Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cisterciens (suite)

Aux accusations portées contre eux, les Cisterciens répondent qu’ils veulent observer exactement la règle de saint Benoît. Cela signifie pour eux une plus grande austérité dans la nourriture, l’habillement, le travail manuel. Par souci de pauvreté, mais aussi d’indépendance, ils renoncent aux dîmes, à la protection des puissants et à l’éducation des enfants (que prévoyait pourtant la règle). À court de ressources et désireux de protéger le loisir nécessaire à la vie contemplative, ils innovent en instituant un nouveau genre de religieux : les frères convers. Ces frères convers seront très nombreux dans les monastères, quatre à cinq fois plus nombreux que les moines de chœur, dont ils seront rigoureusement séparés. Contrairement aux apparences, cette institution constitue un réel progrès social, car elle ouvre au moine cultivé et au frère ignorant l’accès à un même idéal de sainteté. L’humble état de convers ne manque d’ailleurs pas d’exercer un attrait particulier sur des nobles et même des fils de rois. L’abondance de main-d’œuvre permet l’acquisition de terres et de granges parfois éloignées du monastère ; les Cisterciens excellent bientôt dans le commerce de la laine, spécialement en Angleterre.

Accompagnant cette aisance matérielle, un essor de la vie spirituelle se remarque à la seconde génération cistercienne. Saint Bernard fait école avec Guillaume de Saint-Thierry, Guerric d’Igny et surtout le jeune Anglais Aelred de Rievaulx (v. 1109-1167). Nourri de culture classique, Aelred écrit un traité, De spirituali amicitia, véritable théologie de l’amitié chrétienne ; toute la doctrine cistercienne s’y retrouve, fondée sur la capacité du cœur humain d’atteindre Dieu par l’amour.

Clairvaux donne ainsi à toutes les abbayes issues d’elle ce souci de culture spirituelle, de théologie mystique, d’harmonie entre la vie active et la vie contemplative, qui est une des données les plus sûres de la tradition monastique. Ce mouvement mystique, parallèle à la scolastique naissante, pénètre toute la chrétienté, grâce à l’unité voulue par la « charte de charité ». Car l’inspiration animatrice de l’ordre passe de Cîteaux à Clairvaux durant le temps de l’abbatiat de saint Bernard. Le dynamisme de ce dernier marque profondément l’esprit cistercien : d’une part, l’austérité des origines évolue vers une certaine intransigeance des observances et un puritanisme dans l’art ou l’architecture ; mais, d’autre part, l’activité politique et ecclésiale de celui qu’on appelle l’arbitre de l’Europe mêle les moines aux affaires extérieures plus que ne le prévoit l’idéal de vie contemplative poursuivi cependant avec conviction. Alors que le but des fondateurs a été de réunir des ermites dans le silence et la solitude, l’expansion extraordinaire de l’ordre et l’accession de ses membres aux plus hautes charges ecclésiastiques changent les perspectives. Il y a bien un essai de reprise à la mort de saint Bernard, mais le bien de l’Église ne peut admettre un retour en arrière.


Le xiiie siècle

À l’exemple de saint Bernard qui a encouragé les chevaliers du Temple, Raimond de Fitero (1090-1163) fonde l’ordre de Calatrava en Espagne pour lutter contre les Maures. Des cisterciens participent à la troisième et à la quatrième croisade, suivant en cela également l’exemple de saint Bernard, qui a prêché la deuxième. Beaucoup de membres éminents de l’ordre, cardinaux, archevêques et abbés, imitent encore saint Bernard comme diplomates et médiateurs dans les négociations entre la papauté et les puissances séculières ; ils sont aussi envoyés dans les missions contre les hérésies albigeoises ; en Prusse et dans les provinces baltes, ils sont missionnaires et évangélisateurs. À l’époque du IVe concile du Latran, l’ordre cistercien atteint l’apogée de son prestige et de son influence, et les pères du concile le désignent comme modèle aux autres religieux.

Alors que saint Bernard et ses disciples se sont opposés aux représentants de l’école nouvelle, Abélard ou Gilbert de La Porrée (1076-1154), il est assez étonnant de les voir devancer les Bénédictins aux universités. Dès 1237, Clairvaux envoie ses jeunes moines à Paris ; d’autres abbayes suivent, jusqu’à la fondation du collège Saint-Bernard en 1245. Il y aura des collèges cisterciens dans toutes les grandes universités d’Europe : Montpellier, Toulouse, Oxford, Cologne, Salamanque, Bologne, Metz. Le pape Benoît XII, cistercien français, réglemente les études dans l’ordre par sa constitution de 1335, Fulgens sicut Stella matutina. Ces études universitaires continueront à avoir leur place dans la formation des moines jusqu’au xviiie s. Les abbayes belges d’Aulne et de Villers auront des maisons à l’université de Louvain ; les universités allemandes, Heidelberg surtout, compteront des étudiants cisterciens.


Du xive au xvie siècle

La peste noire, la guerre de Cent Ans, le Grand Schisme sont autant d’épreuves particulièrement éprouvantes pour les ordres monastiques, tandis que l’esprit de la Renaissance dévalorise l’héritage médiéval. C’est l’époque aussi où le système désastreux de la mise en commende des abbayes les mène à la ruine. Le coup de grâce est donné par la Réforme de Luther, qui provoque la dissolution des monastères dans une moitié de l’Europe. À l’intérieur de l’ordre, le système provincial des mendiants et l’essor des États indépendants amènent la création de congrégations nationales : Espagne, Italie, Portugal, Allemagne, Irlande, etc. Parmi ces congrégations, qui divisent l’ordre, il faut distinguer celle des Feuillants, qui instaure un règlement de vie d’une extrême austérité.

Ces réformes restent limitées, car elles n’ont plus le soutien de l’ordre, dont les structures sont bloquées. L’organisation provinciale a supplanté le chapitre général, auquel d’ailleurs les abbés commendataires se soucient fort peu d’assister.


Le xviie siècle

Ce sera au Grand Siècle que la réforme prendra un caractère plus décisif, mais pour tourner en « guerre des observances ». Ce qu’on appellera plus tard la stricte observance naît au début du siècle, en 1602, lorsqu’un abbé commendataire, Octave Arnolfini, se fait cistercien à Clairvaux et rentre comme abbé régulier dans sa propre abbaye de La Charmoie. Denis Largentier, abbé de Clairvaux, adopte lui-même la réforme, suivie bientôt par une dizaine d’abbayes. Ces moines forment le groupe des « abstinents » parce qu’ils ont restauré l’abstinence totale de viande. Une lutte âpre et embrouillée s’ensuit, au cours de laquelle interviennent activement le cardinal de La Rochefoucauld et aussi Richelieu, qui se fait nommer abbé général.