Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Corelli (Arcangelo) (suite)

Il est probable qu’il gagna Rome vers 1671, pour n’en plus bouger qu’en de très rares occasions, sans jamais sortir d’Italie, et qu’il s’appliqua sans tarder à perfectionner ses études théoriques. Au dire de Giambattista Martini, « il se mit sous la direction du fameux Matteo Simonelli, de qui il apprit avec beaucoup de facilité les préceptes du contrepoint, grâce à quoi il devint un compositeur excellent et accompli ». Célèbre de bonne heure comme violoniste, il n’allait pas tarder à s’imposer aussi comme compositeur.

En 1681, il dédie son premier recueil de sonates en trio à l’ex-reine Christine de Suède, qui donne, dans la fastueuse résidence du palais Riario, des fêtes de musique auxquelles on tient à être admis. Il sera bientôt de ses familiers. En 1687, lorsqu’elle organisera un grand concert en l’honneur du roi Jacques II d’Angleterre à l’occasion de l’ambassade envoyée par lui auprès du pape Innocent XI, Corelli conduira un orchestre de 150 exécutants. La même année verra son engagement comme maître de la musique du cardinal Benedetto Pamphili, et sa faveur sera à son comble lorsque, ayant entre-temps refusé des offres flatteuses de la cour de Modène, il deviendra le directeur attitré de la musique du jeune cardinal Pietro Ottoboni, neveu du pape Alexandre VIII, mécène dont la faveur était une certitude de gloire et de fortune. Logé au palais d’Ottoboni, traité par lui en ami plutôt qu’en salarié, Corelli pourra dès lors se donner à son art en toute liberté d’esprit, polir des œuvres qui témoigneront de ce labeur poursuivi à loisir, si différent de la production hâtive de contemporains obligés de fournir, qui un ou deux opéras par saison, qui une demi-douzaine de concertos par semaine.

Au milieu de ces splendeurs, sa vie est simple. Il en passe une partie dans le pied-à-terre qu’il a loué dans le palazzetto Ermini pour y entreposer ses objets personnels, et principalement sa collection de tableaux.

Il se déplace peu ; des récits auxquels il n’est pas certain qu’on doive ajouter foi font état de certains incidents avec Alessandro Scarlatti, avec Händel, de qui il aurait imparfaitement déchiffré des traits conçus selon des techniques différentes de la sienne. À la vérité, on sait seulement qu’il cessa, à partir de 1710, de se produire en public et que, souffrant, il se fit transporter, à l’extrême fin de 1712, dans son appartement du palazzetto Ermini, où il mourut le 8 janvier 1713.

L’émotion causée par sa mort donne la mesure de la gloire à laquelle il avait atteint. Le cardinal Ottoboni tint à exprimer son affliction par une lettre de condoléances où il assurait à la famille que « sa protection ne cesserait pas, et que, voulant montrer au monde en quelle estime il tenait le défunt, il l’avait fait embaumer et mettre dans un triple cercueil de plomb, de cyprès et de châtaignier, exposé dans un tombeau de marbre avec une épitaphe, que le même Sr. Cardinal avait fait faire dans l’église de la Rotonde (le Panthéon), le tout à ses frais ». Par ailleurs, le cardinal fit conférer par l’Électeur palatin, à titre posthume, à la famille de Corelli, le marquisat de Ladenburg.

Corelli, à la différence de la plupart de ses contemporains, a élaboré son œuvre longuement, sans hâte et, chose plus rare, en se cantonnant dans un genre unique alors qu’il était d’usage courant de les aborder tous. Si l’on excepte quelques manuscrits dont l’authenticité n’est pas toujours certaine, tout Corelli tient dans six recueils, parus, les cinq premiers, de son vivant, le sixième et dernier étant posthume. Soit : deux recueils de sonates à trois (en réalité à quatre : 2 violons, violone [basse d’archet] ou archiluth et basse pour l’orgue) op. 1 (1681) et 3 (1689), destinés à l’église ; deux recueils de sonates de chambre à trois (même composition, mais la basse confiée au clavecin) op. 2 (1685) et 4 (1694) ; la fameuse œuvre cinquième, pour violon et violone ou clavecin (1700), qui comprend 6 sonates d’église et 5 sonates de chambre, plus la Follia, un thème suivi de 23 variations ; enfin l’œuvre sixième, douze concerti grossi dont 8 d’église et 4 de chambre (1714).

C’est l’op. 5 qui a connu la plus grande réussite — pas loin de 40 éditions rien qu’au cours du xviiie s. — et qui nous donne le plus éloquent raccourci de l’esthétique et de la technique corelliennes. Et c’est peut-être la Follia qui les expose avec un maximum de clarté.

Si les sonates à deux et à trois des op. 1 à 5 ont une valeur musicale supérieure à celle des œuvres qui les avaient précédées dans ce genre, leur structure ne présente pas d’innovations vraiment essentielles. Musicalement moins riche, la Follia, par contre, tranche avec la production antérieure. Non par le pathétique qu’on a voulu y mettre, et qui repose sur l’imagination aberrante de certains transcripteurs (la Follia n’est rien d’autre qu’un thème passe-partout, en circulation depuis plus d’un siècle quand Corelli l’a adopté). Mais il s’est ingénié à élaborer, dans une suite de variations d’une ampleur inaccoutumée, un précis de la technique d’archet telle qu’il la concevait, en corrélation avec sa conception globale de l’art du violon. Car, en même temps qu’il inventorie et perfectionne toutes les acquisitions de l’art de l’archet, il a plutôt souci d’élaguer pour ce qui est de la technique de la main gauche. Il joue et il écrit, en effet, à une époque où la tentation est forte de surenchérir sans cesse dans l’exploitation du registre aigu du violon : c’est là une virtuosité acrobatique où la musique ne trouve plus son compte. Il s’applique à maintenir l’instrument dans les limites de la voix humaine et à en modeler le phrasé sur le plus beau phrasé vocal : en quoi il assure des bases solides à l’école italienne classique du violon, qu’il a véritablement fondée, et qui, de Giovanni Battista Somis à Gaetano Pugnani, à Giovanni Battista Viotti, et de là à l’école franco-belge du siècle dernier, aura, par voie indirecte, servi de modèle aux écoles étrangères de tout temps et de tous pays.