Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles XIV ou Charles-Jean (suite)

Adopté par Charles XIII, il part pour la Suède sans que Napoléon ait pu lui arracher la promesse de ne jamais combattre sa patrie. Bien reçu à Stockholm, il prend comme prince royal le nom de Charles-Jean et se donne tout entier à son nouveau pays. Très vite, il se brouille avec Napoléon, qui a fait occuper la Poméranie suédoise. En 1812, il s’entend avec le tsar Alexandre pour conquérir la Norvège. L’année suivante, après de louables efforts en faveur de la paix, il s’allie ouvertement à la coalition contre la France et commande une des armées qui décidera du sort des journées de Leipzig. On lui prête alors ce mot affreux : « Encore quelques coups de mitraille sur ces Français que j’aime tant ! » Bernadotte n’ose pourtant accompagner en France les troupes d’invasion — il s’arrête à Cologne —, mais il prépare sa candidature à la succession de l’Empereur. Après la prise de Paris, il accourt dans la capitale rejoindre les souverains, espérant qu’ils se prêteront à son ambition. Très mal accueilli par les habitants de la ville, il revient à Stockholm, où il obtient l’union des couronnes de Suède et de Norvège.

Ne jouant aucun rôle dans les événements de 1815, il se consacre uniquement au gouvernement de la Suède, dont il devient roi le 5 février 1818, à la mort de Charles XIII. Avec doigté, il sait faire face aux crises intérieures de son royaume par horreur de l’anarchie et des troubles, se préoccupant, avant tout, de préserver son pays de la guerre. Il meurt à quatre-vingt-un ans, après avoir fondé la dynastie qui règne encore en Suède.

A. M.-B.

 P. de Pressac, Bernadotte, un roi de Suède français (Hachette, 1942). / T. T. Höjer, Bernadotte, maréchal de France (trad. du suédois, Plon, 1943 ; nouv. éd., 1971). / B. Nabonne, Bernadotte (la Nouvelle Édition, 1948). / G. Girod de l’Ain, Bernadotte chef de guerre et chef d’État (Perrin, 1968).

Charles d’Orléans

Poète français (Paris 1394 - Amboise 1465).


Ce « doulx seigneur », suivant le mot de Villon, prince malheureux et poète longtemps oublié, doit moins sa fortune à sa haute naissance qu’au charme délicat de ses ballades, rondeaux, complaintes et chansons. Fils de Louis d’Orléans et neveu du roi Charles VI, il passe son enfance dans une cour où rimeurs et artistes trouvent protection, tels Eustache Deschamps et Christine de Pisan. Mais le destin frappe très vite la vie heureuse de cet adolescent : en 1407, son père est assassiné sur l’ordre de Jean sans. Peur ; l’année suivante, il perd sa mère. Terrible héritage pour Charles d’Orléans, qui doit se montrer homme d’action (l’est-il ?) et fin politique dans ses luttes contre le duc de Bourgogne... Et voici que, le 25 octobre 1415, les Anglais écrasent à Azincourt l’armée féodale française : le prince est fait prisonnier. Vingt-cinq années passeront avant qu’il puisse revoir sa patrie.

Dans les multiples châteaux d’Angleterre où l’enferme sa captivité, il va déguiser son ennui et trouver une consolation dans les chants de la poésie. Sans doute en ses savantes arabesques amoureuses peut-on redécouvrir les élégances galantes et le matériel allégorique du Roman de la Rose et de l’amour courtois. Mais il est un autre registre : avec les ans, l’inspiration s’épure, prend une résonance plus humaine, plus proche de nous et laisse la place aux mouvements du cœur. « Tout enrouillé de Nonchaloir », il s’abandonne à la mélancolie de l’exil :
En regardant vers le païs de France,
Un jour m’avint, à Dovre sur la mer...
ou voit avec amertume la fuite des jours, sa jeunesse dépensée en pure perte :
Pourquoi m’as-tu vendu, Jeunesse
À grant marchié, comme pour rien,
Es mains de ma Dame Viellesse
Qui ne me fait gueres de bien...
incapable comme il l’est d’agir, parce qu’il ne le peut, ni le veut. Seuls l’ironie ou l’humour le sauvent lorsque la tentation de l’abandon est trop grande : en effet, « encore est vive la souris ». Qu’on imagine Charles d’Orléans dans sa solitude, prisonnier des autres et de lui-même, avec la nostalgie du pays perdu...

Cette France, pourtant, il la retrouvera à quarante-neuf ans — en 1440, l’année de son troisième mariage, avec Marie de Clèves, qui lui donnera un fils, le futur Louis XII — pour partager son temps entre les missions diplomatiques et son cénacle de Blois, composé des meilleurs poètes de l’époque, à commencer par Villon. Sans nulle fadeur et sans recherche, il invente alors une poésie exquise, qui traduit aussi bien les élans de l’amour que la chanson du colporteur. Le célèbre poème
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye...
doit-il faire oublier d’autres rondeaux d’une grâce si intime, tel celui-ci :
Devenons saiges désormais,
Mon cueur, vous et moy, pour le mieulx... ?
Et, désormais, c’est sur le ton de la confidence que nous parle Charles d’Orléans. La fin de sa captivité n’a pas ouvert pour lui les portes du bonheur. « Escollier de merencolye », voilà ce qu’il est, plus encore qu’auparavant, « des verges de soussy battu », et en proie à une inguérissable désespérance, qui est peut-être la tonalité dominante de sa destinée. Cette lassitude de vivre, cette existence à demi gâchée lui font choisir le murmure et l’incantation. La pudeur de dire plus qu’il ne faudrait et une étonnante réserve à laquelle l’art se plie spontanément donnent à ses derniers vers leur voile et leur secret :
Plus penser que dire
Me convient souvent...
Quelque chose derrière
Convient toujours garder...
Tais-toi, cueur, pourquoi parles-tu ?
C’est folie de trop parler...

Par sa sincérité et sa discrétion, par son détachement aristocratique, cette œuvre compte parmi les plus raffinées. Sans le savoir, par son génie, Charles d’Orléans échappe aux conventions de la poésie du Moyen Âge, tout en en conservant les formes, et inaugure une poésie personnelle et moderne. Il est frappant qu’au xixe s. avec Verlaine, au xxe s. avec Aragon la musique si particulière de ses ballades et rondeaux n’a cessé de se faire entendre.

A. M.-B.