Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V ou Charles Quint (suite)

Toute la vie économique espagnole est suspendue à l’arrivée des convois d’Amérique à Séville. Cette ville commerçante est cosmopolite, car les bateaux de la Hanse, de la Flandre, de la France et de l’Italie s’y pressent pour apporter leurs produits manufacturés à destination des « Indes ». Si ces produits sont rechargés sur des navires espagnols, qui ont seuls le monopole de commercer en Amérique, la métropole ne fournit par contre que très peu de chose à ses colons. Ici encore, l’or ne fait que passer.

S’ensuivront au cours des règnes suivants la décadence des villes et la disparition de l’esprit d’entreprise d’une bourgeoisie qui ne songera bientôt plus qu’à acheter des titres d’État et des rentes foncières.


La fin du règne

Après la trahison d’Innsbruck, Charles Quint, déçu, se retire aux Pays-Bas, dont le territoire s’accroît, grâce à lui, de la Frise en 1524, d’Utrecht et de l’Overijssel en 1528, de Groningue et de la Drenthe en 1536, du duché de Gueldre et du comté de Zutphen en 1543.

Charles fait plus encore pour ces provinces : il leur donne plus de cohésion au moyen de deux décrets. Celui d’Augsbourg en 1548 regroupe toutes les provinces de l’ancien empire bourguignon, plus celles que l’empereur y a ajoutées, en un seul cercle, celui de Bourgogne. Par là même, il prépare l’unité politique de la région. Une « pragmatique sanction » règle le droit successoral, de sorte que les parties constituantes du cercle ne puissent être séparées à sa mort.

Il détache aussi les Pays-Bas de l’Empire et les dispose à passer dans l’héritage de son fils, le futur roi d’Espagne. Une administration commune (conseil d’État, conseil privé, conseil des Finances) sous la sage autorité de sa tante Marguerite d’Autriche d’abord, de sa sœur ensuite, Marie de Hongrie, à partir de 1530, accentue l’unité du pays, si bien qu’après l’abdication de l’empereur Philippe II lui succédera sans heurt.

Charles Quint voit au même moment la paix religieuse rétablie en Allemagne.

Car la guerre de religion, prolongée par un conflit entre l’Électeur de Saxe et Albert de Brandebourg, a épuisé le pays. La disparition de Maurice de Saxe à la bataille de Sieverhausen (1553) prive le camp protestant de son chef ; l’incurable lassitude de Charles Quint permet de convoquer une diète pour mettre fin à la lutte. Elle se réunit à Augsbourg en 1555, mais en l’absence de l’empereur, qui y a délégué son frère.

La paix d’Augsbourg, signée le 3 octobre, reconnaît officiellement la présence du protestantisme dans l’Empire. Cependant, négociée par les luthériens, elle reste empreinte de leur esprit. Elle n’admet pas la liberté religieuse des personnes ; seul l’État, c’est-à-dire les princes ou les villes, est libre de choisir entre les deux confessions. Cela est reconnu solennellement par l’empereur ; mais, à l’intérieur de l’État, les populations doivent obligatoirement suivre la religion des souverains ou des magistrats ; à s’y refuser, elles risquent l’exil. C’est là l’énoncé du fameux principe cujus regio, ejus religio. Du calvinisme ou des autres confessions protestantes, il n’est fait aucune mention.

Des dispositions particulières règlent les problèmes de sécularisation des biens. Afin de simplifier les choses, on décide que tous les faits accomplis en ce domaine jusqu’en 1552 seront tenus pour légitimes. Mais, désormais, tout bénéficiaire ecclésiastique devra, s’il passe au protestantisme, restituer à l’Église catholique les biens qu’il détient d’elle pour l’exercice de sa charge. Cette clause est la seule qui avantage les catholiques. En fait, la paix d’Augsbourg consacre l’échec final de la politique religieuse de Charles Quint dans l’Empire.

Ayant vu l’échec de tous ses projets — abaissement de la France, croisade contre le Turc, unité religieuse de l’Empire —, Charles Quint se retire. Il abdique pour ses possessions des Pays-Bas au cours du mois où est signée la paix d’Augsbourg (oct. 1555), puis pour l’Espagne le 16 janvier 1556. Enfin, le 12 septembre 1556, il transmet le titre impérial à son frère Ferdinand.

Il se retire alors en Estrémadure, à Yuste, dans un monastère de hiéronymites. C’est là que meurt, le 21 septembre 1558, ce prince dont Montesquieu a dit que, « pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, le monde s’étendit et que l’on vit paraître un monde nouveau sous son obéissance ».

P. R.

➙ Allemagne / Autriche / Bourgogne / Empire colonial espagnol / Espagne / François Ier / Fugger / Habsbourg / Henri II / Italie (guerres d’) / Ottomans / Pays-Bas / Philippe II / Réforme / Saint Empire romain germanique.

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