Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chabrier (Emmanuel) (suite)

Successeur de Couperin et père de la nouvelle école française de piano

Mais ses dons d’improvisateur et sa fougue au piano ne représentent qu’un aspect secondaire de sa carrière, qui fut aussi celle de chef de chœurs chez Lamoureux et surtout de compositeur. Peut-on le classer parmi les grands rénovateurs de l’école française moderne grâce à ses œuvres lyriques, abondantes, allant de la mélodie humoristique pour chant et piano (Pastorale des cochons roses) à l’opera seria (Gwendoline, le Roi malgré lui) en passant par l’opérette-farce (Fish Tonkan et Vaucochard et fils Ier) ? Chabrier s’y « appliqua » de tout son être sans toujours recevoir — en France du moins — le succès qu’il en attendait, et s’y montra souvent « prisonnier de l’Allemagne » (Cocteau). Ou bien serait-ce grâce à ses œuvres symphoniques, esquisses hautes en couleur, où l’orchestre brillant s’enrichit de rythmes de danse (Joyeuse Marche) et de réminiscences espagnoles rapportées de ses voyages (España) ? Ou bien ne se réaliserait-il pas mieux dans ces quelque trente courtes pièces de piano, libéré de toutes les contraintes que lui imposait le théâtre, et face à face avec son instrument favori ? En quelques lignes, il montre là des dons d’harmoniste subtil et hardi. Si un certain manque de discernement dans le choix de ses librettistes (Catulle Mendès) l’a engagé dans des voies contraires à sa nature propre, si son admiration sans bornes pour Wagner l’a entraîné vers le monde du théâtre pour lequel il ne semblait pas fait, si enfin il n’a pas acquis cette indépendance d’écriture que donne l’étude approfondie de l’harmonie, il semble que, dans le domaine pianistique surtout, ses maladresses, à l’instar des compositeurs russes qu’il admirait, loin de constituer une faiblesse, ajoutent un « piment » supplémentaire à ses idées musicales déjà novatrices ; et c’est grâce à ce « manque de métier », relatif, que Chabrier, s’inspirant de rythmes de sa province natale et disposant de dons de pianiste extravagants, crée en 1891 son chef-d’œuvre, la Bourrée fantasque (dédiée au jeune virtuose E. Risler), et préfigure ainsi, avec les dix Pièces pittoresques de 1881, les cinq œuvres posthumes (Aubade, Ballabile, Caprice, Feuillet d’album et Ronde champêtre) et les trois Valses romantiques pour deux pianos, l’art de Ravel et de Debussy (qui ne renieront pas cette parenté spirituelle). De ce fait, il remet à l’honneur un genre musical qui était tombé en désuétude, écrasé par l’art lyrique ou bien réduit à l’état de romances fades de salon et d’exercices de vélocité. Révolutionnaire, il ne l’est pas par le matériel harmonique utilisé, qui va du simple accord parfait à ceux de neuvième, mais par l’emploi inhabituel qu’il en fait ; il les juxtapose par séries, ou bien, bousculant les lois sacro-saintes des traités, ne prépare ni ne résout les dissonances, les superpose ou les frotte les unes aux autres, noie les tonalités en passant du tonal au modal, laissant planer l’équivoque par des accords incomplets ou des altérations de passage. Révolutionnaire, il ne l’est pas non plus par les rythmes employés ; s’il lui arrive de les « déhancher » curieusement ou de les superposer, créant ainsi une véritable polyphonie « rythmique » qui s’ajoute à la polyphonie « mélodique » héritée de Schumann, il reste finalement dans la lignée de Couperin, auquel il emprunte le goût de la danse, de l’ornementation et de la musique à titres sinon à programme, la clarté, la concision et la fantaisie, disciplinée par une construction aussi rigoureuse que classique (forme ABA). Que l’on considère ou non Chabrier comme un harmoniste ou comme un mélodiste de génie, son mérite essentiel reste surtout d’avoir « libéré » la musique pure des carcans théoriques, des influences étrangères, de la virtuosité excessive, et, en luttant contre « les pontifes et les pompiers », de lui avoir insufflé une spontanéité et une simplicité qu’elle avait perdues.

M.-D. F.

 R. Martineau, E. Chabrier (Dorbon aîné, 1910). / G. Servières, E. Chabrier (Alcan, 1912). / J. Desaymard, Emmanuel Chabrier d’après ses lettres. L’homme et l’œuvre (Roches, 1934). / F. Poulenc, Emmanuel Chabrier (La Palatine, 1961). / Y. Tiénot, Chabrier par lui-même et par ses intimes (Lemoine et Cie, 1964). / F. Robert, Emmanuel Chabrier (Seghers, 1969).

Chadwick (sir James)

Physicien anglais (Manchester 1891 - Cambridge 1974).


Il entre en 1911 au laboratoire de physique de l’université de Manchester et y participe aux travaux de Rutherford*, qui, grâce à la déviation des particules alpha traversant des feuilles minces, met en évidence l’existence du noyau de l’atome. Il effectue ensuite un stage au laboratoire de Geiger en Allemagne, où la Première Guerre mondiale vient le surprendre ; il y reste interné dans un camp de prisonniers civils.

En 1919, il va poursuivre ses travaux à Cambridge. Il détermine alors directement la charge des noyaux atomiques et montre qu’elle représente le numéro d’ordre de l’élément dans la classification périodique.

En 1923, Chadwick devient directeur adjoint du laboratoire Cavendish de Cambridge, dont Rutherford assure la direction, et où il a rassemblé une équipe remarquable de physiciens : Aston, Blackett*, Cockcroft*, Dee, Oliphant... Chadwick étudie spécialement les transmutations provoquées par les particules alpha sur les éléments légers.

Depuis plusieurs années, pour expliquer le phénomène d’isotopie, on envisage au laboratoire de Rutherford l’existence d’une particule neutre, de masse sensiblement égale à celle du proton. Aussi, lorsque F. et I. Joliot-Curie* publient en 1932 leur observation de la projection de noyaux par le rayonnement que viennent de découvrir les Allemands Walther Bothe (1891-1957) et H. Becker, Chadwick voit-il immédiatement le « proton neutre » comme élément constitutif de ce rayonnement. Il reprend et complète les expériences françaises et établit aussitôt l’existence de ce neutron, dont il détermine la masse. Peu après, il obtient la désintégration du noyau de deutérium par les rayons gamma et trouve encore ce même neutron. En 1935, il reçoit le prix Nobel de physique, en récompense de cette très importante découverte.