Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

1957-1965. Rupture sino-soviétique et reprise en main de l’armée par le parti

À partir de 1957, les dirigeants de la Chine s’efforceront de replacer l’armée dans le cadre de cette conception. Leur entreprise aura le plus souvent l’aspect d’un affrontement quasi permanent de deux tendances contradictoires :
— d’une part, les « politiques », qui prônent avec Mao Zedong (Mao Tsö-tong) la supériorité de l’homme sur la technique et considèrent la guerre populaire comme le moyen d’action privilégié et la politisation de l’armée comme indispensable ;
— d’autre part, les « professionnalistes », à tendance technocratique et apolitique, qui opposent les vertus traditionnelles de la caste militaire et la puissance de feu d’un solide corps de bataille aux théories maoïstes de la guerre populaire.

La querelle s’est d’ailleurs étendue aux problèmes posés par la possession d’armes nucléaires. Pour les politiques, la Chine doit disposer d’une force nucléaire nationale, de conception et de réalisation entièrement chinoises, indispensable à l’accession de la Chine au rang de grande puissance ; les professionnalistes, au contraire, s’en seraient volontiers remis à l’« ombrelle nucléaire » soviétique.

De 1957 à 1959, l’A. P. L. fut soumise à une dure campagne de rectification : suppression de nombreux avantages matériels, obligation faite aux officiers d’effectuer des stages dans le rang, reconstitution des milices populaires. En septembre 1959, la rupture avec Moscou étant sur le point d’être consommée, les politiques frappèrent le professionnalisme à la tête en éliminant les partisans du modèle soviétique, représentés par le ministre de la Défense Peng Dehuai (P’eng Tö-houai) et le chef d’état-major Huang Kecheng (Houang K’o-tch’eng), qui furent remplacés par Lin Biao (Lin Piao) et Luo Ruiqing (Lo Jouei-k’ing). Ceux-ci s’employèrent à mettre en pratique dans l’armée le mot d’ordre politique d’abord, et le parti exerça une emprise totale sur l’A. P. L. Pourtant, en 1965, l’embourgeoisement menaçant de nouveau, des mesures radicales comme la suppression des grades et la prolétarisation des tenues furent prises dans le dessein de ramener l’armée à son esprit d’avant 1955. Pourtant, cette période de politisation intense fut aussi celle de progrès techniques remarquables (essais nucléaires, constructions d’avions, de sous-marins, etc.) qui semblaient, dans une certaine mesure, faire contrepoids à la mise au pas des professionnalistes.


1966-1970. A. P. L., atome et révolution culturelle

Après une période d’éclipse (1959-1965), Mao Zedong (Mao Tsö-tong) reprit la totalité du pouvoir à la faveur de la révolution culturelle, dont un des objectifs majeurs est de dégager la Chine de toute influence « révisionniste » et d’imposer la pensée maoïste comme fondement de toute vérité et ciment de l’unité nationale. Dans le domaine militaire, ce choix s’est traduit par l’adoption d’une stratégie à caractère défensif, reposant principalement sur la dissuasion nucléaire et sur le concept de « guerre prolongée », dont la « guerre populaire » est le moyen d’action privilégié. Cela a amené les Chinois à répartir leurs forces entre quatre composantes.

• Une force nucléaire stratégique, ou force de dissuasion, est en cours de constitution depuis 1965. Le premier essai nucléaire chinois a eu lieu le 16 octobre 1964, et le deuxième le 14 mai 1965 ; dès le 17 juin 1967, c’était, avec le septième essai, l’explosion d’une bombe thermonucléaire de 3 Mt (18 explosions de 1964 à 1976). Selon les Américains, la Chine aurait depuis 1974 les matières fissiles correspondant à environ 250 engins de fission ou de fusion. Elle semble avoir déployé environ 50 missiles* MRBM, 25 IRBM et quelques ICBM. Elle dispose d’environ 60 bombardiers « TU-16 » aptes au transport de bombes nucléaires et d’un sous-marin de la classe soviétique « G » (2 300 t) susceptible de lancer des missiles nucléaires.

• Les forces principales sont en fait un corps de bataille classique. Il est impossible actuellement de discerner leur volume par rapport à l’ensemble, qui atteint environ 3,5 à 4 millions d’hommes. Ces forces englobent probablement la quasi-totalité de l’aviation et de la marine et la fraction de l’armée qui dispose des moyens les plus modernes en matière de mobilité et de puissance de feu. Leur mission consiste à intervenir rapidement en n’importe quel point du territoire, soit pour y maintenir l’ordre, soit pour s’opposer à une invasion.

• Les forces locales, équipées plus sommairement, se caractérisent par leur rusticité et leur aptitude au combat de guérilla. Leur mission est d’encadrer la population, de participer à la production et de mener la guerre prolongée en liaison avec les milices.

• Les milices populaires, enfin, représentent le peuple en armes, dans lequel l’adversaire s’enlise avant d’être détruit. Négligées pendant de nombreuses années, elles ont été remises en honneur depuis 1968. Leur volume global actuel est estimé à plusieurs dizaines de millions d’hommes et de femmes. Leurs missions sont nombreuses : parfaire la mobilisation du pays, répandre l’esprit révolutionnaire, maintenir le peuple en alerte, participer à la sécurité intérieure et, en temps de guerre, alimenter l’A. P. L. en personnels entraînés, assurer la sûreté de ses arrières et la défense du territoire.

Il faut enfin remarquer que la Chine actuelle offre un exemple unique au monde quant à la place occupée par l’armée au sein de la nation. L’A. P. L. y est en effet omniprésente, s’étant vue, par le fait de la révolution culturelle, investie peu à peu d’attributions et de pouvoirs aussi nombreux que variés, qui la font participer étroitement à l’encadrement du peuple et à son éducation, tant politique que militaire. En même temps, elle est devenue une force productrice : elle encadre un grand nombre d’usines et de brigades de production, contrôle les circuits économiques et participe aux travaux agricoles. De plus, elle dipose d’unités de type particulier, les « corps de construction et de production », qui ont la quadruple mission de promouvoir le développement économique de régions défavorisées, de contribuer à la sinisation de zones peuplées de minoritaires dont le loyalisme au régime peut rester sujet à caution, d’assurer la défense de ces zones et enfin de mener à bien la « rééducation » des jeunes citadins, qui, depuis 1968, sont envoyés par millions en secteur rural pour y participer aux tâches de production.