Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Colomb (Christophe) (suite)

Le grand projet

C’est certainement au retour de cette lointaine expédition vers le nord-ouest que Colomb commence à échafauder sa grande entreprise. Depuis longtemps déjà, les souverains du Portugal posent des jalons sur la route de l’Inde en suivant les côtes de l’Afrique : ils sont parvenus au fond du golfe de Guinée, et le pape leur a accordé la juridiction sur toutes ces terres (1456).

Son mariage (1479) va sans doute contribuer à tourner Colomb vers la recherche de l’autre route (la sphéricité de la Terre n’est plus en doute), celle de l’ouest : il épouse en effet une noble personne, Felipa Moniz Perestrello, apparentée aux Bragance et fille du gouverneur de Porto Santo, petite île proche de Madère. Les jeunes mariés vont y habiter, et Colomb y entend parler d’indices sur les terres qui se trouveraient dans l’ouest : troncs d’arbres d’espèces inconnues amenés par les courants et même cadavres d’hommes bizarres, « à large visage ». Les îles légendaires de l’Atlantique, relais vers Cipango et Cathay, prennent ainsi une certaine réalité et permettent d’envisager avec plus de sérieux le parcours de distances jugées jusqu’ici infranchissables par les marins.


Le problème de la longueur de la route vers l’Orient

Les évaluations de Claude Ptolémée sur les dimensions de la Terre se trouvaient les plus proches de la réalité et laissaient donc supposer qu’une immense étendue océanique séparait l’Europe de l’Orient. Aussi, pour donner consistance à son projet, Colomb s’appuie-t-il sur d’autres évaluations, celles de Marin de Tyr, citées par l’Imago mundi du cardinal français Pierre d’Ailly, qui réduisent considérablement la distance vers l’Asie par l’ouest. Le géographe allemand Martin Behaim, qui a vécu au Portugal et peut-être connu Colomb, façonnera d’ailleurs, en suivant ces données, un célèbre globe où l’Extrême-Orient correspondra, en fait, à l’emplacement du Mexique. Enfin, le Génois a peut-être eu sa conviction totalement affirmée par sa fameuse correspondance avec un savant florentin, Paolo dal Pozzo Toscanelli (la réalité de cette lettre a d’ailleurs été mise en doute). Comme suite à un rapport envoyé à la cour de Lisbonne, ce dernier aurait encouragé Colomb à persévérer dans son « magnifique dessein ».


Premiers échecs

Le projet désormais bien au point, il faut passer à sa réalisation et le proposer au souverain, qui accueille Colomb sans doute à la fin de 1484. C’est un échec : les spécialistes de Jean II, bien plus proches de la vérité que Colomb, refusent de croire à l’exiguïté des mers séparant l’Occident de l’Orient. De plus, tous les efforts portugais sont tournés vers la route africaine : en 1482, Diego Cãm avait atteint l’embouchure du Congo.

En 1485, Colomb, peut-être veuf à ce moment, quitte brusquement le Portugal pour l’Espagne : il est possible qu’il soit harcelé par des créanciers. Il confie son fils aux franciscains du couvent de La Rábida, chez lesquels il trouve de premiers appuis, et obtient une recommandation pour le confesseur de la reine. Il réussit à obtenir une audience royale en mai 1486 et sait émouvoir Isabelle par son extrême dévotion : une petite pension lui est accordée. Pourtant, pas plus que ceux de Jean II, les conseillers d’Isabelle ne sont favorables au singulier projet. En outre, la fin de la Reconquista épuise les maigres ressources de la Castille. À partir de 1488, avec l’aide de son frère, Colomb en viendra à solliciter de nouveau l’appui de Lisbonne, puis celui de Charles VIII roi de France, et d’Henri VII d’Angleterre ; sans résultat. La chute tant attendue de Grenade (2 janv. 1492) laisse enfin aux Rois Catholiques la possibilité d’envisager quelques frais pour mettre sur pied l’expédition du tenace Génois : même si elle a bien peu de chances d’aboutir, il serait à leurs yeux imprudent de laisser tenter l’aventure sous une bannière concurrente...


La mise sur pied de l’expédition

Grâce à l’appui du trésorier de la Maison du roi, Santagel, et après une volte-face d’Isabelle, des « capitulations » sont signées au camp de Santa Fe, près de Grenade, le 17 avril 1492. L’étranger obtient des Rois Catholiques des privilèges tout à fait exceptionnels, qui ne peuvent s’expliquer que par le peu de foi accordé à sa réussite : il est nommé « amiral de la mer Océane », titre héréditaire, et vice-roi de toutes les terres qu’il peut être amené à découvrir et à acquérir pour le compte des « Rois ». Il gardera le dixième de l’or, des pierres précieuses et des épices qui seront trouvés au cours de l’expédition. Ces conditions si généreuses porteront en elles-mêmes leur nullité dès que l’importance du Nouveau Monde se révélera : leur respect aurait fait de Colomb et de ses descendants les princes les plus puissants de toute la chrétienté ! Mais les procès auxquels donneront lieu les capitulations seront la source la plus précieuse pour écrire l’histoire de Colomb.

Le Génois prépare enfin son expédition : il reçoit l’appui obligé des gens de Palos de Moguer, qui sont à l’amende pour quelque acte de piraterie et qui doivent armer deux navires pour l’expédition : la Santa Clara, que l’on appellera plutôt la Niña, et la Pinta, commandée par Martín Alonzo Pinzón. Un troisième bateau, le plus grand (mais il ne devait guère jauger plus de cent tonneaux), est affrété par Colomb lui-même : la Santa María. C’est une « nao » ronde et épaisse, lourde et lente, peu faite pour la découverte. Les équipages sont de bons marins, andalous pour la plupart, et non le ramassis tiré des geôles locales que l’on a parfois décrit.


La première traversée de l’Atlantique

Après une confession générale, c’est le grand départ, avant le lever du soleil, le 3 août 1492.

D’emblée, Colomb a su trouver le meilleur itinéraire pour gagner l’ouest : averti sans doute par un voyage qu’il a fait jadis sur les côtes du golfe de Guinée, il gagne des latitudes assez basses pour bénéficier des grands vents réguliers qui portent à l’ouest, les alizés ; après une relâche aux Canaries, ces vents sont rencontrés le 8 septembre, par un temps magnifique. Dès lors se déroule, paisiblement, le plus grand voyage de découverte jamais entrepris. Mais, au début d’octobre, les marins s’inquiètent de la durée de l’expédition et de l’éloignement, bien que Colomb leur cache une partie du trajet effectivement parcouru en diminuant systématiquement les estimes faites chaque jour. Le 10 octobre, les hommes commencent à perdre patience. Mais il est exagéré de parler de révolte dans les jours qui précèdent l’arrivée aux îles Lucayes (Bahamas).