Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Constantinople (suite)

Durant les deux derniers siècles de son existence, l’Empire byzantin, sérieusement amputé de ses possessions orientales, se débat au milieu de difficultés insurmontables : à l’intérieur, de graves conflits religieux et politiques provoquent des troubles ; à l’extérieur, la péninsule balkanique est saccagée par la Grande Compagnie catalane, les Serbes, les Bulgares et les Osmanlis. Maîtres de Gallipoli en 1354 et d’Andrinople en 1362, ces derniers poursuivent la conquête des Balkans avec acharnement au détriment des Grecs et des Slaves. Le sultan Bayezid soumet Constantinople à un blocus impitoyable durant sept ans (1394-1402) : la ville, affamée, ne doit son salut qu’à l’invasion de l’Anatolie par les Mongols de Tīmūr Lang, qui écrasent l’armée turque à Ankara en juillet 1402. Le sultan Murad II assiège Constantinople à son tour en 1422, mais sans succès.

L’avènement de Mehmed II (1451) sonne le glas de l’Empire grec. En avril 1453, le sultan réunit une puissante armée sous les murs de la capitale, qui ne dispose que d’une faible garnison grecque, renforcée par un modeste contingent latin. La grosse artillerie des Osmanlis a raison de la solidité des remparts : sept semaines de bombardements intensifs ouvrent de grandes brèches dans les murailles que les défenseurs n’ont ni le temps ni les moyens de réparer. L’assaut décisif a lieu le 29 mai : les janissaires escaladent les murailles, et l’armée turque pénètre dans la ville. Constantinople va devenir la capitale de l’Empire ottoman*.


La population

Le territoire de Constantinople n’a jamais été entièrement recouvert d’habitations : dans l’espace compris entre les murs constantiniens et théodosiens, l’habitat n’était pas concentré, et, de plus, jardins, potagers, vergers, champs cultivés sont attestés en pleine ville par diverses sources. Il faut ajouter les nombreux et vastes édifices publics occupant des dizaines d’hectares. On peut évaluer la population de la ville au maximum à 90 000 habitants au début du ive s., à peine à 200 000 au milieu du ve et à environ 400 000 au vie s., chiffre sans doute jamais dépassé, même sous les Comnènes au xiie s. L’occupation latine, les guerres civiles du xive s. et la peste meurtrière de 1348 entraînèrent un dépeuplement progressif : en 1453, la population oscillait entre 40 000 et 50 000 habitants.

Constantinople n’était pas une ville facile à administrer, d’autant moins que ses habitants, déjà passionnés par les discussions théologiques, s’étaient divisés en quatre factions groupées deux à deux, les rouges et les verts, les blancs et les bleus, dont les couleurs étaient portées et défendues par les cochers lorsque se déroulaient les grandes courses de chars de l’Hippodrome. En fait, ces factions recouvraient des oppositions sociales et religieuses, les bleus représentant plutôt la population strictement orthodoxe des quartiers aristocratiques (les Blachernes), les verts celle des quartiers pauvres de Sainte-Euphémie, sur la Corne d’Or, peuplés d’ouvriers et de calfats à l’orthodoxie en général suspecte.


Importance commerciale de Constantinople

Constantinople fut le plus grand emporium du Moyen Âge et le resta jusqu’en 1453. Principal entrepôt des produits orientaux (soie grège et épices) dès le vie s., au détriment d’Alexandrie et d’Antioche, la capitale impériale recevait en outre, par les ports de la mer Noire, le blé scythe ou bulgare, les esclaves slaves, les pelleteries du Nord, l’ambre de la Baltique ; d’Asie Mineure et de Méditerranée affluaient l’alun de Phocée, le henné de Chypre, les vins de Crète et de Grèce ; d’Occident parvenaient les blés et les vins d’Italie, le sel de l’Adriatique, les bois de Dalmatie, les esclaves des Balkans. L’importance considérable de l’activité commerciale de Constantinople contribua à faire de celle-ci le centre industriel de l’Empire et y provoqua l’afflux des marchands étrangers qui y constituèrent des colonies. Les premières furent celles des Bulgares (sans doute dès le début du viiie s.) et des Russes (fin du viiie s. - début du ixe s.). Mais les plus importantes colonies étrangères furent les italiennes ; après les Vénitiens, établis à Constantinople dès le xe s. et placés sous la juridiction et la protection du logothète du drome (992), apparurent les Amalfitains, qui furent les premiers Italiens à s’établir d’une manière permanente dans la capitale impériale (ixe-xe s.), avant d’être subordonnés à Venise, par Alexis Comnène, en 1082. Les privilèges concédés à cette date par cet empereur aux Vénitiens marquent un tournant dans la vie de Constantinople et dans celle de l’Empire, car, pour la première fois, des étrangers se voient attribuer la franchise douanière complète dans le port de la capitale ainsi qu’un quartier entier à Galata ; en 1111, les Pisans et, en 1155, les Génois reçoivent des privilèges analogues, sauf en matière de douanes, dont les droits n’étaient abaissés en leur faveur qu’à 40 p. 100 ad valorem.

Cette pénétration étrangère s’accentua aux xiie et xiiie s., le gouvernement impérial tentant, mais en vain, d’empêcher que, du fait des croisades, les courants commerciaux qui avaient fait la fortune de Constantinople ne soient détournés vers les ports du Levant latin ; la multiplication des privilèges consentis dans ce dessein aux marchands occidentaux ne fit que consacrer le déclin de la cité impériale, dont le port fut sillonné non plus par des navires byzantins, mais par des bâtiments italiens, auxquels on confia même la défense maritime de l’Empire ; le caractère cosmopolite de la ville en fut accentué, et son climat social altéré, tant du fait de la rivalité opposant les Italiens les uns aux autres (pillage du quartier génois par les Vénitiens en 1162 et en 1169) que de l’hostilité dressant les Byzantins contre les étrangers (soulèvement de 1182).

La prise de Constantinople par les croisés en 1204 et la création de l’Empire latin accélérèrent le déclin économique et politique de la cité, dont les Vénitiens furent alors les principaux bénéficiaires ; le retour des Byzantins en 1261 entraîna celui des Génois au détriment de leurs rivaux ; pourtant, un équilibre finit par s’établir entre les deux républiques marchandes présentes à Constantinople ; il se réalisa finalement aux dépens de cette ville, à l’intérieur de laquelle les Vénitiens à Galata et les Génois à Pera finirent par constituer de véritables États indépendants, dont les chefs, les podestats, intervinrent de plus en plus souvent et de façon décisive dans le gouvernement de l’Empire, en particulier au xve s. ; à cette époque, d’autres compagnies marchandes s’étaient également implantées dans la cité : Catalans depuis 1290, sauf une interruption de 1352 à 1438 ; Provençaux au xive s. ; Ragusains depuis 1431 ; Florentins, qui, ayant battu et incorporé Pise dans leur État, avaient hérité en 1436 de son ancienne colonie de Constantinople.