Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colportage (littérature de) (suite)

Enfin vient un groupe de romans qui échappent au genre chevaleresque, puisque le récit, malgré force coups d’épée échangés, est très près de thèmes folkloriques centrés sur une héroïne persécutée. Tels sont l’Histoire de la belle Héleine, Valentin et Orson et aussi une idylle contrariée, Pierre de Provence et la belle Maguelonne, qui sont les ancêtres directs du roman-feuilleton sentimental.


Les contes de fées

Si l’on excepte certains contes de Perrault comme le Chat botté et le Petit Poucet, les contes nés dans les salons à la fin du xviie s. et popularisés dans la seconde moitié du xviiie s. représentent avant tout une littérature destinée à un public féminin qui y retrouve assez souvent des inspirations proches du folklore. Le plus proche de la création orale est sans doute Perrault, si l’on excepte Riquet à la houppe, mais Mme d’Aulnoy, dans l’Oiseau bleu, la Belle aux cheveux d’or, la Biche aux bois, Prince Marcassin, Princesse Belle Étoile, Belle belle ou le Chevalier Fortuné, a imité ou contrefait des thèmes de la littérature orale. Les autres œuvres de Mme d’Aulnoy passées dans la littérature de colportage, ainsi que les contes de Mme de Murat, malgré quelques emprunts de détail au folklore, sont en majorité des récits d’imagination avec parfois un curieux caractère onirique, comme dans le Rameau d’or ou le Nain jaune.

Mais nous sommes en présence, de nouveau, d’ancêtres de la presse du cœur. Il s’y ouvre d’abord une école de galanterie qui traduit probablement un plus grand raffinement des mœurs populaires dans les villes et au niveau de la paysannerie aisée, celle qui, précisément, commence à faire copier assez gauchement par des artisans ruraux les meubles de l’aristocratie — ce qui a donné le mobilier dit « rustique ».

Par ailleurs, ces romans traduisent surtout une explosion des sentiments féminins dans la littérature populaire, contrairement à des romans comme la Belle Héleine, qui exprimaient avant tout la passivité féminine.


Les romans de la fin du xviiie siècle et du début du xixe

Pour la première fois apparaissent dans la littérature populaire des romans qui, bien que n’ayant pas encore été écrits pour le peuple, connaissent une diffusion populaire à peu près contemporaine de leurs auteurs ou avec un décalage minime par rapport à l’époque de leur vie.

Florian, avec Numa Pompilius, Marmontel, avec Bélisaire et, dans une certaine mesure, Ducray-Duminil représentent une tradition du roman d’aventures héritée plus de Télémaque que des Quatre Fils Aymon, mais inspirée par la philosophie des lumières.

Cependant, la gloire de Florian tient surtout à de petits romans sentimentaux dans le genre pastoral, qui ont connu un tel succès que certaines des romances insérées dans le cours du récit de Célestine (dans les Six Nouvelles) ou d’Estelle et Némorin ont été chantées pendant plus d’un demi-siècle. C’est le cas de Voici le gai printemps et de Plaisir d’amour. Et que d’Estelle ont dû leur prénom à Florian comme les Virginie devaient le leur à Bernardin de Saint-Pierre !

Dans les romans de Florian, la vertu s’entrechoque avec des passions impérissables. La femme y apparaît meurtrie, écartelée entre son devoir et son amour. Si l’amour triomphe, ce n’est que par un heureux hasard, un tour de passe-passe de l’écrivain, qui parvient ainsi à concilier la vertu et la passion.

Il n’en est pas de même avec Mme Cottin, qui annonce le romantisme. Avec elle, la passion est tragique, destructrice même pour les amants. Mais l’écrivain qui est devenu de son vivant le plus populaire est certainement Ducray-Duminil. Usant de tous les ressorts du roman noir anglais et du mélodrame, qui commence à faire fureur, il bâtit d’implacables récits où la fourberie, le vol et le crime font l’essentiel de l’intrigue. Encore une fois, son public essentiel est celui des femmes, les victimes, les éternelles persécutées de ses romans, avec, il est vrai, les enfants, orphelins ou abandonnés, ce qui est encore une façon de s’adresser à la sensibilité et même au masochisme féminins.

