Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Constantinople (suite)

Au cours du ixe s., ces murailles arrêtent l’élan des Bulgares, qui se ruent à leur tour sur la péninsule balkanique : le khān Krum, victorieux de l’empereur Nicéphore Ier en juillet 811, assiège Constantinople, cependant, conscient de la vanité de son entreprise, il se contente d’en ravager les faubourgs et les alentours. De 821 à 823, un général byzantin d’origine slave, Thomas, déclenche une guerre civile : à la tête d’une forte armée, il bloque la ville durant un an, mais, au printemps 823, il est contraint de décamper. En 860, les Russes font leur première apparition devant Constantinople : ils débarquent, investissent la ville et pillent la région environnante ; l’empereur Michel III parvient à les repousser. Ils renouvellent leur raid un demi-siècle plus tard : le prince de Kiev, Oleg, pénètre en 907 dans les eaux du Bosphore et extorque aux Byzantins un traité garantissant le statut des marchands russes commerçant avec Byzance.

Quelques années plus tard, les Bulgares reprennent le chemin de la capitale : le fougueux tsar Siméon Ier est sous ses murs en août 913, ambitionnant de ceindre la couronne des basileis, mais il doit se rendre à l’invincibilité de la plus puissante forteresse du temps. Il entre alors en pourparlers avec les autorités byzantines, qui lui réservent un accueil grandiose et le lanternent habilement ; sitôt le tsar de retour dans son pays, Byzance se parjure et la guerre reprend : des armées byzantines sont anéanties, et, en 924, le souverain bulgare reparaît devant Constantinople qui lui résiste encore. En 941, des Russes débarquent sur le littoral de la Bithynie, mais, au cours d’une bataille navale, leurs bateaux sont détruits par le feu grégeois.

Sous le règne des grands empereurs de la seconde moitié du xe s., qui mènent sur tous les fronts une politique rigoureusement offensive, Constantinople reste à l’abri des Barbares. Le seul danger qui la menace est de tomber aux mains de militaires ambitieux : Bardas Skleros en 978 et Bardas Phokas en 987-989. Au cours du siècle suivant, la ville est assiégée par Léon Tornikios (1047) : l’indécision du général rebelle lui fait manquer l’occasion propice de s’emparer de la capitale.

Un usurpateur plus heureux, Isaac Comnène, l’enlève sans coup férir en 1057. L’anéantissement des armées byzantines par les Seldjoukides à Mantzikert (auj. Malazgirt), en Arménie, en août 1071, déclenche une longue période d’anarchie politique qui suscite bien des convoitises. Assiégée par Nicéphore Bryennios en novembre 1077, la capitale tombe en mars 1078 au pouvoir de Nicéphore Botanéiatès, dont le succès ne fait qu’encourager les autres compétiteurs.

Le plus heureux sera le jeune Alexis Comnène. En 1081, il rassemble en Thrace une armée hétéroclite, et un commandant qui avait la garde des remparts lui livre la ville à l’aube du 1er avril : trois jours de pillage récompensent la soldatesque victorieuse.

Durant les dix années suivantes, l’Empire est assailli sur tous les flancs, et, de février à avril 1091, Constantinople subit une fois de plus un blocus rigoureux : des hordes de Petchenègues campent devant ses remparts terrestres, cependant que la flotte d’un émir de Smyrne contrôle la mer de Marmara. L’habileté manœuvrière des Comnènes redresse la situation, et l’Empire repousse les Barbares : les frontières sont rétablies depuis l’Adriatique jusqu’au cœur de l’Anatolie et même de la Syrie.

La deuxième croisade fait courir à la capitale un sérieux danger : certains barons de l’entourage du roi de France, Louis VII, préparent un coup de main contre la ville dont ils sont les hôtes, mais Manuel Ier Comnène écarte la menace par la diplomatie. En mai 1182, la haine des Byzantins contre les Latins installés dans la capitale se soulage dans un affreux bain de sang, et la ville passe aux mains de l’usurpateur Andronic Comnène, qui y fait régner la terreur durant deux ans.

L’impuissance du gouvernement central à la fin du xiie s. favorise partout l’anarchie, et cette faiblesse fait le jeu des chefs de la quatrième croisade, que les Vénitiens et leurs complices ont adroitement détournée sur Constantinople. Pour la première fois depuis leur érection, les remparts sont violés par des étrangers. Le 24 juin 1203, la flotte des croisés défile devant les murs maritimes : la surprise des Grecs n’a d’égale que celle des Latins. L’impression que la ville fait sur ceux-ci, accoutumés aux modestes villes occidentales, on en trouve l’écho dans Villehardouin. « Vous pouvez savoir que ceux-là regardèrent beaucoup Constantinople qui ne l’avaient jamais vue, car ils ne pouvaient pas penser qu’il pût être en tout le monde aussi puissante ville, quand ils virent ces hautes murailles et ces riches tours dont il y avait tant que nul ne l’eût pu croire, s’il ne l’eût vu de ses yeux, et la longueur et la largeur de la ville qui sur toutes les autres était souveraine. »

Les Latins enlèvent la tour de Galata, forcent l’entrée du port et pénètrent dans la Corne d’Or. Le 17 juillet, ils donnent l’assaut et, malgré la disproportion des forces, escaladent les remparts. Quand leur jeune protégé, Alexis IV Ange, a été couronné, ils se retirent sur la côte asiatique. Mais le nouvel empereur refuse d’honorer ses promesses ; alors, les croisés, las d’être bernés, décident d’en finir ; ils repartent à l’assaut le 9 avril 1204, mais échouent. Ils recommencent le 12 et forcent l’enceinte maritime : un grand incendie ravage la ville, l’usurpateur Alexis V Murzuphle perd courage et la cité tombe aux mains des Latins, qui y font un butin stupéfiant.

Celui-ci partagé, on procède au dépeçage de l’Empire, mais les croisés seront incapables de garder leur conquête, qui sera progressivement grignotée par les Bulgares et les empereurs grecs de Nicée. Envoyé en Thrace avec un petit contingent pour surveiller la frontière bulgare, le général byzantin Alexis Strategopoulos s’empare par surprise de la ville, presque vide de défenseurs, à l’aube du 25 juillet 1261. Le 15 août suivant, l’empereur Michel Paléologue fait une entrée triomphale dans une capitale qui a beaucoup perdu de son éclat et de sa richesse.