Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

château (suite)

On tend avant tout, dans les enceintes urbaines comme dans les forteresses isolées, à donner aux tours un rôle primordial, indépendant de celui des courtines. Cette fonction de « réduit » n’était guère employée dans l’Antiquité. La disposition des tours, dans les enceintes romaines, ne permettait pas leur encerclement, car elles restaient ouvertes « à la gorge », c’est-à-dire vers l’intérieur de la ville. Avec les invasions normandes et l’éparpillement féodal, la tour va prendre une importance nouvelle, devenir pour le château isolé ce qu’était celui-ci pour la ville, un réduit indépendant, appelé désormais le donjon.

Bâti primitivement en bois, sur une motte, le donjon n’est accessible qu’à l’étage, par une passerelle mobile. C’est d’abord le siège de l’autorité féodale, un lieu de justice ; mais la salle, chauffée et pourvue d’un oratoire, sert aussi au seigneur, dont la famille occupe de préférence l’étage supérieur, sous la toiture où gîtent les guetteurs. Dans le soubassement se trouvent les réserves et la prison.

D’abord de plan rectangulaire (c’est, au xie s., le type « normand » ou « angevin » d’Arques, Loches, Beaugency, Montrichard..., qui persistera longtemps outre-Manche), le donjon devient bientôt circulaire pour améliorer sa défense ; et cela dès la fin du xie s. à Saint-Sauveur-en-Puisaye (en fait ovale) ou à Gisors. Comme les donjons carrés ou octogonaux (Provins), il pourra même être cantonné de quatre tourelles (Houdan, v. 1110) ; plan fort habilement conçu qui, par contraction, donnera trente ans plus tard le quadrilobe d’Etampes. Le donjon circulaire, il est vrai, garde le plus souvent sa simplicité ; sauf à se terminer en éperon à La Roche-Guyon, vers 1190, et au Château-Gaillard, en 1197. Ce type à bec va d’ailleurs être largement utilisé pour les tours d’enceintes, avec des variantes allant d’une simple pointe sur un plan encore circulaire à un tracé en tiers-point (portes de Provins) et, pour finir, losangique (Loches).

À partir du domaine royal (tous les fiefs de France relevaient de la grosse tour du Louvre, élevée par Philippe Auguste), le type du donjon circulaire se généralise au xiiie s. L’exemple le plus fameux restait, jusqu’en 1917, le gigantesque donjon de Coucy, d’un diamètre de 31 m, élevé vers 1230. Il superposait sur les 55 m de sa hauteur trois salles voûtées. La plus élevée, entourée d’une galerie-tribune, soutenait une terrasse qui commandait tout le système défensif : les courtines dominant l’à-pic sur trois côtés, la porte et la « chemise » barrant l’éperon vers la basse-cour. Mais, à Coucy comme ailleurs, l’éclairage et la disposition des lieux rendant le donjon peu pratique pour les audiences et les assemblées, au siècle suivant une grande salle et une chapelle furent élevées au pied de la grande tour, dans l’enceinte. Le parti n’en était pas nouveau ; le palais antique avait connu la salle d’assemblée, et la nécessité pour le seigneur féodal, haut justicier, de réunir ses vassaux pour l’hommage et pour diverses cérémonies avait rendu un tel programme inséparable du palais urbain comme du château isolé. Ce fut longtemps, donc, une des fonctions du donjon ; mais il existe aussi des châteaux sans donjon, à l’exemple probablement des palais épiscopaux. La salle d’assemblée gagne alors en importance ; tel est le cas du château de Druyes comme de la salle synodale de Sens. Progressivement, les fonctions judiciaires et celles de représentation se fixeront à la ville, pour donner les palais de justice et, par imitation, les hôtels de ville. De leur côté, les grandes demeures royales (Fontainebleau, Versailles) perpétueront la tradition des salles seigneuriales dans des galeries « dynastiques » à la gloire de leurs propriétaires.

Il est difficile d’établir une coupure nette entre le château sans donjon et le simple manoir du gentilhomme n’ayant pas droit de justice ; tous les intermédiaires existent, en particulier dans les casteras du sud-ouest de la France, influencés par le château anglais. Celui-ci reste le plus souvent une « maison forte » sans tours et sans donjon. Le « hall » à tribune et feu « chauffant au large » en est la caractéristique essentielle et se maintiendra longtemps, donnant à la demeure anglaise un aspect archaïsant.

Vers la fin du Moyen Âge, le donjon tend à perdre son rôle défensif et sa fonction d’habitation ; s’il subsiste, c’est comme symbole des droits féodaux. La forteresse n’est plus désormais subordonnée à un point fort, elle se dilate pour former un ensemble homogène et permettre une intervention rapide en un point donné de la périphérie. Pierrefonds, élevé par Louis d’Orléans à la fin du xive s., répond à cette conception nouvelle de l’ensemble fortifié ; mieux, il s’inscrit au centre d’un réseau établi sur un front de 80 km et en forme, en quelque sorte, le donjon.


L’âge de l’artillerie à feu

Pour perfectionnés que soient les systèmes défensifs étages au sommet de ces forteresses, ils deviennent bientôt inutilisables devant les progrès de l’artillerie à feu, à la fin du premier tiers du xve s. Les constructeurs vont tenter de s’adapter, découronner les tours des flanquements qui en faisaient la force et sont devenus les points les plus vulnérables, les transformer en plates-formes à canons. En vain, car l’artillerie est un luxe, à la portée seulement du pouvoir royal.

Une nouvelle fortification va naître en France, pour mettre les villes et les citadelles situées à la frontière du royaume en état de défense ; le dispositif s’enterre, s’élargit en des plans étoiles qui éloignent l’assaillant et rendent son tir inefficace, car désormais il faut « voir sans être vu ». On peut suivre de façon saisissante les progrès de l’adaptation au terrain de la fortification « à la Vauban* », depuis Louis XIV jusqu’à Napoléon III, grâce à la collection des plans en relief aujourd’hui déposée à l’hôtel des Invalides, à Paris. Il faudra l’apparition des forteresses mobiles et volantes pour enlever à la défense une suprématie incontestée depuis trois siècles.