Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

circulation (suite)

Les éléments en présence

• Le parc automobile. Le nombre total de véhicules en circulation ou susceptibles de circuler, c’est-à-dire le parc automobile mondial, était de 67 millions en 1955 et de 90 millions en 1960 ; il est de 190 millions en 1970. Le parcours moyen annuel des voitures particulières augmente lui aussi : en 1958, une voiture particulière parcourait 9 000 km par an en France et 14 000 km en Allemagne ; en 1970, les trajets moyens étaient passés respectivement à 11 000 km et à 16 500 km. Le parc des camions et celui des deux-roues sont aussi en pleine expansion.

À ce phénomène, il y a deux corollaires. Le premier, d’ordre psychologique, est l’homme nouveau — le « maître de voiture », comme l’appelle Alfred Sauvy — qui place en tête de son échelle de valeurs, quand il choisit une automobile, la carrosserie, puis la puissance du moteur, enfin la sécurité du véhicule, car la voiture n’est pas un objet de propriété banal comme un réfrigérateur. Le second corollaire est d’ordre collectif, c’est l’industrie automobile et le cortège d’industries et de services qu’elle alimente, dont le but est de satisfaire aux demandes d’aménagements techniques et aux désirs du public pour le plus grand bien, selon certains, ou le plus grand malheur, selon d’autres, des économies nationales. Si bien que toute décision prise en matière de circulation doit franchir la double barrière de l’opinion publique et des groupes de pression industriels.

• Les infrastructures. Face à ce phénomène galopant de l’automobile, routes et villes deviennent totalement inadaptées : leurs capacités ne peuvent plus absorber la densité de la circulation.

La plus grande partie du réseau routier français est assurée en fait par des itinera et des viae. Plus d’un million de kilomètres de routes ou chemins communaux ont de 3 à 6 m de large, 50 000 km, de 6 à 9 m. Ces petites routes sont insuffisantes pour la densité du trafic et la vitesse des voitures : en outre, elles ne sont pas conçues pour résister aux charges autorisées par essieu ni à l’utilisation de chaînes ou de pneus cloutés en cas de mauvais temps. Il faut donc consolider, aménager, prévoir des accotements pour pannes ou repos, des voies supplémentaires en côte pour véhicules lents, supprimer les « points noirs », inventer d’autres routes. On suit pour cela un ordre de priorité dicté par les variations du trafic : variations quotidiennes autour des grands centres, variations hebdomadaires de plus en plus considérables avec l’extension des « fins de semaine » et des résidences secondaires, variations saisonnières enfin, que commandent — notamment par suite du faible étalement des congés — les grandes transhumances estivales vers l’étranger ou vers les stations balnéaires. Les normes ministérielles françaises exigent que soit atteint le seuil de 6 800 voitures par jour pour envisager de porter à trois ou quatre voies une chaussée à deux voies ; or, sur des milliers de kilomètres en Europe, le rythme est de 30 000 unités par jour.

L’autoroute est conçue dans le dessein d’améliorer le rendement de la vitesse, de la continuité et de la sûreté, mais pose plusieurs problèmes au niveau actuel de son développement. Née avec une vocation de liaison routière et d’entraînement économique, elle s’impose dans de nombreux pays comme une simple voie de dégagement, de dédoublage du trafic existant ; c’est sans doute cette « fausse route » née de considérations trop immédiates qui a fait naître la querelle des autoroutes.

Aux États-Unis la faible densité humaine, en France l’excellence du réseau routier ont commandé des réalisations timides au niveau de la conception, se limitant à la notion de dégagement, n’abordant celle de liaison que lorsque deux autoroutes de dégagement étaient appelées à se rejoindre. L’Allemagne et l’Italie, au contraire, « bénéficiaient » d’une forte densité humaine et de l’absence d’un bon capital routier. (Il n’est guère douteux que les visées expansionnistes de l’hitlérisme aient également joué un rôle important dans le développement des autoroutes en Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale.) Aux États-Unis, la véritable autoroute de liaison ne date que de la « guerre froide » avec le projet de « National System of Interstate and Defense Highway ».

La passivité devant les débits de véhicules subis ou prévus à court terme réduit « à suivre le trafic là où il est et non pas à chercher à le déplacer par des travaux d’entraînement » (M. J. Thédié). C’est ce qui apparaît lorsque l’on compare, ainsi que l’a fait Paul Gache, l’autoroute A 7 en France et l’« autoroute du soleil » en Italie. La première, au fond du sillon rhodanien, qu’elle « encombre » et où elle s’étrangle parfois (Vienne), aurait gagné à emprunter l’itinéraire de la voie romaine distante de 5 à 15 km ; cet itinéraire « forme un axe parallèle qui aurait été extensif d’activité et, joint à chaque ville de la vallée par une courte bretelle, aurait sorti l’agglomération de l’étroitesse de son site ». Au contraire, le trajet de l’« autoroute du soleil » est très souvent original, et les dix-sept provinces qu’elle traverse ont été entraînées économiquement grâce à ce train de 30 000 véhicules par jour. L’autoroute trouve ici sa dimension propre en « instituant une courroie de transmission régulatrice entre deux régions en symbiose » ; alors que l’autoroute qui double la route souffre de la concurrence de celle-ci et que le double emploi est contraire à l’économie autoroutière.

• Les accidents de la route. Mais le grand drame de la circulation réside dans le nombre des accidents : en France un automobiliste sur mille tue une fois dans l’année, et une voiture de tourisme sur cinq est impliquée dans un accident corporel. En 1972, 274 491 accidents ont fait en France 16 621 tués et 388 139 blessés. En 1968, le nombre de morts s’est élevé en Allemagne fédérale à 14 640 ; en Italie à 9 740 ; en Grande-Bretagne à 6 810 ; en Suède à 1262 ; aux États-Unis à 56 400.

L’amélioration du réseau routier n’est pas seule en cause dans ce bilan ; les constructeurs et les conducteurs d’automobiles ont aussi leur part de responsabilité (ces derniers par l’importance de l’imprégnation alcoolique relevée en cas d’accident, par les fautes d’inattention et par l’inobservance des signaux d’arrêt).