luttes entre cités : il existe depuis le dernier quart du ive s. une organisation commune à trente et une cités crétoises, le koinon, doté d’un conseil de synèdres délégués par les États membres, d’une assemblée « populaire » où peut se rendre chacun des citoyens d’une des cités fédérées. Mais le koinon ne peut servir en aucun cas à apaiser les querelles dans l’île, car il se refuse à violer l’autonomie des États, entre lesquels les guerres ne sont pas rares. Son utilité est simplement de favoriser les rapports avec l’étranger ; il est aussi et surtout l’instrument de l’hégémonie de la cité de Gortyne, qui l’a créé pour qu’il succède aux trois ligues qui existaient vers 260 av. J.-C. et dont Knossós, Phaistos et elle-même étaient les chefs.

Profitant de la haine qu’a suscitée l’autorité trop lourde de ses rivales, Gortyne a pu les supplanter dans leur zone d’influence même, mais contrainte, pour n’être pas contestée, à plus de libéralisme que ses rivales, elle ne peut intervenir suffisamment dans les conflits qui dressent les cités les unes contre les autres. Quand Knossós, vers 150 av. J.-C., réussit à supplanter Gortyne à la tête du koinon, rien n’est changé : les combats sont multiples, sanglants (surtout celui qui, vers 220, aboutit à la destruction complète de la cité de Lyttos), épuisants pour la Crète. Ils finissent par provoquer l’intervention de Rome, qui veut la paix dans la Méditerranée orientale.

Les Crétois résistent ; en 88 av. J.-C., ils s’allient à Mithridate VI Eupator quand il chasse les Romains de Grèce. Il faudra ensuite que Pompée les réduise. L’île deviendra alors province romaine.

Les mercenaires crétois

Depuis Alexandre, on employa les mercenaires crétois aussi bien dans les batailles rangées, pour les reconnaissances, la couverture des troupes en marche que pour les coups de main, les embuscades, où pouvaient s’exprimer toutes leurs qualités propres : la ruse ou la férocité. Toute la littérature ancienne en témoigne.

Ces mercenaires sont essentiellement des archers vêtus d’une tunique à manches courtes (recouverte parfois d’une légère cotte de mailles) et chaussés de ces sandales que les amants offraient aux jeunes gens en âge de servir. Fixé à l’épaule ou au côté, un carquois contient de légères flèches de roseaux ; au cou, un petit sac porte sans doute des cordes de rechange et peut-être une fronde.