Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Corse (suite)

Le renouveau de l’économie corse est pourtant sensible depuis la dernière décennie. La Société pour la mise en valeur agricole de la Corse (SOMIVAC), fondée en 1957, a édifié dans la plaine orientale des barrages en terre compactée limitant des lacs collinaires, qui tiennent l’eau en réserve pour l’irrigation estivale, et préparé les périmètres de cultures de Ghisonaccia et de Linguizzetta ; l’exploitation est orientée vers une polyculture commercialisée où les arbres fruitiers et, entre autres, les agrumes tiennent une large place. Cette tendance est soutenue par l’action de la station d’agrumiculture de San Giuliano. Cependant, le retour de colons d’Afrique du Nord a écarté en partie l’économie agricole de la voie choisie par la SOMIVAC. Les rapatriés ont défriché rapidement les maquis de la plaine orientale et de quelques autres plaines littorales, et créé de toutes pièces un vignoble de 10 000 ha, dont l’organisation industrielle et les grandes exploitations contrastent avec le vignoble traditionnel à petites parcelles de Patrimonio. L’accroissement des déplacements touristiques, la multiplication des relations maritimes avec Marseille, Nice, Gênes et Livourne, la mise en service de navires équipés pour l’embarquement direct des voitures et des camions, l’aménagement des aéroports de Bastia-Poretta et d’Ajaccio-Campo del Oro pour le trafic international ont suscité des efforts d’équipement touristique. La Société d’équipement touristique de la Corse (SETCO), la Compagnie transméditerranéenne, divers clubs et associations de tourisme ainsi que l’hôtellerie insulaire proposent des formes d’accueil très variées, mais la demande dépasse encore l’offre par suite de l’attrait des sites maritimes de l’« île de Beauté » : à côté des secteurs équipés ou en voie d’équipement, comme la baie d’Ajaccio, la Balagne entre Calvi et L’Île-Rousse ou le golfe de Porto, de longues lignes de rivage restent à l’état de nature. De plus, l’aménagement du parc régional dans la partie médiane de l’île, entre le golfe de Porto et le monte Renoso, crée un nouveau centre d’intérêt au cœur de l’île, tout en assurant la sauvegarde d’une flore et d’une faune originales.

Cette résurrection de la Corse pose néanmoins des problèmes rendus urgents par la rapidité de l’évolution récente. L’unité de l’île n’avait jamais été réalisée dans le passé. À l’En deçà des monts, orienté vers Bastia et l’Italie, s’opposait l’Au-delà des monts, dont le centre de gravité était Ajaccio et dont la position a été valorisée après la réunion de la Corse à la France. La division de l’île entre les départements du Golo et du Liamone reflétait ce dualisme régional. À l’intérieur de ces deux ensembles, la Corse était morcelée en une multitude de communautés de vallées ou de bassins fermés orientés selon les fractures dominantes, closes à l’amont par des cols élevés et cernées parfois par de vastes massifs forestiers. Aujourd’hui, les villes de Bastia et d’Ajaccio conservent chacune leur aire d’influence, mais l’isolement de la montagne s’est accru par suite du dépeuplement et de l’agonie de cellules de vie autrefois actives. Au contraire, les plaines littorales, longtemps abandonnées par suite de l’insécurité et de la crainte des fièvres paludéennes, sont désormais mises en valeur. Ce déplacement des aires de peuplement et d’activité esquisse une nouvelle organisation de l’espace. La plaine d’Aléria est désormais entièrement défrichée ; entre la plaine d’Aléria et le Golo, la Casinca, dont l’exploitation avait été entreprise par les Corses entre 1920 et 1930, s’est intégrée aisément dans le mouvement de reconversion vers une agriculture commercialisée ; la Marana, entre le Golo et Bastia, a accueilli en même temps de nouvelles exploitations, une conserverie destinée à stabiliser la production des fruits et une banlieue en cours de création au sud de Bastia, où se juxtaposent selon un plan discontinu les terres de culture, les citernes des entreprises de vinification, les magasins à grande surface, les entrepôts et les industries qui étaient à l’étroit dans la ville et les centres de service pour l’agriculture. Cette vitalité nouvelle est à l’origine de l’expansion récente de Bastia, au nord, et de l’animation de Porto-Vecchio, au sud de la plaine. Entre ces deux centres, il est possible de percevoir l’amorce d’une future armature urbaine, qui s’annonce, dans une ambiance pionnière, autour d’Aléria et de Ghisonaccia. Le Nebbio, entre la côte orientale du cap Corse et le désert des Agriates, et la Balagne, entre l’Ostriconi et le Fango, sont associés aussi par des liens plus ténus à l’aire d’influence de Bastia ; Saint-Florent, centre touristique du Nebbio, L’Île-Rousse et Calvi, les deux centres concurrents de la Balagne, assurent les services élémentaires indispensables, en hiver, aux villages et, en été, aux touristes. Malgré la longue hibernation qui les affecte dès la fin de la saison touristique, ces petites cités sont susceptibles de suppléer partiellement Bastia. Ajaccio est, certes, engagée dans une croissance similaire à celle de Bastia, mais la concentration administrative due à la présence de la préfecture, l’accueil des retraités et les fonctions touristiques prédominent. Malgré l’éclosion d’établissements de vacances sur la rive méridionale du golfe, autour de Porticcio, et sur le golfe de Sagone, Ajaccio est dépourvue de centre de relais, et l’activité cesse aux abords mêmes de la ville. Éloignées vers le sud, à l’écart dans la montagne ou face à la Sardaigne, Sartène et Bonifacio ne sont pas intégrées dans un ensemble en développement ; d’ailleurs, par la plaine orientale, l’influence bastiaise rejoint celle d’Ajaccio à Bonifacio. L’isolement du chef-lieu et la somnolence d’une partie de l’Au-delà des monts contrastent ainsi vigoureusement avec la vitalité de la côte orientale. Un nouveau déséquilibre a été introduit dans l’île par le dynamisme exceptionnel de cette côte orientale.

G. G.

➙ Ajaccio / Bastia.