Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

château (suite)

La résidence seigneuriale

Dans le plat pays, les châteaux, devenus inutiles, continuent cependant à être utilisés comme demeures ; et, en dépit des interdictions royales, leurs propriétaires tiennent à en conserver l’appareil défensif, signe de leur ancienne puissance, quitte parfois à en établir un nouveau, plus ou moins factice.

Dès la seconde moitié du xve s., la paix retrouvée va permettre en France l’aménagement des vieilles forteresses pour les rendre plus habitables. Chaumont, Loches ou Meillant montrent encore des dispositifs puissants, qui peuvent sembler anachroniques en un temps où Louis XI fait élever son manoir du Plessis-lez-Tours (1463) sans autre protection qu’une surveillance assidue des abords. Beaucoup se contentent d’isoler leurs demeures par de larges douves : ainsi au Plessis-Bouré en 1468-1473. Dans ces exemples, le plan est souvent en U (un logis et deux ailes autour d’une cour), et l’usage de la brique est fréquent. Cependant, bien des châteaux conservent encore leur implantation irrégulière, des corps de logis divers desservis par des escaliers à vis et coiffés de hautes toitures à lucarnes. Le décor prolifère sur les ouvertures, plus nombreuses et plus grandes, sous les galeries qui permettent la circulation à couvert ; il tend à égayer, par sa fantaisie, une modénature trop abstraite. Tous ces traits, et aussi la polychromie, répondent aux besoins d’une société éprise d’élégance et de raffinement bien avant d’être touchée par le courant humaniste de la Renaissance.


L’italianisme en France

Les guerres d’Italie vont accélérer ce processus. Les artistes, pour répondre aux désirs du roi et de son entourage, vont modifier leur répertoire décoratif ; mais, dans la première phase de l’italianisme, la structure des édifices n’est pas encore atteinte. Si les commandes royales, doivent jouer dans cette évolution un rôle prépondérant, c’est Gaillon, résidence estivale des archevêques de Rouen transformée par le cardinal d’Amboise de 1501 à 1510, qui marque vraiment le triomphe du décor nouveau sur une construction encore médiévale par sa tour et ses escaliers à vis, mais qui annonce les « loges » de Blois* par une galerie ouverte sur le val, avec balcon central. On y voit, pour la première fois, le décor de pilastres et de bandeaux caractéristique des façades de la première Renaissance ; on le retrouve également à Blois, dans l’aile François Ier (1515-1524), où ce quadrillage reste imparfaitement rythmé et voisine avec un escalier gothique par sa structure. À vrai dire, l’escalier à vis traditionnel convenait assez mal pour relier des salles d’apparat, et l’adoption de l’escalier droit, « à l’italienne », était dans l’ordre des choses. Les types intermédiaires, incorporés et à quartier tournant, d’Azay ou de Chenonceaux reprennent vers 1520 les modèles Renaissance et gothique de Châteaudun.

C’est encore une vis, double, tournant autour d’un large noyau creux pour éliminer l’amenuisement des marches, que nous trouvons à Chambord*, au centre du donjon (1519-1537). La volonté de géométrisme est caractéristique ; la masse carrée de ce « donjon », divisée en quatre pavillons réunis par des galeries et cantonnée de tourelles, occupe une des deux cases médianes d’un damier de six cases, cantonné lui-même de tours à canons. Les bâtiments ajoutés ensuite, le comblement des larges douves ont un peu fait perdre à Chambord son aspect primitif, son plan de forteresse de plaine proche du tracé de Vincennes. En un temps où des préoccupations de sécurité subsistaient, les ingénieurs ont eu leur part dans la conception de tels édifices et donné leur préférence aux plans massés, dérivés de ceux des donjons carrés du xve s., dont Argy ou simplement Talcy nous offrent de beaux exemples. Tel est Chenonceaux, simple cube en dépit de ses échauguettes, élevé de 1515 à 1522 sur la souche d’un moulin, en pleine rivière de Cher ; tels sont, cantonnés de tourelles carrées, Challuau (Seine-et-Marne, disparu) vers 1540, ou Bailleul (Seine-Maritime) après 1543 ; la Muette de Saint-Germain aussi (disparu), où, en 1542, Pierre Chambiges établit une chapelle en saillie et, symétriquement, un escalier extérieur à la façon des anciennes vis.

Deux de ces pavillons à tourelles réunis par un corps central, tel est le plan du château de Madrid commencé en 1528 dans le bois de Boulogne et détruit également. Ici, la symétrie triomphe, et les galeries de loggias, partielles à Chambord, pourtournent l’ensemble. Aucune apparence militaire dans cette demeure de rêve, une des plus belles réussites de la Renaissance bien qu’elle s’inscrive encore dans la tradition par sa polychromie et le jeu de ses toitures. On ne saurait en dire autant du château vieux de Saint-Germain*, commencé onze ans plus tard. Chambiges y sacrifie à la mode par des terrasses, sans parvenir à atténuer la rigueur d’une construction austère où persiste avant tout l’esprit défensif.

À part cet exemple, dont l’irrégularité s’explique, comme pour Fontainebleau*, par la reprise d’une infrastructure existante, la virtuosité des plans, leur équilibre portent-ils la marque d’un esprit nouveau ? On serait tenté de l’affirmer pour Ancy-le-Franc, élevé par l’Italien Serlio* en 1546, où la composition est parfaitement rythmée. Mais, ici encore, autour d’une cour qui n’a rien d’un patio, le quadrilatère des bâtiments forme une masse uniforme cantonnée de tours carrées, parfaitement isolée à l’origine par des douves et des ponts-levis. L’étude stylistique ne doit pas faire oublier les fonctions de l’édifice ; elles sont inscrites dans son plan-masse et dans son site. Il en est de même à Maulne, en Tonnerrois, vers 1570. Son plan pentagonal peut être dû à Serlio et provenir du palais Farnèse de Caprarola ; l’ensemble ne s’en inscrit pas moins dans un rectangle bastionné qui en fait une forteresse.

Dans tout cela, les spéculations sur les figures géométriques, platoniciennes ou autres, ne sont pas absentes ; mais comment les séparer des soucis plus concrets des ingénieurs, en un temps où leurs clients eux-mêmes étaient experts en art militaire et songeaient d’abord à protéger leurs biens ? À Gaillon, le Lydieu et la Maison-Blanche étaient issus des rêveries d’un humaniste qui pensait à la villa Hadriana de Tibur ; mais l’assiette des bâtiments, juxtaposant cour d’honneur, terrasse et jardin clos, montre bien l’intérêt porté par le cardinal d’Amboise aux problèmes défensifs.