Après les romans de Ducray-Duminil, nous arrivons au seuil de la littérature populaire contemporaine, qui naîtra vers 1840 avec les romans-feuilletons, mais on peut dire que Ducray-Duminil est déjà le véritable fondateur de la technique ainsi que d’une partie des personnages du genre.

P. B.

 C. Nisard, Histoire des livres populaires ou de la littérature de colportage (Amyot, 1854 ; 2e éd., Dentu, 1864 ; 2 vol.). / E. Socar, Livres populaires imprimés à Troyes de 1600 à 1800. Hagiographie. Ascétisme (Dufour-Bouquot, Troyes, 1864) ; Études sur les almanachs et calendriers de Troyes, 1497-1881 (Bertrand-Hu, Troyes, 1881). / A. Socard, Livres populaires. Noëls et cantiques imprimés à Troyes depuis le xviie siècle jusqu’à nos jours (Aubry, 1865). / Champfleury, Histoire de l’imagerie populaire (Dentu, 1869 ; nouv. éd., 1886). / A. Assier, la Bibliothèque bleue depuis Jean Oudot Ier jusqu’à M. Baudot, 1600-1863 (Champion, 1874). / J. Grand-Carteret, les Almanachs français, 1600-1895 (Alisié, 1896). / P. L. Duchartre et R. Saulnier, l’Imagerie populaire (Libr. de France, 1925) ; l’Imagerie parisienne (Grund, 1944). / R. Helot, la Bibliothèque bleue en Normandie (Laisné, Rouen, 1928) ; Canards et canardiers en France et principalement en Normandie (Margraff, 1935). / P. Brochon, le Livre de colportage en France depuis le xvie siècle (Grund, 1954). / J. P. Seguin, Nouvelles à sensation. Canards du xixe siècle (A. Colin, coll. « Kiosque », 1959) ; l’Information en France avant le périodique (Maisonneuve et Larose, 1964). / G. Bollème, la Bibliothèque bleue (Julliard, coll. « Archives », 1971).

Coltrane (John)

Saxophoniste de jazz américain (Hamlet, Caroline du Nord, 1926 - Huntington, État de New York, 1967).


Alors que la plupart des grands musiciens de jazz se découvrent vers leur vingt-cinquième année, ce ne sera qu’en 1960, à trente-quatre ans, que John Coltrane réussira à libérer toutes les forces qui mûrissaient en lui. Auparavant, ce fils d’un tailleur, musicien amateur (dont la femme joue du piano à l’église), travaille dans des groupes de danse et accompagne des chanteurs de rock-blues, notamment Big Maybelle, King Kolax et Eddie Vinson. Puis il fréquente en 1948 des musiciens be-bop de Philadelphie, en particulier le trompettiste Howard McGhee et le batteur Philly Joe Jones. Il appartient ensuite à divers orchestres — Dizzy Gillespie, Lonnie Slappery, Earl Bostic, Gay Cross, Johnny Hodges et Jimmy Smith — sans trop attirer l’attention jusqu’en 1955, année où il est engagé par le trompettiste Miles Davis pour tenir le saxophone ténor dans un quintette très en vogue. Cet orchestre suivait la voie du hard-bop, style qui prolongeait les découvertes harmoniques du be-bop en un contexte mélodique et rythmique plus simple et plus directement agressif. Soutenu par une section rythmique exceptionnelle — avec Philly Joe Jones, Paul Chambers et Red Garland —, John Coltrane, timide à ses débuts, s’enhardit ensuite et s’impose par le souci d’être autre chose que le faire-valoir de Miles.