Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V ou Charles Quint (suite)

La croisade contre le Turc

Mais la lutte contre les Valois n’épuise pas tous les aspects de la politique extérieure de Charles Quint. Un conflit latent oppose aussi l’empereur au Turc.

La France de François Ier a signé avec les Ottomans les fameuses « capitulations » qui lui assurent en Asie Mineure une situation politique et économique privilégiée. Avec Venise, il y a plus de frictions, mais la ville de l’Adriatique préfère la négociation à la lutte armée et agit selon son unique intérêt.

Charles Quint reste donc seul comme champion de la chrétienté devant la menace turque. Contre celle-ci, il bénéficie de l’appui des Allemands, y compris des protestants, le vieux réflexe chrétien jouant par-delà les divisions. Il peut aussi s’appuyer sur la Perse, ennemie traditionnelle de la puissance ottomane.

Comme empereur, Charles Quint doit surveiller la frontière de Hongrie. Là, son frère Ferdinand lui apporte de précieux secours en négociant avec la diète impériale la levée de subsides et de troupes. En 1532, il enverra des soldats espagnols sur la frontière orientale de l’Empire et se mettra lui-même à la tête de l’armée.

Comme roi d’Espagne Charles doit défendre la Méditerranée, mais plutôt dans sa partie occidentale, contre les raids incessants des pirates barbaresques, qui ont leurs points d’attache sur toute la côte maghrébine. Le règne de Charles Quint sera troublé constamment par ces luttes contre un Empire ottoman alors au zénith avec Soliman le Magnifique (Sultan de 1520 à 1566).

Au début, c’est une série d’échecs pour l’empereur. En 1521, le Turc prend Belgrade ; l’année suivante, il prend Rhodes, dernier vestige des conquêtes des croisés du Moyen Âge et dont sont chassés les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, auxquels, en compensation, Charles Quint abandonnera la souveraineté de l’île de Malte. En 1526, à la bataille de Mohács, le roi de Hongrie Louis II est tué. Ferdinand, le frère de Charles Quint, s’empresse de recueillir sa succession, mais un compétiteur, Jean Zápolya, prince de Transylvanie, obtient l’aide de Soliman en échange de son vasselage et peut ainsi occuper la plus grande partie du pays. Un redressement partiel s’opère en 1529 lorsque Soliman est arrêté sous les murs de Vienne.

Le conflit se déplace alors en Méditerranée occidentale. Khayr al-Dīn Barberousse s’étant emparé de Tunis (1534), Charles Quint entreprend une grande expédition contre lui en 1535. Il fait rentrer dans la ville son allié, le dey Ḥasan, qui en a été chassé, et ramène en Europe plus de vingt mille chrétiens ainsi soustraits à l’esclavage.

Mais c’est le dernier grand succès de l’empereur en ce domaine. La mort de Jean Zápolya (1540) provoque une nouvelle avance turque en Hongrie. Soliman occupe toute la partie centrale, avec Buda, qui devient une principauté vassale où règnent les successeurs de Jean Zápolya. Au même moment, les armées impériales essuient une sévère défaite à Alger (1541).

Les Turcs auront dès lors la prépondérance maritime en Méditerranée pour de longues années. Plusieurs places stratégiques d’Afrique sont perdues pour les chrétiens : Tripoli, dont s’empare le corsaire Dragut (1551), puis Peñon (1554) et Bougie (1555).


L’or des Indes

Ses véritables succès, et définitifs ceux-là, Charles Quint les remporte en Amérique. Les découvertes des mines d’argent et d’or vont en effet provoquer un afflux de métaux précieux en Espagne, puis en Europe, et favoriser l’expansion en Occident du grand capitalisme commercial. L’exploitation économique des possessions américaines (on disait à cette époque les « Indes ») est assurée depuis 1503 par une énorme administration, la Casa de Contratación ; elle maintient ces provinces dans un état de sujétion qui les oblige à acheter des produits espagnols ou acheminés par la métropole et à demeurer, en revanche, productives de denrées ou de matières premières (métaux précieux notamment) réclamées par l’Espagne.

Mais ce rôle d’exportateur d’or et d’argent, ce n’est pas aussitôt la conquête terminée que le Nouveau Monde peut le jouer. On a calculé que, durant la majeure partie du règne de Charles Quint, le rapport de production annuelle d’argent fut supérieur pour l’Europe : 59 t en moyenne contre 31 pour l’Amérique. C’est seulement à partir de 1545, avec la découverte des mines d’argent de Potosi dans le haut Pérou et après l’échec du mouvement pizarriste (1544-1548) dirigé contre Charles Quint, que la situation change.

Pour 1548, les chiffres de la production d’or et d’argent au Pérou sont encore de 300 millions de maravédis, mais ils atteignent en 1549 la somme énorme de 2 milliards 565 millions de maravédis (la proportion de l’or et de l’argent étant de 2 milliards 430 millions pour l’argent contre 135 millions pour l’or).

On peut supposer que, si ces richesses étaient arrivées trente ans plus tôt, les résultats de la politique étrangère de Charles Quint eussent été différents, l’argent étant le « nerf de la guerre ». Mais lorsque les métaux précieux affluent dans les caisses impériales, les jeux sont déjà faits, les Turcs ont triomphé en Méditerranée, les princes protestants allemands se sont considérablement renforcés et la France n’a pas cédé un pouce de son territoire.

De cet afflux d’argent, la conséquence la plus importante pour l’avenir de l’Espagne est le déséquilibre économique qu’il instaure durablement dans le pays et qui l’affaiblira peu à peu. L’or des « Indes » va ruiner l’Espagne, qui n’est que le canal par où il passe pour soutenir des guerres et acheter à l’étranger, en France principalement, des produits manufacturés. Ainsi, les Espagnols exportent leur laine brute qui, en France et en Angleterre, est transformée en toiles : celles-ci sont revendues fort cher en Espagne, où la plus grande partie de ce commerce est aux mains d’étrangers.

De plus, le pouvoir ne touche qu’indirectement à l’argent des galions, la plus grande partie étant assignée à des traitants avec lesquels le prince passe contrat pour entretenir ses armées ou sa cour. Ces financiers, la plupart du temps étrangers, non seulement prêtent à gros intérêt, mais jouissent du privilège d’emporter leurs capitaux hors d’Espagne.