Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

confucianisme et néo-confucianisme (suite)

L’essence de l’homme

Mais qu’est-ce que la vertu ? Qu’est-ce que former l’homme ? La vertu ne saurait être une chose imposée de l’extérieur ; au contraire, elle est une force innée que nous pouvons découvrir en nous-même. Former l’homme, c’est réveiller cette force intérieure et la développer. Confucius appelle cette qualité le ren (jen). Ce terme a été traduit de différentes façons : amour, altruisme, bonté, humanité, bonté humaine, vertu parfaite, etc. La difficulté de le traduire exactement réside d’abord dans le fait que Confucius lui-même l’emploie dans des sens très différents.

Le ren est en nous, et il suffit d’une introspection pour le découvrir : « Est-ce que le ren est loin de nous ? Il suffit qu’on le veuille et voici qu’il est à portée de notre main. »

D’autre part, Confucius dit : « Oserais-je penser que je possède le ren et mérite le nom de Sheng (Cheng) [Grand Sage] ? On peut dire que, inlassablement, j’apprends et j’enseigne, voilà tout. »

Dans l’idée de Confucius, posséder le ren signifie l’avoir développé au plus haut degré. En général, quand le Maître parle de l’homme qui possède le ren, il veut dire celui qui est conscient de le posséder et a, par conséquent, l’ardent désir de se perfectionner et aussi d’aider les autres à devenir meilleurs.

« Un homme qu’on peut qualifier de ren veut se tenir ferme lui-même, et il affermit les autres ; il désire se réaliser et il aide les autres à se réaliser. »

Le célèbre aphorisme « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse » est l’aspect négatif du ren, que Confucius nomme shu (chou). L’aspect positif du ren est « Faites aux autres ce que vous voulez qu’on vous fasse », que Confucius nomme zhong (tchong).

Beaucoup de disciples questionnaient Confucius sur le ren. Confucius répondait de différentes manières, selon la circonstance et la capacité de compréhension du disciple. Mais, dans toutes ces réponses, il évitait une investigation métaphysique du problème et ramenait toujours l’élève vers la pratique.

Le ren est l’essence de l’homme. Confucius ne l’affirme pas, mais sa pensée philosophique l’implique. Cette implication revêt une importance extrême. Elle concerne la nature de l’homme — le sujet principal de l’école confucéenne des siècles à venir.


Programme de l’éducation

En tant qu’éducateur, Confucius a un programme précis. Il veut faire de ses disciples des hommes accomplis, utiles à l’État et à la société. Il affirme que son enseignement n’apporte rien de nouveau et qu’il se contente de transmettre la culture ancienne, ce qui n’est qu’à moitié vrai. Il enseigne les six Classiques : le Yijing (Yi-king) [« Livre des mutations »], le Shijing (Che-king) [« Livre des odes »], le Shujing (Chou-king) [« Livre des documents »], le Liji (Li-ki) [« Mémoire des rites »], le Yuejing (Yue-king) [« Livre de la musique »] et le Chunqiu (Tch’ouen-ts’ieou) [« Annales des printemps et des automnes »]. Ces Classiques ont été la base de l’éducation aristocratique, mais Confucius les enseigne d’une façon personnelle. Et il prodigue cet enseignement à tout le monde, que le disciple soit noble ou non. En outre, il fait des remaniements dans la composition des textes et en donne des interprétations dérivées de ses propres concepts moraux. Il veut justifier la culture existante par une pensée philosophique. Ou, mieux encore, il cherche à dégager le sens de la culture de son temps et à y insuffler ainsi une nouvelle vie.

Pour être un homme accompli, il faut, d’une part, posséder le ren (jen) et, d’autre part, être cultivé.

« (L’homme est fait de la matière et de la culture.) Si la matière prévaut sur la culture, c’est un rustre. Si la culture prévaut sur la matière, c’est un fonctionnaire. Si l’une et l’autre sont équilibrées, c’est un homme noble. »

Humaniste et réaliste, Confucius évite les problèmes sur le surnaturel : « Le Maître ne parlait pas de phénomènes extraordinaires, ni d’actes de violence, ni de bouleversements dans les lois de la nature ou de l’homme, ni d’esprits. »

Zilu (Tseu-lou) interroge Confucius sur la manière d’honorer les esprits. Le Maître répond : « Tu ne sais pas encore comment servir les vivants, comment veux-tu savoir servir les esprits ? » Zilu reprit : « Permettez-moi de vous interroger sur la mort. » Le Maître répondit : « Tu ne sais pas encore ce qu’est la vie, comment peux-tu savoir ce qu’est la mort ? »

Le Maître dit à l’un de ses disciples : « Voulez-vous que je vous enseigne le moyen d’arriver à la science véritable ? Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas, c’est savoir véritablement ».

Confucius, avons-nous dit, transpose les problèmes politiques en problèmes éthiques. Il sait bien, cependant, que l’éducation n’a pas un effet rapide et efficace.

Un jour, en arrivant à Wucheng (Wou-tch’eng), il entend des chants et des sons d’instruments. Il sourit et dit : « Pour tuer une poule, emploie-t-on un couteau à dépecer le bœuf ? » Ziyou (Tseu-yeou), son disciple, alors préfet de la ville, répond : « C’est vous-même, Maître, qui disiez que l’étude de la sagesse [la musique figure dans le programme] rend les hommes nobles bienfaisants et les hommes du peuple faciles à gouverner. »

« Mes enfants, dit le Maître, You (Yeou) a raison. Je n’ai dit qu’une plaisanterie. » Cette plaisanterie vise plutôt sa propre pensée. L’idéalisme d’un éducateur ressemble à un couteau pour dépecer le bœuf. Pour tuer une poule, il est difficile à manier et peu efficace.

Mais il ne faut pas voir en Confucius un philosophe dépourvu de capacité pratique. Il occupa de hautes fonctions dans l’administration de sa patrie Lu (Lou) comme ministre de la Justice et comme ministre intérimaire. Il remporta un grand succès diplomatique lors de la rencontre entre le prince de Lu et celui de Qi (Ts’i) grâce à son courage. Malheureusement, sa vie politique fut brève.